Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

D’or et de pierre : un portrait d’Alexandre le Grand en camée

0

Parmi les œuvres qui seront présentées dans le musée de la BnF figure un camée antique exceptionnel montrant un portrait d’Alexandre le Grand, roi des Macédoniens de 336 à 323 av. J-C. Parfois attribué au maître Pyrgotélès, le seul qui fut autorisé par le conquérant à reproduire son effigie, cette pierre gravée est un chef-d’œuvre autant par la qualité remarquable du portrait que par le prestige de ses possesseurs successifs, tels Rubens ou Louis XIV.

Camée au portrait d’Alexandre. Sardonyx taillée en camée et or émaillé, 32 mm de diamètre sans la monture, 46 mm avec monture. BnF, MMA, Camée.222.
 

Un portrait d’Alexandre le Grand

L’objet n’est pas grand. La pierre gravée à proprement parler est sertie dans une monture en or émaillée, le tout n’excédant pas 46 mm de diamètre. Cette monture, de l’époque de Louis XIV, probablement due à Josias Belle, orfèvre du roi, dans les années 1680, couronne le portrait de motifs floraux multicolores qui rehaussent encore la blancheur du visage d’Alexandre. Au centre, la pierre antique est une sardonyx à trois couches taillée en camée. La virtuosité de l’artiste s’exprime pleinement à travers la succession des champs, un par couleur en fonction de la profondeur de la gravure : rousse translucide pour le fonds, blanche à grisâtre pour le visage et les cheveux, et brune pour la corne et la tempe.
La tête d’Alexandre est orientée à droite, la bouche est légèrement entrouverte. Le roi, un jeune homme, est d’abord reconnaissable à ce qui est communément nommé l’anastolé : ces deux grandes mèches ramenées en arrière en vague de part et d’autre du front. Par ailleurs, la tête est ceinte d’un diadème, un bandeau de tissu noué sur la nuque par un nœud à pans. Enfin une large corne de bélier nait sur la tempe du souverain pour s’enrouler autour de son oreille.

Peu de figures de l’Antiquité sont aujourd’hui connues presque de tous. Alexandre le Grand compte indubitablement parmi cette élite, aux côtés notamment de Cléopâtre VII et de Jules César. Or la quête des traits du conquérant macédonien n’a jamais suscité les mêmes passions que pour ces deux derniers. Peut-être est-ce en partie car les accomplissements du roi de Macédoine, devenu en quelques années le maître de l’immense Empire perse achéménide, ont fait de lui presque de son vivant un être supérieur, destiné d’emblée à la mythification, à la divinisation. A l’inverse, la postérité de César et plus encore celle de Cléopâtre se fonde largement sur la tragédie de trajectoires personnelles, presque intimes, sans cesse réactualisées à l’aune des évolutions de nos sociétés modernes. Sans doute est-il aussi question de l’offre. Autant les portraits reconnus comme ‘fidèles’ de Cléopâtre ou de César sont rares, autant ceux d’Alexandre sont nombreux, cela dès après sa mort, le 11 juin 323 av. J.-C. Par ailleurs, l’abondance des images du roi va de pair avec une codification de ses représentations, pour permettre de le reconnaître d’abord, mais aussi pour faire apparaitre ses vertus. 

Un portrait royal et divin

Tétradrachme de Lysimaque, Lysimachie (Thrace), vers 305-281 av. J.-C. Argent, 17,23 g, 32 mm. BnF, MMA, Armand Valton 290.

Ce camée s’inscrit parfaitement dans cette vaste production de portraits antiques du souverain, dont plusieurs modèles aux postérités diverses furent rapidement établis. Ceint du diadème et muni d’une corne de bélier, ce portrait évoque la double nature d’Alexandre, à la fois Βασιλεύς basileus », soit « roi » en grec) et dieu. Il est en cela semblable – presque identique même – aux portraits d’Alexandre qui ornent le droit des monnaies d’or et d’argent de Lysimaque (361-281 av. J.-C.), un de ses compagnons, candidat surtout pour la captation de l’héritage du conquérant. 
Frappées en Macédoine, en Thrace et en Asie Mineure entre vers 305 et 281 av. J.-C., ces pièces ont un format très semblable au camée. Au-delà des éléments constitutifs du portrait (anastolé, diadème et corne), de nombreux exemplaires présentent de fortes parentés stylistiques avec la pierre qui nous intéresse ici, ce qui permet d’envisager une influence, sans que l’on puisse toutefois déterminer l’antériorité de l’un par rapport à l’autre. D’autres correspondances peuvent être établies hors du champ numismatique, par exemple avec la très belle intaille en tourmaline conservée à l’Ashmolean Museum.

                   
Intaille en tourmaline au portrait d’Alexandre le Grand, fin du IVe siècle av. J.-C. Ashmolean Museum, AN1892.1499.

Le diadème, ce bandeau de tissu noué autour de la tête du souverain, exprime sans ambiguïté la condition royale d’Alexandre. S’il ne faut pas confondre cet ornement avec les couronnes des rois médiévaux et modernes – le diadème n’est pas destiné à être transmis, et le retirer ne signifie pas le renoncement du souverain –, il est la preuve visible et tangible des vertus royales et du soutien des dieux dont bénéficie son porteur. C’est ainsi que le diadème est devenu à l’époque hellénistique l’ornement indispensable et bien souvent unique des représentations royales. 

                
Tête de Zeus-Ammon, Égypte, époque ptolémaïque (IVe-Ier s. av. J.-C.). Albâtre, h. 9 cm. BnF, MMA, Delepierre.ma.19.

