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L'Affaire Vidocq

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30 avril 2020

Eugène-François Vidocq (1775-1857) est une figure  légendaire. Il a inspiré les personnages de Vautrin d’Honoré Balzac,  de Javert ou  encore de Jean Valjean  de Victor Hugo. Tour à tour brigand, militaire, bagnard, mouchard, chef de la police de Sûreté, inventeur de papier infalsifiable, il fut aussi le premier détective privé en fondant son agence. Ce qui lui valut par la suite des démêlés avec la justice retranscrits dans l’affaire Vidocq.

Le récit de ses hauts faits remplit les quatre volumes des Mémoires qu’il publia en 1828. Voici quelques traits qui illustrent le personnage : « J’étais voleur, je me fis mouchard » (Le Figaro du 6 décembre1828), ou encore cette observation de par Louis Canler, ancien chef de la Sûreté, rapportée dans ses Mémoires : « Pour pouvoir découvrir les voleurs, il faut l’avoir été soi-même », et enfin ces mots consignés dans les minutes de son procès : « J'ai délivré la capitale des voleurs qui l'infestaient. Je veux aujourd'hui délivrer le commerce des escrocs qui la dévalisent ».

Pour débuter notre enquête sur ce personnage, commençons par nous renseigner sur cette fameuse agence.
 

L'agence Vidocq

Dans son article « Vidocq et son Bureau de renseignements commerciaux », Eugène Le Senne affiche le prospectus que Vidocq lança pour annoncer l’ouverture de son agence :
 

 

 

Après avoir renoncé à ses fonctions de chef de brigade de la Sûreté en 1832, Vidocq ouvre en 1833 le premier bureau de renseignements commerciaux et d’informations secrètes pour le public. Ses deux adresses les plus connues à Paris sont au 12 de la rue Cloche-Perche et au 13 galerie Vivienne (voir : Annuaire général du commerce, de l'industrie, de la magistrature), près de la Bibliothèque nationale. Ce répertoire précise aussi les fonctions de Vidocq : « Recherches dans l’intérêt des personnes lésées ; aff. Contentieuses, pass. Vivienne, 13 ».
 
 

Galerie Vivienne, 1906, Eugène Atget ; Vidocq, dessin d'Yves Marevéry, 1910

 

A la question: « Quel était le but de votre agence de renseignement ? » Vidocq répond lors de son procès :
C’était d’indiquer au commerce ces escrocs qu’on appelle en terme vulgaires des faiseurs, des briseurs. Ce sont des gens qui achètent de toutes mains, à crédit, et qui revendent aussitôt à 50 pour cent de perte ; c’était de faire connaître les faiseurs hauts placés ou se disant tels, qui ont des titres, des châteaux, des voitures, et qui volent aussi leurs tailleurs, leurs bottiers, leurs fournisseurs ;  les escrocs du grand monde, les gens qui ont maison en ville, maison de campagne, chevaux de voitures et de selles, et qui cependant n’ont pas un sous de revenu, ne gagnent pas un sou de leur travail.
 
 

Physiologie du floueur, Ch. Philipon ; vignettes de Daumier, Lorentz, Ch. Vernier et Trimolet, 1842

L’entreprise a du succès, il dit  avoir de 8 à 10000 clients et disposer de 20 agents. Mais sa renommée ne s’arrête pas là. Il  propose maintenant aussi à sa clientèle puis aux particuliers des services dans un domaine plus privé : le constat d’adultère. Son agence de détective se spécialise ainsi dans les affaires sentimentales. Vidocq est très vite sollicité par des maris ou des femmes jalouses comme la « dame d’Argenteuil » (p.78 du procès). « Cette dame était jalouse [...] elle voyait partout son mari la tromper ». Il participera à des enlèvements à la demande d’amants ou de maris (p.77 du procès). Ces méthodes peu orthodoxes lui seront reprochées lors de son procès. Son client le plus célèbre est certainement Alfred de Vigny qui chargera Vidocq de prendre en filature sa maîtresse Marie Dorval (Vidocq/Éric Perrin). Ils découvriront qu’elle a un amant, Jules Sandeau, ancien amant de Georges Sand.

Mais on ne se refait pas, et son passé de policier refait vite surface. Son équipe va aussi se charger de retrouver des objets volés ou perdus (la trousse en vermeil du docteur Segalas, la tabatière en écaille du maire du XIe arrondissement) et, plus insolite, des animaux disparus (le perroquet du docteur Coreff ou le cheval de course du maire de Rouen).

Dans Le Figaro du 2 février 1833, Nestor Roqueplan écrit l'article « Un nouveau genre d’affaires », qui émet des doutes sur la probité des agents, la véracité des rapports du Bureau de renseignements de Vidocq, et se demande si l’autorité permettra que s’installe ce genre d’établissement… Les méthodes de Vidocq ne plaisent pas à tout le monde. Il se fait des ennemis notamment au sein de la police qu’il concurrence. Face à ses détracteurs, ou à des clients hésitants, Vidocq redouble de lettres de recommandations et de publicité. Au-dessus de sa porte, fièrement, il inscrivait « breveté du roi ».

