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La pluralité des mondes, des sciences à la littérature (2)

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30 juillet 2019

A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l’engouement pour les autres mondes va de pair avec le développement de l’aéronautique. Les voyages sur d’autres planètes deviennent envisageables. Le public se passionne aussi pour le merveilleux-scientifique, science-fiction à la française, nouveau genre littéraire qui transporte le lecteur dans des univers imaginaires, inconnus, étranges, inquiétants, à la découverte de la pluralité des mondes et des modes de communication extra-terrestres physiques ou spirituels.

"La planète Mars approche". Le Sourire (20 novembre 1909)

A cette époque, on ne peut désormais qu’admettre la place de la Terre dans l’univers et la possibilité des autres mondes. Les sciences et l’imagination s’enrichissent mutuellement. Le merveilleux-scientifique interpelle car, s’appuyant sur les avancées des sciences, il ne parle pas de ce qui est ou sera mais de ce qui pourrait être. Avec la diffusion grandissante des sciences dans le grand public, les travaux scientifiques côtoient donc l’imaginaire d’auteurs littéraires inventant d’autres êtres «vivants», d’autres civilisations, en transcendant, en dépassant, en déformant les faits et les théories scientifiques.

Prenons un exemple concret : pour communiquer avec les martiens, reprenant une idée de Charles Cros datant de 1869, l’astronome  W.-H. Pickering propose en 1909 d’utiliser d’immenses miroirs qui feraient des signaux lumineux en renvoyant des rayons vers Mars, théorie fantaisiste que l’astronome M. E.-L. Larcking s’empresse de moquer d’un point de vue strictement scientifique et technique. Pour autant, cela peut être repris dans une œuvre basée sur le merveilleux-scientifique : la méthode n’est pas faisable scientifiquement et techniquement mais elle le devient pour les lecteurs qui se laissent persuader de sa véracité par l'auteur.
Le merveilleux-scientifique et de nombreux écrits qui l’inspirent s’adressent à l’intelligence, à la fécondité de l’esprit humain pour l’inviter à dépasser les frontières des dogmes, des idées reçues ou préconçues. Il est considéré possible de communiquer avec d’autres formes de vies dans le temps et l’espace ou avec des âmes extra-terrestres, mais aussi avec des civilisations souterraines voire intérieures au corps humain.

Avec le merveilleux-scientifique, les lecteurs découvrent des savants géniaux et leurs inventions extraordinaires de transport et de communication. Les romanciers imaginent des moyens pour annihiler la gravité terrestre et léviter sur les autres mondes, utiliser les rayons du soleil (radiotéléphonographe interplanétaire) ou différents types de rayons transporteurs. S’inspirant de la Cavorite d’H. G. Wells, des substances comme le Mirzium imaginé par Marcel Roland ou la Répulsite du Docteur Oméga, savant mis en scène par Arnould Galopin, permettent le voyage interstellaire. Des humains voyageant vers l’infini cherchent à entrer en communication avec d’autres planètes comme Mars, planète reine du public de l’époque. Citons par exemple A la surface de Mars d’Alfred de Fonvielle ou Ciel contre Terre d’Henri Allorge, qui font écho aux travaux scientifiques de Nicolas Tesla ou de Francis Galton sur la communication par ondes radio avec cette planète, eux-mêmes se basant sur les découvertes autour de la TSF. La communication peut donc s’effectuer à distance, par les ondes hertziennes de la radio-communication.  
Plus terre à terre, Gustave Le Rouge ou Théo Varlet proposent de dessiner des messages géométriques sur le sol, visibles de très loin par les extra-terrestres. Il s’agit aussi d’allumer d’immenses feux visibles depuis l’espace, ou bien d’envoyer des signaux à l'aide d'immenses phares, distants de plusieurs kilomètres et de très forte puissance comme suggéré par Charles Torquet.
A. Mercier envisage de mettre des réflecteurs sur la Tour Eiffel, s’inspirant des projecteurs Mangin. Avec Auguste Villiers de L’Isle-Adam, le personnage imaginaire projette de la publicité dans les cieux (l’affichage céleste) pour capter l’attention des extra-terrestres. On peut aussi chercher à capter les ondes extraplanétaires grâce à des ballons envoyés dans les cieux.
Le voyageur humain peut se rendre sur ces astres avec des engins volants comme des obus, fusées et autres véhicules transplanétaires. L’auteur peut aussi mystifier son héros et son lectorat en lui faisant croire qu’il va sur une autre planète comme Alfred Chapuis avec L'homme dans la Lune.