La corne de bélier renvoie quant à elle à un épisode précis de la vie d’Alexandre : sa visite au sanctuaire de Zeus-Ammon dans l’oasis de Siwa durant l’hiver 332/1 av. J.-C. Après avoir établi son autorité sur l’Égypte, le roi des Macédoniens s’engage dans la traversée du désert occidental pour y recueillir l’oracle, déjà célèbre depuis longtemps parmi les Grecs, notamment par l’intermédiaire des Cyrénéens. Le souverain y aurait appris sa filiation avec le dieu. C’est cette divinité que matérialise la corne de bélier, animal sacré d’Ammon, et attribut de Zeus-Ammon. Il est probable que l’ajout de ces cornes aux portraits du conquérant n’ait pas été initié de son vivant, mais plus vraisemblablement peu de temps après sa mort, durant le dernier quart du IVe siècle av. J.-C.
Ainsi un très grand nombre de portraits d’Alexandre, notamment monétaires, sont affublés de cet appendice. Les cornes deviennent même un élément récurrent des portraits divinisés et sont soigneusement signalées, même lorsqu’elles sont éclipsées par un autre attribut, comme par exemple sous la coiffe à tête d’éléphant qui orne les tétradrachmes de Ptolémée Ier, un autre successeur autoproclamé du conquérant. Dans ce cas la coiffe, évoquant la conquête de l’Afrique (l’Égypte) et l’égide, cette cuirasse de Zeus couverte avec la peau de la chèvre Amalthée, se superposent simplement au diadème et à la corne.

Tétradrachme de Ptolémée Ier, Alexandrie (Égypte), vers 306 av. J.-C. Argent, 15,61 g, 31 mm. BnF, MMA, M 2157.

Au final le camée qui nous intéresse ici livre une synthèse iconographique du personnage d’Alexandre à la fois physique (jeune homme, anastolé) et idéologique (roi et dieu). Il concentre les principaux éléments qui au fil des siècles perpétueront l’image du souverain, support visuel des récits de son Anabase, sa conquête de l’Orient, et figure fondatrice du monde nouveau qu’il engendra. 

Les tribulations européennes d’un camée au XVIIe siècle

De par leur rareté et leur préciosité alliée à l’intérêt de leur iconographique et à la qualité de l’exécution, les pierres gravées antiques sont depuis longtemps très prisées des collectionneurs. Le camée d’Alexandre remplit toutes ces conditions, à tel point que certains auteurs l’attribuent à Pyrgotélès, le plus fameux graveur de pierre fine, contemporain d’Alexandre. Ce camée constitue donc une œuvre remarquable qui, à l’instar de plusieurs autres objets conservés au département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF, a suscité la convoitise des plus prestigieux amateurs d’antiques. 

   
A gauche : Autoportrait de Pierre Paul Rubens (1577-1640). Kunsthistorischen Museum de Vienne, Inv.Nr. GG 527. A droit : Estampe de l’atelier de Rubens représentant trois camées de sa collection, dont celui d’Alexandre en haut, à droite. British Museum, 1891,0414.1238. Le dessin original de Rubens est conservé à Winterthur, Kleinmastersammlung. Les deux autres camées ont eu le même parcours et sont également conservés à la BnF : en haut à droite, Marc-Antoine sous les traits d’Alexandre le Grand, en dessous, Messaline et ses enfants, Octavie et Britannicus.
 

Portrait de George Villiers, premier duc de Buckingham par Pierre-Paul Rubens, 1625, photographie de l’original détruit en 1949. Witt Library, Courtauld Institute of Art.
 

Le premier détenteur connu du camée est le célèbre peintre et collectionneur brabançon Pierre-Paul Rubens (1577-1640). En 1622, ce dernier dessina le camée et le fit graver et reproduire avec d’autres de sa collection. Nous ne savons pas d’où lui-même tenait cet objet. Seule est connue sa vente avec plusieurs autres pierres en 1625 à George Villiers, premier duc de Buckingham (celui des Trois Mousquetaires de Dumas !) tandis que l’artiste faisait son portrait. Son fils se dessaisit de sa collection de pierres gravées en 1651 à Paris par l’intermédiaire du poète Abraham Cowley. C’est sans doute par ce biais que plusieurs camées dont celui d’Alexandre sont acquis par Gaston d’Orléans (1608-1660). Célèbre d’abord pour son opposition à son frère Louis XIII et au cardinal de Richelieu, son goût pour les antiques en fit aussi un des plus importants collectionneurs de monnaies et de pierres gravées de son temps. Il légua finalement l’intégralité de ses collections à son neveu Louis XIV, qui put ainsi accroître dès 1661 les collections royales de manière considérable. Héritier du Cabinet du Roi, le département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF conserve dès lors et jusqu’à aujourd’hui le camée d’Alexandre.

      
A gauche : Portrait de Gaston d’Orléans par Anton Van Dyck, 1634. Musée Condé, Chantilly, salle de la Tribune. A droite : Portrait de Louis XIV en armure par Robert de Nanteuil, 1666. BnF, EST, RESERVE B-7 (4)-FT 5.
 

Pour aller plus loin :


Reproduction du camée d'Alexandre dans E. Babelon, Le Cabinet des antiques à la Bibliothèque Nationale : choix des principaux monuments de l'Antiquité, du Moyen-âge et de la Renaissance, conservés au département des médailles et antiques de la Bibliothèque nationale, 1887-8, pl. LVIII, fig. 2.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.