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La presse algérienne d'une guerre à l'autre : 1914-1939

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30 janvier 2023

La BnF possède de nombreux périodiques des XIXe et XXe siècles publiés en Algérie coloniale (1830-1962). Reçues par dépôt légal, ces publications diverses se font l’écho de l’actualité et renseignent sur la vie quotidienne et les débats agitant la colonie. Ce troisième billet se penche sur la période allant de la Première Guerre mondiale à la veille de la seconde.

Halte d'Aumale, 1930 / Emile Prudhomme

L'autorité coloniale prend motif de la Première Guerre mondiale pour imposer l'information officielle dans les journaux. En 1915, l’ensemble de la presse « musulmane » est interdite en Algérie. Pour contourner la censure et l'interdiction, les journaux sont contraints de changer fréquemment leur nom.
A l’issue du conflit qui a occasionné la mort de près de 40 000 hommes en provenance de la colonie, se développe une presse d’anciens combattants comme Le Mutilé de l’Algérie qui prend la défense des intérêts matériels et moraux des victimes de guerre.

Alger : le monument aux morts, 1930 / Agence Meurisse

La diversification des titres déjà observée avant-guerre se poursuit avec un essor des magazines. Ainsi Paris-Alger magazine fondé en 1934 s’affiche comme le mensuel de la femme. La presse littéraire (L’Algérie nouvelle), associative (Les Amis du Sahara publié par l’association éponyme, Le Bulletin de la Fédération musicale de l’Afrique du Nord et le Bulletin de la nouvelle Fédération musicale d'Afrique du Nord),  sportive (Le Bulletin nautique édité par le Sport nautique d’Alger, L’Écho sportif de l’Afrique du Nord) ou scolaire (L’Essor scolaire publié par l’EPS de Maison-Carrée) permet de saisir la  vie quotidienne dans la colonie.
En 1918, Oran se dote d’un nouveau quotidien Le Soir qui devient La Dépêche oranaise en 1924. Les deux titres sont animés par Jules Gasser, maire d’Oran de 1912 à 1921 et membre du groupe parlementaire de la Gauche démocratique.
Fondé en 1907, Lutte sociale est à cette époque le plus important journal de gauche d’Algérie. Organe officiel de la SFIO, il devient après le Congrès de Tours en 1921 un journal communiste. Paraissant de façon irrégulière faute de subsides suffisants, il s’interrompt à plusieurs reprises. A partir de septembre 1932, il publie une page en arabe dans chaque numéro mais se retrouve interdit en septembre 1933. Il renaît en avril 1934 pour devenir l'organe officiel du Parti communiste algérien. Ayant renoncé à parler d’indépendance de l’Algérie, il gagne un public plus important, essentiellement européen.
Les années 1930 sont marquées par la création de plusieurs titres de gauche. Ainsi, Non !, « organe central des jeunesses socialistes d’Algérie » est lancé en 1932. Des titres de tendance Front populaire vont plaider la cause des Algériens ou relayer leurs revendications.
Oran Républicain est fondé en février 1937 avec une lettre d’encouragement de Léon Blum.

Déclaration de L. Blum dans l'Oran républicain, 21 février 1937

Désigné comme « le journal des Arabes », la rédaction ne comprend pourtant qu’un seul indigène, Saïd Zahiri. Le journal soutient la politique des comités de Front populaire et des comités du Congrès musulman, défend le projet Blum-Viollette d’élargissement de la citoyenneté française et combat les nationalistes algériens. Il dispose d’une large influence chez les Européens de gauche, bien moindre chez les Musulmans hormis les membres des partis socialiste et communiste. Malgré les subventions gouvernementales, il connaît de récurrentes difficultés financières.

Lancé en octobre 1938, Alger républicain est quant à lui créé par l’effort collectif des militants de gauche et se veut l’organe d’expression des partis de gauche et de la CGT. Il bénéficie de la participation d’Albert Camus qui y publie de courageux articles dénonçant « la misère en Kabylie », relatant l’affaire El-Oqbi ou encore le procès des membres du Parti du peuple algérien (PPA).

