L'Affaire Vidocq
Eugène-François Vidocq (1775-1857) est une figure légendaire. Il a inspiré les personnages de Vautrin d’Honoré Balzac, de Javert ou encore de Jean Valjean de Victor Hugo. Tour à tour brigand, militaire, bagnard, mouchard, chef de la police de Sûreté, inventeur de papier infalsifiable, il fut aussi le premier détective privé en fondant son agence. Ce qui lui valut par la suite des démêlés avec la justice retranscrits dans l’affaire Vidocq.
Le récit de ses hauts faits remplit les quatre volumes des Mémoires qu’il publia en 1828. Voici quelques traits qui illustrent le personnage : « J’étais voleur, je me fis mouchard » (Le Figaro du 6 décembre1828), ou encore cette observation de par Louis Canler, ancien chef de la Sûreté, rapportée dans ses Mémoires : « Pour pouvoir découvrir les voleurs, il faut l’avoir été soi-même », et enfin ces mots consignés dans les minutes de son procès : « J'ai délivré la capitale des voleurs qui l'infestaient. Je veux aujourd'hui délivrer le commerce des escrocs qui la dévalisent ».
Pour débuter notre enquête sur ce personnage, commençons par nous renseigner sur cette fameuse agence.
L'agence Vidocq
Dans son article « Vidocq et son Bureau de renseignements commerciaux », Eugène Le Senne affiche le prospectus que Vidocq lança pour annoncer l’ouverture de son agence :
C’était d’indiquer au commerce ces escrocs qu’on appelle en terme vulgaires des faiseurs, des briseurs. Ce sont des gens qui achètent de toutes mains, à crédit, et qui revendent aussitôt à 50 pour cent de perte ; c’était de faire connaître les faiseurs hauts placés ou se disant tels, qui ont des titres, des châteaux, des voitures, et qui volent aussi leurs tailleurs, leurs bottiers, leurs fournisseurs ; les escrocs du grand monde, les gens qui ont maison en ville, maison de campagne, chevaux de voitures et de selles, et qui cependant n’ont pas un sous de revenu, ne gagnent pas un sou de leur travail.
Physiologie du floueur, Ch. Philipon ; vignettes de Daumier, Lorentz, Ch. Vernier et Trimolet, 1842
L’entreprise a du succès, il dit avoir de 8 à 10000 clients et disposer de 20 agents. Mais sa renommée ne s’arrête pas là. Il propose maintenant aussi à sa clientèle puis aux particuliers des services dans un domaine plus privé : le constat d’adultère. Son agence de détective se spécialise ainsi dans les affaires sentimentales. Vidocq est très vite sollicité par des maris ou des femmes jalouses comme la « dame d’Argenteuil » (p.78 du procès). « Cette dame était jalouse [...] elle voyait partout son mari la tromper ». Il participera à des enlèvements à la demande d’amants ou de maris (p.77 du procès). Ces méthodes peu orthodoxes lui seront reprochées lors de son procès. Son client le plus célèbre est certainement Alfred de Vigny qui chargera Vidocq de prendre en filature sa maîtresse Marie Dorval (Vidocq/Éric Perrin). Ils découvriront qu’elle a un amant, Jules Sandeau, ancien amant de Georges Sand.
Mais on ne se refait pas, et son passé de policier refait vite surface. Son équipe va aussi se charger de retrouver des objets volés ou perdus (la trousse en vermeil du docteur Segalas, la tabatière en écaille du maire du XIe arrondissement) et, plus insolite, des animaux disparus (le perroquet du docteur Coreff ou le cheval de course du maire de Rouen).
Dans Le Figaro du 2 février 1833, Nestor Roqueplan écrit l'article « Un nouveau genre d’affaires », qui émet des doutes sur la probité des agents, la véracité des rapports du Bureau de renseignements de Vidocq, et se demande si l’autorité permettra que s’installe ce genre d’établissement… Les méthodes de Vidocq ne plaisent pas à tout le monde. Il se fait des ennemis notamment au sein de la police qu’il concurrence. Face à ses détracteurs, ou à des clients hésitants, Vidocq redouble de lettres de recommandations et de publicité. Au-dessus de sa porte, fièrement, il inscrivait « breveté du roi ».
Mais il n’est breveté que pour son papier infalsifiable. A la suite de son prospectus, il cite les noms des personnes honorables qui avaient été satisfaites de ses services et avaient fait solder leurs créances.
Un autre de ses clients, M. Le Marquis Duvivier accusait Vidocq de lui avoir soutiré de l’argent pour lui faire obtenir des décorations. L’affaire était gaie. Ce bon Marquis rêvait de La Légion d’honneur et était allé voir Vidocq :
Le Figaro du 15 mai 1922
Le 5 mai 1843, malgré la défense de son avocat Jules Favre, Vidocq est condamné à 5 ans de prison par la 6e Chambre correctionnelle de Paris. Mais en appel, le 22 juillet, après plaidoirie de Me Landrin réduisant à néant une série de calomnies, la Cour le relaxe (La Presse du 23 juillet 1843).
Dans une lettre intitulée « Résurrection ! Vidocq », à propos du procès intenté à son établissement de renseignements, il déclare, victorieux :
Tout le monde a pu lire dans les journaux mon arrestation préventive du 17 août 1842, les perquisitions faites dans les bureaux de mon administration de Renseignemens universels. Galerie Vivienne, 13 [...] cette fois comme en 1837, mon innocence a triomphé, et mon établissement ne sera pas fermé, au grand désespoir de mes calomniateurs.
Haine et guerre aux fripons, dévouement sans borne au commerce.
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