Mais il n’est  breveté que pour son papier infalsifiable. A la suite de son prospectus, il cite les noms des personnes honorables qui avaient été satisfaites de ses services et avaient fait solder leurs créances.

 

Le Petit Parisien du 25-08-1889

Le Temps du 11 septembre 1835 insère un avis de commerce,  attestation délivrée par des banquiers, négociants  vantant « le bureau de renseignemens » Vidocq, qui moyennant la somme de 20 francs par an se charge de protéger des escrocs qui désolent le commerce.

 

M. Suiste, un fabricant de chaussures en gros fait part, dans L'Écho du commerce du 12 février 1835,  de sa satisfaction des services de l’agence Vidocq qui lui ont permis de récupérer dans de brefs délais la somme escroquée par des fripons.
 
 
À l’occasion de la mort de Vidocq  le 11 mai 1857, Léo Lespès, journaliste, bien connu comme chroniqueur fantaisiste (Vidocq d’Henry Jagot) publie l’article « Souvenir d’Argus aux cent yeux » (Le Figaro du  21 mai 1857) où il raconte sa rencontre avec Vidocq. Recruté en tant que secrétaire rédacteur du Bureau de renseignements commerciaux, il  fait  un portrait haut en couleur du détective Vidocq « je me trouvai en face d’un homme trapu à l’œil bleu, aux lèvres évasées, aux cheveux multiples et grisonnants ; il déjeunait dans un service de vermeil et jetait des brioches entières à un bouledogue couché à ses pieds ». Et de son travail quotidien « Il m’apprit en outre, quelques axiomes dont la fleur est restée dans ma mémoire, à  savoir : En matière de police, la meilleure manière de suivre un homme sans qu’il s’en aperçoive, c’est de marcher devant lui. » Il y  rapporte également plusieurs cas de filatures.

 

Procès Vidocq

Le procès a lieu au Tribunal Correctionnel de Paris, 6e chambre, audience du 03 au 05 mai 1843.
 

Documents concernant le film "Vidocq", d'après le roman d'Arthur Bernède, film de Jean Kemm, 1922

Le Procès de Vidocq au Tribunal de police correctionnelle et devant la Cour royale, publié en 1843 a été numérisé dans Gallica grâce à Sébastien Michelot. Ce compte rendu de procès extrait des archives judicaires de L’Observateur des tribunaux fait partie des nombreux factums  conservés à  Bibliothèque nationale de France. Les débats du procès relatés dans la presse - Le Constitutionnel, Le Journal des débats, La Presse, Le Droit, journal des tribunaux, etc. - sont réunis ici  en un volume.
 

Dans l’introduction préliminaire du procès de Vidocq, Eugène Roch rappelle que Vidocq fait du Vidocq ! Qu’on retrouvera la même atmosphère, les mêmes faits, les mêmes types et bien sûr le même langage que dans ses mémoires. Le procès fait salle comble. Il y aura de bons mots et des rires. Vidocq a de la réparti et le sens de la formule. L’affaire de Légion d’honneur du marquis Duvivier prête à rire et les filatures de Vidocq ne manquent pas de piquant.  Quant à l’affaire du faiseur Champaix, elle révèle l’ambiguïté des méthodes de Vidocq.
 
Laissons au chroniqueur judiciaire Georges Claretie le soin de résumer l’affaire dans Le Figaro du 15 mai 1922 :
Vidocq  est accusé d’avoir arrêté en pleine rue, « au nom de la loi » amené et séquestré chez lui ,  M.Champaix ,  un  débiteur que son client avait chargé de faire payer.

Un autre de ses clients, M. Le Marquis Duvivier accusait Vidocq de lui avoir soutiré de l’argent pour lui faire obtenir des décorations. L’affaire était gaie.  Ce bon Marquis rêvait de La Légion d’honneur et était allé voir Vidocq :

 

Le Figaro du 15 mai 1922

Le 5 mai 1843, malgré la défense de son avocat Jules Favre, Vidocq est condamné à 5 ans de prison par la 6e Chambre correctionnelle de Paris. Mais en appel, le 22 juillet, après plaidoirie de Me Landrin réduisant à néant une série de calomnies, la Cour le relaxe (La Presse du 23 juillet 1843).

Dans une lettre intitulée « Résurrection ! Vidocq », à propos du procès intenté à son établissement de renseignements, il déclare, victorieux :

Tout le monde a pu lire dans les journaux  mon arrestation préventive du 17 août 1842, les perquisitions faites dans les bureaux de mon administration de Renseignemens universels. Galerie Vivienne, 13 [...] cette fois comme en 1837, mon innocence a triomphé, et mon établissement ne sera pas fermé, au grand désespoir de mes calomniateurs.
Il conclut par sa devise :
Haine et guerre aux fripons, dévouement sans borne au commerce.
Le Préfet  de Paris notifiera à Vidocq l’ordre de quitter Paris, mais ce dernier refusera de se soumettre. Le procès même gagné en Cour royale porte un coup fatal à son agence mais celui qui était surnommé le vieux lion saura rebondir et sortir ses griffes dans d’autres affaires.

 

 

 

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