"Misère de la Kabylie", article d'A. camus dans l'Alger Républicain, 14 juin 1939

Malgré les incertitudes quant au tirage des titres, la prédominance de la presse de droite, modérée ou extrême, sur la presse de gauche est à noter. En 1927, le candidat malheureux aux élections législatives de 1924, Raymond Laquière fonde La Presse libre, qui se veut l’organe de l’Union républicaine démocratique et sociale. L’objectif affiché est de lutter contre l’empire médiatique du magnat de la presse Jacques Duroux qui possède alors les quotidiens L'Algérie de centre-gauche, Les Nouvelles quotidien du matin et L'Écho d'Alger. Raymond Laquière est élu député d’Alger en 1928.
En 1931, sort Oran-Matin. Proche du Parti populaire français de Jacques Doriot, ce journal d’extrême-droite est considéré comme le plus lu d’Oranie. Le PPF lance également un hebdomadaire à Alger en 1937, Le Pionnier, qui cesse de paraître la veille du débarquement des Alliés à Alger le 8 novembre 1942. La Flamme, « organe nord-africain de la réconciliation française » créé en octobre 1938, affiche quant à lui à sa une la devise du Parti social français « travail, famille, patrie ».

La Flamme, 15 novembre 1936

Comme avant 1914, les différentes communautés présentes en Algérie disposent de journaux dédiés. En 1925, El Correo de España remplace El Correo español actif à Oran depuis 1880. Un autre quotidien, El Eco español voit le jour en 1926, année où s’achève la guerre du Rif dans laquelle sont impliquées la France et l’Espagne. Il Messaggero d'Algeri est quant à lui l’hebdomadaire de la communauté italienne. Fondé à Alger en 1928, il signale les fêtes religieuses, témoigne de la vie associative et donne des informations pratiques tout en informant également sur l’Italie de Mussolini.

Il Messaggeri d’Algeri, 5 novembre 1931

Le renouveau de la presse politique musulmane de langue française

De 1919 à 1939, une cinquantaine de titres se succèdent alors que, de 1907 à 1913, seuls douze périodiques « indigènes » étaient apparus. A partir de 1925, la guerre du Rif légitime les restrictions à la liberté de la presse « indigène » qui iront croissant.
En 1927, la presse de langue arabe ou bilingue est assimilée à de la presse de langue étrangère publiée à l’étranger et, à ce titre, susceptible d’interdiction. Le décret Régnier du 5 avril 1935 permet de poursuivre la presse musulmane francophone pour provocation à des « désordres ou manifestations contre la souveraineté française » ou « résistance active ou passive contre l’application des lois, décrets ou ordres de l’autorité publique ». Dès lors, suspensions, interdictions, saisies et procès ponctuent la vie de la presse politique qui régresse au profit d’une presse plus culturelle au contenu politico-religieux.
Dans la continuité de la presse jeune-algérienne d’avant-guerre, celle-ci est majoritairement francophone jusqu’aux années 1930 qui voient le rôle de la langue arabe s’accroître comme instrument de promotion et d’émancipation. Cette presse réformiste s’inspire à la fois de la Renaissance arabe (Nahda) et de la Réformation religieuse (Islah).
En mars 1919, Le Rachidi, « organe des intérêts indigènes et d’union franco-musulmane » publié à Jijel et L’Islam qui avaient tous deux cessé de paraître en raison de la mobilisation de leur personnel et des difficultés d’avant-guerre, fusionnent pour créer L’Ikdam (L’Audace).

