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Pierre-André Latreille, « Prince de l’entomologie » (1762-1833)

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31 janvier 2024

Le blog Gallica vous emmène à la découverte de la vie et de l’œuvre d’un des plus grands entomologistes français, précurseur d’une nouvelle classification des insectes et autres arthropodes, dont s’inspirèrent ses successeurs jusqu’à nos jours.

P.A. Latreille / Ambroise Tardieu, 1823

Prémices d’une vie dédiée à l’entomologie

Pierre-André Latreille naît le 29 novembre 1762 à Brive-la-Gaillarde, lieu reconnu par ses biographes et de lui-même, mais qui fut discuté selon certains écrits, comme le cahier des baptêmes de Saint-Sernin-de-Larche où il est enregistré sous le nom Pierre André. Il devra faire appel bien plus tard (1799-1800) aux tribunaux pour faire reconnaître son patronyme. Sa mère, dont on ne sait rien, l’abandonne dès la naissance devant une église. Il est recueilli par un couple de paysans. Latreille est le fils naturel du général Jean-Joseph de Sahuguet d'Amarzit, baron d'Espagnac et gouverneur des invalides. Ce dernier, bien que ne l’ayant pas reconnu officiellement, sera toujours présent dans l’éducation de son fils, principalement par l’intermédiaire du médecin ayant accouché la mère du garçon et de M. Pierre Malepeyre, qui lui donne le goût des sciences naturelles. Le général décède en 1783, et laisse un grand vide dans la vie de Latreille.

Le général Sahuguet
Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, 1900

Après un passage au collège du Cardinal-Lemoine à Paris, Latreille rejoint le séminaire de Limoges. Il est ordonné prêtre en 1786 et retourne à Brive. Là, il consacre sa vie à la piété et aux sciences, s’intéressant particulièrement aux insectes, notamment par l’étude du Species insectorum de l'entomologiste danois Johan Christian Fabricius.

Genera insectorum Linnaei et Fabricii : iconibus illustrata / a Ioanne Iacobo Roemer, 1789

Lorsque la Révolution éclate, Latreille, gravement malade ne peut prêter le serment civique obligatoire, acte qui lui fut refusé par la suite. Quelques mois après la parution d’un premier mémoire sur les Mutilles de France, il est arrêté et emprisonné à Tulles, puis Brive et enfin condamné à la déportation au bagne de Cayenne par le tribunal de Bordeaux. Du fond de sa prison, il continue néanmoins ses études entomologiques comme il peut, par l’observation des insectes de sa cellule.

LATREILLE — « C'est donc un insecte rare que vous venez de trouver ? »
La Science populaire : journal hebdomadaire illustré / rédacteur en chef Adolphe Bitard, 04/07/1881

Sa passion lui vaut d’avoir la vie sauve : un jour qu'il reçoit la visite du médecin des prisons, Latreille se trouve en train d’étudier ce qu’il croit être un clairon à corselet roux, espèce rare – mais qui est en fait un Necrobia ruficollis. Le médecin, intrigué par le comportement de Latreille, relate ces faits à Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, jeune baron naturaliste de 15 ans partageant les idées révolutionnaires et admirant les travaux de Latreille. Par ses relations, Bory obtient la liberté du prisonnier contre la nécrobie, qu'il désirait. Bory n’empêche pas seulement la déportation de Latreille mais lui sauve bel et bien la vie car le bateau qui emporte les autres condamnés coule peu après son départ.

Necrobia ruficollis
Essai monographique sur les clérites, insectes coléoptères. Tome 2 / par le Mquis Maximilien Spinola,..., 1844 (fig 6)

Ayant recouvré la liberté, Latreille poursuit sa vie dévouée aux sciences et surtout à l'entomologie, domaine naturaliste qui a débuté au 17ème siècle avec les recherches de Malpighi sur l'anatomie du ver à soie et celles de Swammerdam sur les métamorphoses, mais que Buffon méprisait : « Une mouche ne doit pas tenir dans la tête d'un naturaliste plus de place qu'elle n’en tient dans la nature… ».

A contrario des idées de ce célèbre savant, Latreille va devenir l’un des principaux fondateurs de l’entomologie moderne, en étant un des grands noms de la classification animale (regroupement des animaux selon la distinction de leurs caractères morphologiques ou leurs métamorphoses dans des ensembles nominatifs, subdivisés en plusieurs autres entités successives), principalement celle des insectes mais aussi celle plus large des arthropodes qu’il partage en trois classes, les insectes donc mais aussi les crustacés et les arachnides.

Classification des arthropodes en quelques ouvrages

En 1796, Latreille propose ses premières vues de sa classification zoologique dans son Précis des caractères génériques des insectes, disposés dans un ordre naturel, ouvrage qui préfigure la classification de Jean-Baptiste Lamarck parue en 1809 dans son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres. Depuis 1798, Latreille est employé comme « aide-naturaliste » (équivalent d’assistant ou d’auxiliaire) auprès de Lamarck, qui occupe la chaire des animaux sans vertèbres du Muséum d’histoire naturelle à Paris. Les deux hommes ont une passion commune pour les insectes, ce qui les rapproche grandement.

De 1802 à 1805, Latreille publie une Histoire naturelle, générale et particulière, des crustacés et des insectes, en 14 volumes, un ouvrage considérable et déjà fort remarqué à l’époque. Dans le suivant, Genera crustaceorum et insectorum secundum ordinem naturalem in familias disposita, iconibus exemplisque plurimis explicata, œuvre capitale parue entre 1806 et 1809, Latreille affine la classification des arthropodes et décrit les nouvelles espèces qui sont venues enrichir ses collections.

