Histoire des bains de mer
En France, ce n'est qu'à partir de 1860 qu'on découvre véritablement les bienfaits des bains de mer. Comment expliquer un phénomène aussi tardif dans la société française et quelles en furent les prémices ?
En fait, jusqu’au XVIIe siècle, toute la population - y compris les aristocrates à la Cour de Louis XIV – traumatisée par des épisodes successifs de peste, craint de s’immerger dans l’élément liquide, surtout l’eau chaude censée ouvrir les pores de la peau et de la sorte permettre l’introduction des miasmes dans l’organisme. Par voie de conséquence, on se contente d’une toilette sèche et du changement quotidien de chemise de corps. Dans un ouvrage paru en 1863 et consacré à l'histoire de l'hydrothérapie, l'auteur tente d'analyser et de battre en brèche cette peur de l'eau froide. Ceci explique l'usage exclusivement thérapeutique des bains de mer jusqu'au milieu de XIXe siècle.
C'est au XIVe siècle que l'on songe à utiliser les bains de mer comme une thérapie pour soigner les individus mordus par un chien que l'on suppose enragé. Dans une de ses lettres datée de mars 1671, Madame de Sévigné nous raconte avec son esprit habituel une anecdote qui corrobore l'utilisation de ce traitement à la Cour de Louis XIV. A l'époque, les médecins croient observer qu’une morsure de chien atteint de la rage déclencherait un symptôme d’hydrophobie rabique : c’est-à-dire un spasme à la déglutition des liquides suite à une sensation de brûlures dans le larynx, avec un risque d'étouffement et de fausse route. Par association d’idées, ces convulsions se produiraient à la vision ou même la simple évocation de l’eau. On décide donc de combattre le mal par le mal en jetant ces malheureux dans la mer selon un rituel bien précis : plongés par sept fois, la tête la première. Les chiens enragés ont également droit au même traitement !
Cette coutume perdure encore au XVIIIe siècle puisque dans Le Paysan parvenu, Marivaux nous conte l'histoire d'un gentilhomme mordu par un loup qui part dare-dare pour rejoindre la mer. Même si certains tel le chirurgien Ambroise Paré se montrent dubitatifs quant à son efficacité :
Ceux qui sont tombés en hydrophobie, jamais ne guérissent !
La fréquentation des côtes françaises fut initiée par les aristocrates anglais qui dès 1730 avaient créé les premières stations balnéaires dans leur pays et n'hésitèrent pas par la suite à traverser la Manche pour y exporter cette pratique. A Brighton, les Anglais créent une maison de santé destinée aux fous et aux névrosés. Dès 1750, le docteur Richard Russell recommande l'usage des bains de mer comme thérapie. Son confrère français Hugues Maret fait paraitre à son tour en 1869 son Mémoire sur la manière d'agir des bains d'eau douce et d'eau de mer et sur leur usage...Les médecins et professionnels de santé préconisent à tout-va les bains « de surprise » (tête plongée dans l’eau), « à la lame » ( tête face à la vague), « d’ondée et de pluie » (aspergé d’eau froide).
Le but recherché était de régénérer l'organisme au moyen de la suffocation procurée par l'immersion dans l'eau fraîche, voire froide. On peut cependant supposer que cette pratique était peu usitée et les baigneurs plutôt rares - hormis les sujets britanniques. Les aristocrates qui avaient fui en Angleterre pour échapper à la Terreur vont également contribuer à leur retour en France à donner l'exemple. Ainsi Madame de Boigne avait expérimenté les bains de mer lors de son exil et décide de renouveler l'expérience à Dieppe :
C'était au commencement de l'Empire,en 1806. Dépérissant « à vue d'œil » par suite d'une fièvre intermittente à laquelle les médecins ne comprenaient rien, Mme de Boigne décida de prendre des bains de mer. Ce que personne ne pratiquait en France, et à peine si l'on avait essayé en Angleterre. A Dieppe, quelle choisit, ses équipages firent sensation. [...] Avec une petite charrette couverte, son frère lui procura à grand' peine et à grands frais, un homme pour mener le cheval jusqu'à la lame et deux femmes pour entrer dans la mer avec elle. Et un pareil branle-bas avait à tel point excité la curiosité qu'il y avait foule sur la grève. On demandait à ses gens si elle n' avait pas été mordue par un chien enragé. Un vieux monsieur vint trouver son père pour lui représenter qu'il assumait une grande responsabilité.