Le voyageur terrien peut également sortir son esprit, son âme de son corps sous la forme d’une espèce de fantôme appelée forme astrale ou spectrale et atteindre l’autre bout de notre univers, ou se rendre dans un autre univers que le nôtre. La transmission de pensée ou télépathie liée au spiritisme est aussi au goût du jour. On parle également de l’hypnose et des rêves qui nous emmènent dans d’autres mondes.
Les sciences psychiques font d’ailleurs l’objet d’études très sérieuses. Le docteur Charles Richet propose à un congrès de 1906 de nommer métapsychie l’ensemble des phénomènes sur lesquels les sciences psychologiques n’ont pas d’explication précise. Charles Fourier et Camille Flammarion parlent de «métempsychose», de réincarnation de l'âme dans des êtres vivants ou dans les astres, croyance déjà présente chez plusieurs civilisations antiques, notamment en Egypte.

La théorie de la quatrième dimension est en vogue depuis les travaux de Zölner (1878) ou Hinton (1880). H. G. Wells, un des grands auteurs ayant inspiré le merveilleux-scientifique, pense que « le temps EST la quatrième dimension » ; en 1895, il en a fait le thème central de son roman The Time Machine. Cette théorie de la quatrième dimension liée au temps apparait dans les travaux d’Hermann Minkowski dont la notion d’espace-temps est une des bases des théories sur la relativité, dont celles d’Albert Einstein sur la relativité restreinte (1905) et générale (1915).
Du point de vue de la pluralité des mondes, A. de Faugère nous explique en 1897 que la vie extra-terrestre peut être envisagée en dehors des lois régissant nos conceptions de la vie, dans un plan spatial différent du nôtre ; il pourrait même y avoir de multiples plans spatiaux habités par ces êtres différents.
Sur ces bases de métaphysique ou de physique, on peut, grâce au merveilleux-scientifique, se retrouver sur une autre Terre ou une autre planète, dans une dimension parallèle ou un autre temps, dans d’autres espaces-temps de vie, comme avec le roman Cybèle, voyage extraordinaire dans l’avenir de Jean Chambon. 

Au travers du merveilleux-scientifique, les civilisations imaginaires font l’objet des fantasmes les plus débridés et chacun peut se les imaginer petits hommes verts ou monstres visqueux, pourquoi pas ? Les extra-terrestres peuvent donc être des humanoïdes, c’est-à-dire avoir forme humaine, ou bien avoir toute autre forme rappelant des animaux, des végétaux ou des minéraux. Dans L’appel d’un autre monde, Charles Torquet nous décrit ainsi les martiens comme des géants de quatre fois notre taille humaine et intégralement poilus, ou comme des habitants des cavernes se déplaçant sur les murs tels des mouches ou bien encore comme des formes éthérées munies d’ailes.                      

Physiquement, des civilisations extra-terrestres peuvent venir à nous, portées par les comètes ou sur toutes sortes de véhicules spatiaux. Le merveilleux-scientifique nous met face à des monstres impressionnants, des formes de vies nouvelles, parfois bienveillantes et partageant volontiers leurs connaissances (Sélénites d’Henry de Graffigny),  mais surtout des formes hostiles cherchant à envahir la Terre, dominer ou détruire les humains comme dans La Guerre des mondes d’H. G. Wells, toujours source d’inspiration. Les extra-terrestres peuvent aussi nous kidnapper pour nous étudier ou étudier notre mode de vie. Ainsi, le fondateur du merveilleux-scientifique, Maurice Renard, dans son roman Péril bleu, montre-t-il les humains comme des cobayes qui sont enlevés par les habitants d’un autre monde dans des vaisseaux invisibles.

