Que lisaient les Petites filles modèles et David Copperfield ?
À l’occasion du salon du livre et de la presse jeunesse, Gallica revient sur quelques héros enfants de la littérature pour la jeunesse et s'interroge sur leurs lectures.
Dans l’épisode de la « Poupée mouillée » des petites filles modèles de la comtesse de Ségur, la lecture est un moment de délassement au moment du coucher. Un jour d’orage, « les petites jouèrent à cache-cache dans la maison ; Mmes de Fleurville et de Rosbourg jouèrent avec elle jusqu’à huit heures et demie, heure du coucher de Marguerite. Camille et Madeleine, fatiguées de leurs jeux, prirent chacune un livre ; elles lisaient attentivement : Camille, le Robinson suisse, Madeleine les contes de Grimm ».
Le Robinson suisse de Johann Rudolf Wyss évoque la mode des « robinsonnades » qui perdure tout au long des XVIIIe et XIXe siècle, à partir de la publication du Robinson Crusoé de Daniel Defoe en 1719. Ces récits s’inscrivent dans la tradition des livres primitivement adressés à des adultes qui ont été détournés et récupérés par les enfants. Jean-Jacques Rousseau fait de Robinson Crusoé le premier livre à mettre entre les mains de son Emile, ce qui relance sa notoriété éditoriale. De nombreuses adaptations pour la jeunesse paraissent à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en se focalisant sur l’épisode insulaire et en désamorçant la force subversive du roman. Gallica propose plusieurs versions du Robinson suisse, à son tour adapté et abrégé : l’édition Hetzel revue par l’éditeur lui-même, une édition illustrée introduite par Charles Nodier, des versions issues de l’imagerie d’Epinal, etc.
Dans Les Vacances, la suite des Petites filles modèles, la comtesse de Ségur introduit à son tour une robinsonnade, à travers le récit des aventures de Paul et M. de Rosbourg : leur naufrage, leur vie sur une île chez les « sauvages » et leur retour en France.
Les filles du Dr March, de Louisa May Alcott, sont aussi des lectrices, notamment les deux aînées. Jo se réfugie au grenier pour lire. « Meg, grimpant l’escalier, trouva sa sœur occupée à croquer une pomme, tout en pleurant sur un livre qu’elle lisait. Elle était enveloppée dans sa pèlerine et étendue au soleil, près de la fenêtre, sur un vieux sofa veuf d’un de ses pieds. C’était là le refuge favori de Jo, là qu’elle aimait à se retirer avec ses livres favoris, pour jouir pleinement de sa lecture […]. Jo essuya ses larmes et mis son livre de côté ». De son côté, lorsque sa sœur sort « chercher les aventures », Meg préfère « se rôtir les pieds et lire Ivanhoë » de Walter Scott.
À son tour, Simone de Beauvoir, qui lut le roman directement en anglais, raconte dans les Mémoires d’une jeune fille rangée combien le personnage de Jo fut important pour elle.
Pour le jeune David Copperfield de Charles Dickens, la lecture constitue un refuge face aux brimades imposées par son beau-père. « Le résultat de ce traitement, qui dura pendant six mois au moins, fut, comme on pouvait bien le croire, de me rendre grognon, triste et maussade. Ce qui y contribuait aussi infiniment, c’était qu’on m’éloignait toujours davantage de ma mère. Une seule chose m’empêchait de m’abrutir absolument. Mon père avait laissé dans un cabinet, au second, une petite collection de livres ; ma chambre était à côté, et personne ne songeait à cette bibliothèque. Peu à peu, Roderik Random, Peregrine Pickle, Humphrey Clinker, Tom Jones, le vicaire de Wakefield, don Quichotte, Gil Blas et Robinson Crusoé sortirent, glorieux bataillon, de cette précieuse petite chambre pour me tenir compagnie. Ils tenaient mon imagination en éveil ; ils me donnaient l’espoir d’échapper un jour à ce lieu. […] C’était ma seule et ma fidèle consolation. » Le traducteur Sylvère Monod (éd. Garnier, 1956) précise que « tout ce qu’écrit ici David s’applique rigoureusement aux lectures d’enfances de Dickens lui-même ».
Mais la lecture n’est pas toujours plaisir et consolation. Pour le pantin de bois Pinocchio, l’apprentissage de la lecture est un long chemin de croix.
« Mais, ajouta Pinocchio, pour aller à l’école, il me manque encore quelque chose. Il me manque encore le plus important. […] Il me manque l’alphabet.
- Tu as raison, mais comment nous le procurer ?
- C’est très facile ; on va chez un libraire et on l’achète.
- Et de l’argent pour l’acheter ? […]
[Gepetto] endossa son vieux paletot de futaine tout reprisé et rapiécé, puis il sortit de la maison, en courant. Peu de temps après, il revint. Et quand il revint, il tenait à la main un alphabet pour son fils. Mais il n’avait plus de paletot. » (trad. Mme de Gencé, éd. Livre de poche jeunesse, 1983)
Mais sur le chemin de l’école, le « petit garçon » est attiré par le Grand théâtre des marionnettes et revend son alphabet pour y avoir accès : première embûche d’une longue série sur le chemin de la raison et de l’instruction ! Après des mois passés au Pays des jouets, Pinocchio se voit même pousser des oreilles d’âne, puisque comme le lui rappelle la Marmotte : « tous les enfants paresseux qui méprisent les livres, l’école et les maîtres, qui passent leurs journées aux jeux et aux divertissements, doivent tôt ou tard être transformés en petits ânes ».
Pour aider tous les Pinocchio, Gallica propose un parcours chronologique et thématique dans les abécédaires.
Pour aller plus loin :
Chapron, Emmanuelle. « Comment Robinson Crusoé est entré au collège : carrières littéraires et fabrique d’un classique au XVIIIe siècle », Revue historique, vol. 680, no. 4, 2016, pp. 763-784.
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