Les Françaises vont à la plage en pantalon… de pyjama
Si le costume masculin est interdit aux femmes dans la sphère publique sous peine d’arrestation, qu’en est-il du pantalon de pyjama, habituellement destiné à un usage domestique ?
Une première recherche dans la presse avec la fonctionnalité de proximité proposée dans Gallica des termes "pantalon" et "pyjama" montre un intérêt particulier pour ce vêtement au milieu des années 1930. Il y a bien quelques résultats qui apparaissent en 1905, mais ceux-ci coïncident en fait avec la représentation de la comédie en un acte de Jules Rateau intitulée Le Pyjama. L’année 1933, qui enregistre un nombre record de résultats associant ces deux termes, est aussi celle où l’actrice Marlène Dietrich légitime le pantalon à Hollywood en adoptant le smoking. L‘influence de la star-garçonne est mondiale et se répercute largement sur le choix des vêtements de nuit : "Le pyjama a […] un regain d’actualité, grâce à la préférence de Marlène et quelques stars pour le costume masculin". (Colette d’Avrily, Les Modes, 1 août 1933, p. 18).
Avant l’actrice hollywoodienne, c’est la célèbre créatrice de mode Coco Chanel qui popularise le pyjama et propose de le porter sur les plages et lors de soirées estivales. Bien loin des vêtements commodes dont on s’affuble pour dormir, les élégants pyjamas de plage font sensation et conquièrent les suffrages des Françaises. Il en est même certaines qui n’hésitent pas à payer très cher ce "must have" de l’été. Voilà une raison supplémentaire de bien surveiller sa valise !
"On a volé… Des robes et des pyjamas de plage. Mlle Marcelle Peltier, domiciliée à Paris, 117, boulevard Masséna, a porté plainte contre inconnu pour vol de sa valise contenant des robes et des pyjamas de plage d’une valeur globale de 4.000 francs, soustraite pendant qu’elle s’était arrêtée dans un café de l’avenue Janvier." (L’Ouest-Eclair, Rennes, 14 août 1939, p.7)
Le succès de ce vêtement nouveau tient également au fait qu’il se présente comme un compromis entre vêtement féminin et habit d’homme, comme une sorte de "troisième sexe" vestimentaire susceptible de contenter tout le monde :
"Je vous avais annoncé récemment la création d’un troisième sexe, en matière de mode, bien entendu. Ce troisième sexe nous allons en parler un peu aujourd’hui : c’est le pyjama de plage. C’est un troisième sexe parce que, lorsqu’une femme a revêtu un pyjama de plage, elle n’a plus tout à fait l’air d’une femme, mais elle n’a pas encore tout à fait l’air d’être un garçon. Tout le monde y trouve son compte en ce sens que le côté garçon du pyjama, c’est-à-dire sa coupe nette et simple, assure un sentiment de décence et de confort, cependant que le côté fille, c’est-à-dire la qualité du tissu, ses jolis dessins, ses gais coloris, donne un air de grâce et de coquetterie nécessaire à toute toilette féminine." (Séraph, "Les Pyjamas de plage", La Femme en France, 29 juin 1930, p. 11)
Malgré cette part de féminité, certaines lui préfèrent la coquette robe de plage ou encore le "pyjama-jupe", invention de 1933 qui donne à la marche une allure gracieuse. Finalement, le combat jupe-pantalon, véritable marronnier, se transpose sur les plages, de Deauville à Biarritz, avec la rivalité du pyjama et de la robe : "[l]a lutte s’annonce sévère. Deux ennemis s’affrontent ; qui des deux sortira vainqueur une fois de plus ? La robe ou le pyjama ?" (Gisèle de Biezville, "Robes de plages ou pyjamas", L’Intransigeant, 24 mai 1933, p.8).
Si ces questions paraissent frivoles, il n’en demeure pas moins qu’elles contribuent à faire entrer le pantalon masculin, sous des formes diverses, dans la garde-robe des femmes. Concours du plus beau pyjama de plage ou encore défilés de mode : de nombreux événements proposent de mettre en lumière la femme pantalonnée sans pour autant que cela constitue un acte de transgression ou une revendication féministe.
L'Intransigeant (édition du 2 juillet 1933)
Il arrive également que des manifestations contestataires, comme "la journée de la salopette" lancée par Comœdia pour lutter contre la hausse du prix des vêtements, rassemblent hommes, femmes "et même toutous" (précise Le Petit Journal du 20 juin 1920), habillés du même costume masculin : "après avoir vaincu l’ennemi extérieur sous le bleu horizon, nous vaincrons l’ennemi intérieur, c’est-à-dire la hausse, sous le bleu salopette. Cette perspective nous permet de voir l’avenir en rose" (Le Gaulois, 14 juin 1920, p. 1)
Ainsi, après avoir longtemps crié haro sur le pantalon, ses détracteurs doivent bien admettre qu’il comporte de nombreux avantages : pratique, confortable et fermé, il permet aux femmes de pratiquer le sport, de travailler ou encore de voyager sans éprouver de gêne ou que cela ne porte atteinte à leur pudeur.
"Qui vous dit que dans cinquante ans d’ici, les femmes honnêtes, ne trouvant que ce moyen de se risquer seules dans la rue sans crainte d’être insultées par des goujats, ne s’habilleront pas toutes en hommes, costume plus commode que les robes, en somme, et leur permettant de se munir d’une canne ou d’un révolver préservateurs pour rentrer chez elle à sept heures du soir ? La chose est fort possible, après tout. Les hommes ayant abandonné la robe pour le pantalon, et s’en étant fort bien trouvés, qui vous dit que les femmes ne suivront pas cet exemple ?" (A. Paulon, "À propos de l’affaire Montifaud-Magnard-Camescasse", Le Tintamarre, 24 septembre 1882)
Près de 140 ans après, force est de constater que la projection de M. Paulon était fausse : vous arrive-t-il souvent de rencontrer dans la rue une femme munie d’une canne de défense ou d’un révolver ?
Cet article est tiré d'une étude de cas réalisée dans le cadre du projet européen NewsEye, A Digital Investigator for Historical Newspapers. Le projet NewsEye est financé par le programme cadre de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention n°770299).
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