L’Ikdam, 7 mars 1919

Ce nouvel hebdomadaire, présidé par Hamou Hadj Ammar et Sadek Denden se veut l’organe de défense des intérêts politiques et économiques des musulmans de l'Afrique du Nord. Sa rédaction qui mêle indigénophiles et journalistes musulmans algériens défend les valeurs musulmanes et, dans un rejet d’une assimilation qui viserait à une francisation, se sépare des Jeunes-Algériens favorables à la naturalisation.
 Une édition en arabe, Al-Iqdām, est créée en septembre 1920 mais disparaît rapidement faute de succès. Elle est intégrée en pages 3 et 4 de l’édition en français de juillet 1921 à avril 1923. En septembre 1921, face aux difficultés financières, le journal est repris par Ahmed Balloul et l’Émir Khaled jusqu’à l’exil de ce dernier en 1923. Sadek Dendden reprend alors les rênes du journal.
L’Union (El-Tihad), « journal républicain d’union franco-musulmane », créé en 1927 par Hadj Hacène Bouchterzi défend quant à lui une ligne assimilationniste qui lui vaut la protection des autorités. L’adresse au gouverneur général Maurice Viollette, du 1er numéro donne le ton :

L’Union, 15 juillet 1927

Le périodique défend le Dr Bentami favorable à l’assimilation avant de le combattre, changeant alors de titre pour devenir L’Étendard (Es-Sandjak).

Les partisans de l’assimilation disposent également de l’organe de l’Association des instituteurs d’origine indigène, La Voix des humbles, fondé en 1922 qui s’engage, « loin des partis, loin des dogmes », « pour l’évolution des Indigènes par la culture française ».

La Voix des humbles, juillet 1938, n°186

Face aux superstitions religieuses, la revue plaide pour une approche laïque et plus de justice sociale, appelle à un esprit de fraternité entre les populations européennes, juives et musulmanes et dénonce l’assujettissement et la répression dont sont victimes les indigènes.
Ceux qui tentent de dresser les Musulmans contre les Juifs ne visent pas autre chose qu’à l’asservissement des uns et des autres » (La Voix des humbles, janvier-février 1939, n°190)

Lancé en 1935, L’Echo de la presse musulmane, organe indigénophile, présente à ses lecteurs sous un jour favorable les revendications musulmanes.

L’Écho de la presse musulmane, 15 novembre 1935

C’est depuis Paris que Messali Hadj, fondateur du premier parti nationaliste algérien, l’Étoile nord-africaine (ÉNA) sort en octobre 1930 El-Ouma (La communauté) en réaction aux célébrations du « Centenaire de l’Algérie ».

  1830-1930, Centenaire de l'Algérie française / Affiche de L. Cauvy

« Organe de défense des musulmans nord-africains », El-Ouma propage, à l’instar de L’Ikdam ou d’El-Hack, un nationalisme algérien qui épouse un panislamisme plus ancien et escompte un secours hypothétique des Turcs face à l’occupation française.
Unissons-nous pour arracher nos droits, comme nous sommes unis dans la religion ! (El-Ouma, 1er décembre 1937)

La rédaction, dirigée par Amar Imache, défend également les prolétaires. El-Ouma adopte une ligne germanophile qui inquiète Messali Hadj et l’amène à créer en 1939 Le Parlement algérien, « organe de défense et d’émancipation du peuple algérien » dont il composera certains numéros depuis la prison de Maison-Carrée et où il expose les vues plus modérées du PPA, son nouveau parti créé en 1937 suite à l’interdiction de l’ÉNA. El-Ouma quant à lui est interdit par décret du 27 août 1939.

Le Parlement Algérien, 3 juin 1939

L’Association des oulémas réformistes dispose, à partir de janvier 1934, d’un organe officieux en langue française, La Défense des droits et intérêts des musulmans algériens, publié à Alger et dirigé par le secrétaire de l’association, Lamine Lamoudi. Dans son programme, le journal annonce vouloir « contribuer à l’œuvre de relèvement moral et matériel du peuple musulman algérien » dénonçant les injustices dont il est victime, les persécutions religieuses et la répression dont la presse arabe est victime. Partisan d’un nationalisme d’inspiration religieuse, il se montre défiant vis-à-vis de l’ÉNA puis du PPA.