Les entités venues d’ailleurs peuvent prendre l’aspect de fantômes, de spectres, de nuages ou nuées ardentes douées d’intelligence. J.-H. Rosny aîné en fait des êtres de lumières dans les Xipéhuz. Le Horla de Guy de Maupassant ou L’hôte invisible de Noëlle Roger parlent même de réincarnation ou de possession surnaturelle. Maurice Leblanc avec son roman Les trois yeux raconte comment les extra-terrestres nous filment depuis des générations et cherchent à communiquer en projetant ce film de l’histoire de l’humanité sur le mur de la maison de son personnage qui croit à des revenants éthérés venus d’ailleurs. 

La pluralité des mondes peut aussi s’envisager microscopique ou se trouver dans les entrailles de la Terre. A l’échelle atomique, les infra-mondes où des électrons-planètes tournent autour d’atomes- soleils, font partie des sources  de l’imaginaire du merveilleux-scientifique. Cet imaginaire peut s’appuyer sur les connaissances astronomiques et sur la cosmogonie de la première moitié du XXe siècle, qui font aussi bien voir le monde atomique que l’immensité de l’univers et la petitesse de notre système solaire. Cela nourrit la pluralité des mondes possibles, de l’infiniment petit à l’infiniment grand.
Dans Les compagnons de l’univers de J. H. Rosny aîné, roman condensant cette immensité inconnue de l’univers, les autres univers de la quatrième dimension et la métaphysique, les personnages croient en des univers extra-sidéraux situés dans les vides entre les astres : le néant serait donc lieu ou source d’univers habités ? On voit là à quel point le merveilleux-scientifique peut emmener son lecteur vers des ailleurs sans cesse renouvelés.  

L’imagination franchit donc toujours plus de limites dans un univers décrit comme sans limites apparentes, tant intérieurement qu’extérieurement. L’imagination s’exerce dans un univers lié aux mystères de la vie que les sciences cherchent inlassablement à comprendre sans pouvoir jamais tous les résoudre, car il paraît évident que chaque question résolue en amène d’autres, processus qui se répète à l’infini.
 
Concernant l’idée de la vie « biologique » et la pluralité des mondes « vivants » dans l’univers, à l’époque du merveilleux-scientifique, laissons Henri Bergson conclure :

« nous sentons qu’aucune des catégories de notre pensée, unité, multiplicité, causalité mécanique, finalité intelligente etc., ne s’applique exactement aux choses de la vie ».

Les sciences et la pensée humaine ne semblent donc pas pouvoir embrasser l’étendue complète de ce que la vie représente réellement (question encore d’actualité). Cela laisse toute liberté aux romanciers du merveilleux-scientifique pour illustrer et imaginer avec délices et jubilation la pluralité des mondes en transformant cette rationalité scientifique dans leurs écrits.
Se basant sur cette incapacité des sciences dites rationnelles à tout prouver et expliquer, rien n’arrête l’imagination dans le merveilleux-scientifique ; c’est ce qui plaît au public des premières décennies du XXe siècle, public avide de sensations nouvelles et qui accepte d’autant plus facilement d’aller au-delà du réel, en lisant ces ouvrages sur la communication « extra-terrestre ». Bon voyage donc, en sciences et imaginaire, la tête dans les étoiles ou les pieds sur Terre, en attendant le premier contact avec d’autres que nous, ici ou ailleurs…

Pour aller plus loin

Le merveilleux-scientifique. Une science-fiction à la française est une exposition gratuite visible sur le site François-Mitterrand du 23 avril au 25 août 2019, aux horaires d'ouverture de la BnF.
 
Lire les articles consacrés au "Cycle-Merveilleux scientifique" dans le Blog Gallica.
 
Pour lire des récits merveilleux-scientifiques dans les fonds Gallica, une carte aux trésors, sous la forme d'une bibliographie en ligne.
 
Pour se promener dans la richesse visuelle et iconographique du mouvement, un compte Instagram.

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