Histoire naturelle, générale et particulière, des crustacés et des insectes, ouvrage faisant suite aux oeuvres de Leclerc de Buffon, et partie du Cours complet d'histoire naturelle rédigé par C.-S. Sonnini,... Par P.-A. Latreille,.... Tome 12, 1818

En 1810, il pose plus nettement les bases modernes de la systématique (science de la classification) dans Considérations générales sur l'ordre naturel des animaux, prenant en compte avec plus de précision encore que Lamarck la morphologie des pièces buccales, celle des ailes, les métamorphoses, etc. Les travaux de Latreille lui valent la reconnaissance de ses pairs, notamment de Cuvier qui lui confie la rédaction du tome III de son Règne animal distribué d’après son organisation (1817), consacré aux arthropodes (crustacés, arachnides et insectes). En 1818 Latreille publie son Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature.

Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature. Vingt-quatrième partie. Crustacés, arachnides et insectes, par M. Latreille, 1818

Plus tard, en 1824, paraît Esquisse d’une distribution générale du règne animal, un petit ouvrage de 24 p., sorte d’introduction à son prochain ouvrage majeur, publié en 1825 : Familles naturelles du règne animal exposée succinctement et dans un ordre analytique, avec l’indication de leurs genres, dans lequel il sépare les amphibiens des reptiles, suivant en cela les travaux d’Alexandre Brongriart. A propos de ce dernier ouvrage, dans La France littéraire ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France… (1827-1839), on peut trouver un commentaire résumant la démarche sur la Systématique (ou Classification) de Latreille :

Traiter en un seul volume toute la zoologie, réunir dans autant de cadres les animaux articulés et zoophytes, offrir en peu de mots l’organisation tant extérieure qu’intérieure de chacun de ces groupes, présenter leurs divisions en autant de races, classes, de sections, d’ordres, de familles et de tribus ; décrire leurs caractères distinctifs, et arriver enfin à l’énumération de tous les genres : tel est le plan adopté et suivi par l’auteur.»

HISTOIRE NATURELLE, Insectes, la Tête, la Poitrine, le Tronc, et les Membres
Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature : insectes, papillons, crustacés et arachnides, par M. Latreille, 1830

Latreille est, grâce à sa sagacité et son ingéniosité, un novateur dans le domaine de la systématique, ayant réussi le premier à rassembler, réutiliser, approfondir et améliorer les divers critères des classifications des arthropodes émises par d’autres savants. Ainsi réussit-il à créer sa propre classification plus élaborée, dont s’inspireront ensuite d’autres savants. Il reste le premier à créer des catégories comme les familles ou les tribus, de rang supérieur aux genres qui prédominaient à l’époque et rendaient encore confuse la différenciation des insectes.

Autres ouvrages et autres destinées

En dehors des ouvrages plus spécifiquement consacrés à la classification méthodique des arthropodes, Latreille a publié de nombreux autres écrits. Son mémoire sur les Mutilles lui permet en 1791 d’être nommé membre de la Société d’histoire naturelle de Paris. On lui doit aussi des ouvrages d’histoire naturelle sur d’autres animaux comme les salamandres, les singes ou les reptiles. On trouve dans La France littéraire ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France (1827-1839) une bibliographie conséquente des œuvres de Latreille. Notons enfin son Cours d'entomologie, ou De l'histoire naturelle des crustacés, des arachnides, des myriapodes et des insectes paru en 1831.

Cours d'entomologie, ou De l'histoire naturelle des crustacés, des arachnides, des myriapodes et des insectes. Année 1, ATLAS / par M. Latreille,..., 1832

En 1814, Latreille devient membre de l’Académie des sciences. Dans les années 1820, il supplée puis succède (avec Ducrotay de Blainville) à Lamarck, devenu aveugle, à la chaire d’entomologie du Muséum. Au décès de Lamarck, en 1829, cette chaire est divisée en deux chaires, celle des mollusques et celle des articulés dévolue à Latreille qui prononça alors ces mots : « on a attendu, pour me donner un morceau de pain, que je n’eusse plus de dents ». Lamarck et les autres professeurs disaient pourtant de Latreille, qu’il repoussait les bornes des sciences naturelles et que « ses collègues et maîtres pouvaient reconnaître sa suprématie dans la connaissance des insectes »

Limoges illustré : publication bi-mensuelle : artistique, scientifique et littéraire ["puis" Annales limousines, revue artistique...], 14/04/1907

Latreille est également reconnu pour les grandes qualités et richesses de son enseignement. Il exerce notamment à l’École vétérinaire d’Alfort et au Muséum de Paris, où il rencontre de nombreux autres savants. A la fin de sa carrière, en 1832, Latreille et d’autres naturalistes fondent la Société entomologique de France, dont il devient le premier président honoraire.

P.-A. Latreille
Buste par Merlieux (photographie par PH. Lalande)
Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, 1906

Le « Prince de l’entomologie », ainsi que le surnomma Fabricius, décède à Paris le 6 février 1833, à l'âge de 71 ans. Il repose au cimetière du Père Lachaise (39ème division) sous un obélisque de plus de 2 mètres de haut, surmonté d’un buste en bronze sur lequel est gravée une inscription en hommage à la Nécrobie lui ayant sauvé la vie (« Necrobia ruficollis Latreillii salus anno 1793 »), ainsi qu’une figure de l’insecte agrandie dix fois. La classification taxinomique et méthodique des arthropodes de Pierre-André Latreille, est encore largement utilisée de nos jours.

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