 Le développement d’une presse politique de langue arabe

Certains titres entreprennent de défendre les confréries et les marabouts. Parmi ceux-ci, figure Lisān ad-dīn (La Voix de la religion), l’organe de la confrérie alawiyya, lancé en 1923 par Mustapha Hafid. A côté de cette presse confrérique, de nombreux titres proches du mouvement islahiste né en 1920 qui prône un réformisme religieux et culturel voient le jour.

Lisān ad-dīn, 2 janvier 1923

En 1925, le cheikh Abdelhamid Ben Badis lance à Constantine Al-Muntaqid (Le Censeur). Dans un but moral et religieux, le journal dénonce la paralysie de la société musulmane, fustige les maux qui l’accable (ignorance, idolâtrie, alcoolisme…) et critique la puissance coloniale, les francisés comme les marabouts. Il est saisi puis interdit dès son 18e numéro en raison de ses prises de position favorables à Abd el-Krim, chef du mouvement de résistance dans le Rif marocain.
En 1926, le cheikh Okbi Ali Moussa lance à Biskra le journal El-Hack. L’année suivante, Tayeb El-Okbi créé Al-Islāḥ (La réforme) publié à Biskra. Se définissant comme un « journal islamique, indépendant et religieux avant tout », le titre vise à éduquer l’opinion publique et à lutter contre les superstitions. Il disparaît en 1930 pour renaître en 1940, deux ans après la rupture d’El-Okbi et de l’association des oulémas musulmans fondée en 1931 par Abdelhamid Ben Badis. Cette même année, Mohamed Ababsa fonde Al-Marsad (L’Observatoire) animé par François Juglard dit Juglaret, converti à l’Islam sous le nom de Mohamed Cherif. Proche des oulémas, le journal tient une ligne nationaliste. Deux ans plus tard, Mohamed Ababsa fonde Al-Tabat.
En 1936, à la suite de la victoire du Front populaire, le premier Congrès musulman algérien rassemble des délégués issus de la Fédération des élus, de l'Association des oulémas et des partis de gauche, en particulier le Parti communiste d'Algérie et la SFIO qui tous portent des projets de réforme de la colonisation.

 

Retrouvez les autres billets de la série sur la presse dans l'Algérie coloniale :

La presse dans l'Algérie coloniale : 1830-1880
- L'âge d'or de la presse algérienne : 1880 - 1914
La presse algérienne de la seconde guerre mondiale à l'indépendance : 1939-1962

Pour aller plus loin

Accessible sur Gallica :

 - La sélection Presse algérienne dans Presse et revues, une sélection  des titres de presse sur l'Algérie coloniale numérisés dans Gallica

A consulter à la BnF ou via abonnements :

- Ageron, Charles-Robert, « Regards sur la presse politique musulmane dans l’Algérie « française »Genèse de l'Algérie algérienne. Volume 2., Saint-Denis, Éditions Bouchène, « Histoire du Maghreb », 2005, p. 325-354
- Bellot, Marina, Demougin, Laure, La presse coloniale : à la conquête des « Français d'un autre monde »Retronews, 15/12/2021 
- Demougin, LaureL'empire de la presse : une étude de la presse coloniale française entre 1830 et 1880, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2021
- Guignard, Didier. « Comptes rendus. Arthur Asseraf. Electric News in Colonial Algeria. Oxford, Oxford University Press, 2019, 223 p. », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 75, no. 2, 2020, pp. 352-354.
- Ihaddaden, Zahir, Histoire de la presse indigène en Algérie, des origines jusqu'en 1930, Alger, les Editions Ihaddadene, 2003
- Legg, Charlotte Ann, The new White race: settler colonialism and the press in French Algeria, 1860-1914, Lincoln, University of Nebraska Press, 2021

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