Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Alternatives au modèle asilaire

0
29 septembre 2022

Au début du XIXe siècle, les améliorations significatives apportées par l’aliéniste Pinel dans les asiles parisiens ne se sont pas encore diffusées dans le reste du pays. Ces établissements ont donc mauvaise presse et on va chercher des solutions alternatives.
 

La Salpêtrière, cour des agitées / tableau d'Amand Gautier, 1857

Les asiles d’aliénés placés sous la loi de 1838

L’opinion publique s’alarme devant des cas récurrents d’internements abusifs. La loi du 30 juin 1838 est promulguée afin d’écarter tout risque de séquestration arbitraire. Elle stipule que dans le département de la Seine, les cas de placement d’office doivent d’abord transiter par l’Infirmerie spéciale près la Préfecture de police pour y subir un examen médical.  Le médecin de service prend alors la décision de les faire interner à l’Asile clinique de Sainte-Anne ou bien de les remettre en liberté. A partir de 1872, l’Infirmerie spéciale dispose d’une entrée particulière qui lui offre une autonomie appréciable vis-à-vis du Dépôt de la Préfecture de police. Une fois arrivés à Sainte-Anne, les aliénés sont ensuite répartis entre les différents asiles de banlieue.
Malgré les nombreuses critiques dont elle fait l’objet, la loi de 30 juin 1838 a pourtant été conçue pour encadrer les placements d’office et préserver les libertés individuelles. Mais en 1867 on voit des médecins comme le docteur Turck demander l'abrogation de ladite loi sans grand succès. En 1870, le débat fait toujours rage et l'aliéniste Emile Decaisne (1826-1888) s'insurge :
Est-ce que, par hasard, on croirait que pour juger qu’un homme est aliéné ou sain d’esprit il suffit du simple bon sens ? Qu’on peut du premier coup s’improviser médecin aliéniste, et trancher ex cathedra les problèmes que soulève la folie ?
  En 1925, elle fait toujours l'objet de critiques.
 

Le Charenton ministériel : différentes monomanies des aliénés politiques : estampe / Honoré Daumier, Ca 1830-1848

La loi de 1838 a aussi obligé chaque préfet à ouvrir un asile d'aliénés dans son département. En 1878, on dénombre 104 établissements en France. Dès 1850, les asiles connaissent une augmentation exponentielle de leur population : on passe de 10 000 internés en 1840 à plus de 60 000 en 1900. Certains asiles s’étendent démesurément : le plus grand à Clermont dans l’Oise abrite plus de mille individus.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, apparaît la théorie de la dégénérescence. Convaincus de l'incurabilité des malades mentaux, beaucoup d'aliénistes s’écartent du traitement moral des aliénés prôné par Philippe Pinel et Jean-Baptiste Pussin. Les asiles tendent à (re)devenir des lieux archaïques d’enfermement censés protéger non seulement les patients eux-mêmes, mais aussi la société, des individus les plus violents et des psychopathes.
En 1896, la population dans les hospices est un peu moins disparate que précédemment, car on circonscrit davantage les pathologies acceptées. En 1900, la Salpêtrière reste malgré tout bondée et, de ce fait, empêchée de prendre en charge les nouveaux cas encore curables à ce stade. Les 760 patientes sont réparties dans les services de trois médecins-chefs de l’Assistance publique. Ce qui signifie que dans le service le plus encombré, le docteur Voisin effectue ses visites quotidiennes en coup de vent - ce qui revient à une heure par an pour chacune des 316 aliénées - d’où un taux de guérison particulièrement faible de 5 à 15%. On y trouve 158 adultes épileptiques, 116 enfants aliénés ou épileptiques et 42 adolescentes relevant de l’école de réforme. Les écoles de réforme sont des maisons de correction pour les pupilles de la nation âgés de 13 à 25 ans et réputés difficiles et vicieux. Les cellules ne sont pas capitonnées et celles des plus hystériques sont complètement vides, les malheureuses dormant à même le sol.
Les diverses tentatives de réforme de la loi de 1838 échouent jusqu'en 1990 où elle est remplacée par un nouveau texte. Le modèle asilaire continue donc à prédominer. L’accueil dans ces établissements connaît pourtant une certaine amélioration avec la disparition des cachots, la création de jardins ou cours arborées, l’ouverture de quartiers spéciaux pour les épileptiques et les alcooliques.

 

Extr. de : L'Assistance publique en 1900.

Journalistes en immersion

De la seconde moitié du XIXe siècle à 1940, le monde asilaire fait l’objet de reportages où l’on perçoit une obsession de l'internement abusif. Les journalistes semblent fascinés par cet univers :

 

La cour intérieure des cabanons [Sainte-Anne]

Les colonies

L’expérience la plus ancienne de traitement à l’air libre  - ou colonisation -  est celle de Gheel, en Belgique flamande.  Le village est placé sous le patronage de Sainte Dymphne, guérisseuse des aliénés. D’où un afflux de patients dont la famille espère une guérison miraculeuse mais malheureusement fort aléatoire. Ils sont alors confiés aux autochtones qui les laissent libres et les traitent avec bienveillance. Bientôt toute une organisation se met en place.Depuis le XVIIe siècle, ses habitants ont conservé la tradition d’accueillir les déments et de les intégrer dans la vie active. Mais ce système n’est évidemment pas applicable à toutes les pathologies !