Toujours est-il que l’aristocrate recouvre la santé et qu’elle va peu à peu faire école. En 1808, la légende napoléonienne nous apprend que l'Empereur s’est baigné plusieurs fois à Biarritz : l’épisode nous est relaté comme un véritable événement à l'occasion duquel de nombreux marins ont été réquisitionnés pour parer à un éventuel raid anglais. Sa soeur Caroline n'hésite pas à suivre son exemple. On prend soin de préciser que tous deux furent légèrement indisposés après le bain : les contemporains restent méfiants !
En 1770, paraît la traduction française d'un ouvrage écrit par un Britannique : Utilité des voyages sur mer, pour la cure de différentes maladies, & notamment de la consomption. Suite à un drame survenu dans son entourage, la reine Hortense (fille de Joséphine de Beauharnais, et elle-même mère du futur Napoléon III) souffre de cette maladie caractérisée par un état d'affaiblissement et de maigreur extrêmes. Son médecin personnel, le docteur Lasserre, décide alors d'utiliser la méthode du choc thermique en lui prescrivant des bains de mer. Sur cette même plage de Dieppe en 1813, devant une foule d'autochtones curieux, portée à bout de bras par deux solides marins, Hortense est immergée à plusieurs reprises dans la mer. Elle y prend huit bains. L'effet de ce traitement semble peu convaincant, puisque le praticien décide de passer par la suite à des bains de mer chauds.
Outre les patients atteints de la rage ou de consomption, on prétendait également guérir les aliénés en les immergeant au bout d'une corde en pleine mer le temps d'un Ave Maria. C'est ainsi qu'on envoie à Dieppe ceux qui perdent leurs nerfs au moment de la chute du système de Law ! Au XIXe siècle, des médecins comme Pouget, Roccas, Gaudet, Hameau, Mourgué nous relatent leurs expériences sur des patients plongés dans les flots, mais bien souvent doivent avouer que les effets n'en sont pas probants.
Mais en réalité c'est une personne en pleine santé, la duchesse de Berry, Marie-Caroline qui lance la mode en 1825 en se plongeant au début précautionneusement, puis ensuite sans crainte dans les flots. A chaque ouverture de la saison estivale, cela devient un véritable cérémonial.
L'historien Jules Berlaut nous raconte :
Défense était faite à quiconque de se plonger seul dans l'onde. Chaque baigneur y était porté par de solides gaillards appartenant à l'établissement. On trempait les clients dans l'eau, la tête la première.
Pours des raisons de santé, Napoléon III et l'impératrice Eugénie fréquentent assidûment Biarritz. L'Empereur tentait notamment d'y soigner des calculs à la vessie. Ce ont eux qui vont contribuer au succès de cette villégiature. En 1848, on voit apparaître les premiers trains de plaisir qui font le trajet Paris-Dieppe le dimanche : une désignation trompeuse car les wagons sans toit livraient les voyageurs aux intempéries. En 1859, le fils de Hortense et demi-frère de Napoléon III, le duc de Morny crée la station balnéaire de Deauville. Au début du XXe siècle, les baigneurs ou baigneuses y font encore sensation comme en atteste cette photographie :
Désormais les classes aisées de la société française - qu'elles soient bien-portantes ou souffrantes - peuvent venir respirer l'air iodé et pour les plus audacieux s’immerger dans l'océan. Il faudra attendre 1936 avec l'avènement des congés payés pour assister à la démocratisation de lieux jusque-là inaccessibles à la classe ouvrière.
Pour aller plus loin, découvrez les sélections du parcours Se soigner par les eaux.
Commentaires
bains de mer
Un article très intéressant et des photos fantastiques. Très surprise de découvrir que l'attrait des bains de mer a seulement un peu plus de cent ans en France et que l'eau a représenté pendant des siècles un danger pour la santé, C'est vraiment incroyable: ce qui nous semble normal et naturel aujourd'hui, en fait n'a absolument rien de normal et de naturel. Probablement, on fera demain des choses qui nous semblent encore impensables aujourf'hui .... Je fais partie de cette génération qui garde le souvenir du premier ordinateur, de la première machine à écrire électrique, de la première fois sur Internet, du premier portable. La mémoire de ce qui change et a changé me semble un énorme privilège par rapport à celles et ceux qui ont 20 ans aujourd'hui ... Cela fait vraiment réfléchir.
les bains de mer
Bonjour Madame, Bonjour Monsieur,
Merci pour votre archive passionnante sur les bains de mer.
Je vous souhaite une belle journée.
Bien cordialement
Alberte Barsacq
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