Vers 1860, convaincu par l’expérience menée dans le jardin potager de Bicêtre, le médecin en chef Guillaume Ferrus décide d’employer une cinquantaine de convalescents à des travaux agricoles et les envoie dans un grand domaine appartenant à l’Assistance publique : la Ferme Sainte-Anne située près de la barrière de la Santé. Disciple de l'aliéniste Philippe Pinel, il choisit comme ce dernier de soigner ses patients avec humanité en s’appuyant sur leur partie saine : il s’agit de les responsabiliser en leur faisant prendre conscience des conséquences de leurs actes. En outre, le fait de les occuper présente l’avantage de leur éviter une oisiveté néfaste : il est impératif qu’ils puissent s’oublier au travers d’une activité, leurs idées délirantes étant laissées de côté pendant ce laps de temps. Dans la continuité des travaux de Pinel, cette théorie du bienfait des activités physiques sur l’état psychique des aliénés est saluée par le monde médical. Ce modèle est ensuite adopté par tous les asiles français. En revanche, on décide d’y incorporer des aliénés en cours de traitement, pas seulement ceux en voie de guérison. Toutefois tous ne sont pas éligibles à l’activité de jardinage ou de travaux agricoles. Les cas de démence les plus graves, les idiots, les épileptiques - autrefois enfermés avec les fous et susceptibles de se blesser lors d’une crise - sont exclus. Les aliénistes sont désormais convaincus de la pertinence du traitement. Des colonies familiales sont ouvertes à la fin du XIXe siècle dans le département de la Seine comme par exemple à Dun-sur-Auron (Cher). 1863 voit même la création d'un asile médico-agricole à Leyme dans le Lot.

 Asile clinique de Sainte-Anne

En 1867, selon les vœux de Napoléon III, on inaugure à l’emplacement de l’ancienne Ferme Sainte-Anne un asile clinique, lieu spécifique de traitement et de recherche sur les maladies mentales.
En 1932, on y trouve encore de nombreux cas de PG (paralysie générale) : il s’agit des syphilitiques parvenus au dernier stade de la maladie. En effet, une syphilis non soignée, parvenue au stade tertiaire dix à vingt ans après le début de la maladie, peut dégénérer chez 8 à 10% des personnes atteintes vers une neurosyphilis, c'est à dire des troubles neurologiques irrémédiables. Et un quart des patients est susceptible de développer une méningo-encéphalite aboutissant à la démence ; les malades se déplacent tels des pantins désarticulés.
Le psychiatre Julius Wagner-Jauregg, lauréat du prix Nobel de médecine en 1927, découvre la pyrothérapie, c'est à dire les vertus thérapeutiques de la fièvre sur les patients souffrant de paralysie générale : on leur inocule donc le paludisme, l'infection étant alors contrôlable grâce à la quinine. On envoie les PG dans le service du docteur Leroy qui a recours depuis 1919 à la malariathérapie.
Le nouvel établissement est plus accueillant que les autres asiles : il dispose de salles de réunion pour les patients tranquilles avec piano, machines à coudre, même s'il existe encore des salles dans lesquelles 350 à 400 malades sont continuellement alités. On y trouve aussi des ateliers de menuiserie, serrurerie, cordonnerie et couture ; certains fous inoffensifs sont aussi employés aux travaux d’entretien des bâtiments.

Les bains généraux [Sainte-Anne] en 1932.
 

C'est dans cette même enceinte, face à l'Asile clinique, qu'en 1922 le médecin-chef Edouard Toulouse inaugure son Centre de prophylaxie mentale de la Seine. Des locaux agréables y donnent accès aux jardins. L’Hôpital psychiatrique Henri-Rousselle est ouvert à tous, hors internement d’office. Il est présenté comme un centre d’hygiène mentale où l'on cultive la bienveillance à l’égard des patients. Farouche partisan de l'open door déjà appliqué en Grande-Bretagne, le docteur Toulouse souhaite voir les monomanes inoffensifs "habiter l'asile en parole", c'est à dire à ne le fréquenter qu'à certaines heures. L'aliéniste explicite sa théorie en 1927. Mais ce n'est que dix ans plus tard qu'un décret ministériel substitue au terme d’asile d’aliénés celui de hôpital psychiatrique. Mais pendant la Deuxième Guerre mondiale, ces établissements sont encore des lieux d'incarcération où 40 000 internés, livrés à eux-mêmes, meurent de faim. 

Pendant l’Entre-Deux-Guerres, l’invention des thérapies de choc ouvre des perspectives nouvelles en permettant de transformer le modèle asilaire. Dans les années 50 et 60, ce sont les neuroleptiques qui à leur tour permettent de diminuer l’état d’agitation des patients. La diversification des thérapies conduit à la transformation de l’hôpital psychiatrique. Les partisans de la psychothérapie institutionnelle militent pour l’ouverture sur l’extérieur et obtiennent gain de cause avec la politique de sectorisation (circulaire du 15 mars 1960). Les recherches récentes ont cependant démontré les limites de la déshospitalisation systématique.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.