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Le Trecento et l’essor de l’Humanisme

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29 mai 2024

Le XIVe siècle est un siècle très contrasté, oscillant entre récession et innovation. En Italie, il marque la fin du Moyen Âge. Les graves crises économiques et démographiques alternent avec des périodes de prospérité et de grande créativité, notamment avec l'essor de l'Humanisme.

Boccace et Pétrarque conversant, « Le Livre des Cas des nobles hommes » de « Jehan Boccace », traduction de « LAURENT » [De Premierfait], Manuscrit français 130 (XVe s.)

La stabilité politique qui avait caractérisé les XIe-XIIIe s. avait favorisé la croissance économique ainsi que démographique, provocant un important mouvement de population vers les villes. Au XIVe siècle la situation change nettement. L’arrêt des défrichements et les nombreux fléaux climatiques compromettent à plusieurs reprises les récoltes, favorisant le retour des famines et, avec elles, le lot de maladies et d'épidémies dont la plus dramatique est celle de la peste. Le Toscan Giovanni Boccaccio tirera de cet évènement tragique un chef d’œuvre littéraire, en italien « vulgaire », Le Décaméron, composé en 1348, en pleine Peste noire.

Allégorie de la peste, Giovanni Boccaccio, Il Decameron. Manuscrit italien 63 (1427)

 

Les guerres européennes (notamment, celle de Cent Ans, 1337-1453) contribuent largement à l'appauvrissement des populations en raison de la multiplication des levées d'impôts pour les financer provoquant ainsi de nombreuses jacqueries. 

Bataille d’Azincourt, Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, Manuscrit français 5054 (vers 1484-85)
 

En Italie centrale et septentrionale, la compétition aiguë entre les différentes cités-États et les seigneuries naissantes ne font que multiplier le phénomène des bandes de mercenaires menées par un condottiere.

   

Médaille de Sigismondo Pandolfo Malatesta. Portrait en buste de Sigismond Malatesta de profil à gauche, en armure, tête nue ceinte d’une couronne de laurier, Médailles italiennes, 1450

Antonio Pisanello, Médaille de Sigismondo Pandolfo Malatesta. Malatesta en armure, entre son heaume et son écu, Médailles de personnages italiens, 1444-1445                                   
                                                                                                                                                                                                                                                 

Malgré cette importante récession, les historiens pointent également les signaux d’une reprise économique et d’un renouveau littéraire. Une forme moderne de relation économique apparaît. La disparition de millions de paysans, à cause des épidémies, a laissé de nombreuses seigneuries sans travail servile, a diminué les rentes féodales et a ouvert la voie à l’embauche de travailleurs ruraux (organisés en corporations d’arts et métiers) moyennant le paiement de salaires. Dans les villes prospères comme Venise, Florence ou Sienne, une classe de marchands et banquiers très entreprenants, enrichie par le volume des échanges commerciaux, se consolide. Les villes s’embellissent de somptueux palais et monuments religieux.

Figurations de la ville de Milan, Gesta Episcoporum Mediolanensium  a beato Barnaba ad Gerunzium, Manuscrit latin 5184 (XIVe siècle)
  

Dans son livre La Méditerranée à l’époque de Philippe II, Fernand Braudel estimait que vers 1380, Venise était devenue la ville la plus dynamique du monde avec se 60 000 habitants, remplaçant Bruges jusqu’au XVIe siècle.

Aperçu de Venise. Illustration tirée de Bernhard de Breydenbach, Opusculu sanctarum peregrinationum ad sepulcrum Christi venerandum, Réserve, Vélins 769 (1486)

 

De son côté, Gênes contrôle le commerce de l’alun d’Orient grâce à des innovations techniques qui ont permis d’inventer les nefs, de nouveaux navires à coque élevée qui permettent un gros emport de charge. Dans la deuxième moitié du siècle, l’agriculture se revitalise grâce à la réunion de parcelles éparses et l’introduction de techniques innovantes telle que l’alterno, où les champs de céréales sont entrecoupés de vignes.

Grappes de raisin, IBN BUTLÂN, Tacuinum sanitatis. Manuscrit latin 9333 d’origine étrangère avec traduction en allemand en bas de page (XIVe siècle)
 

C’est dans ce contexte socio-économique d’accumulation de richesses que fait son apparition le mouvement philosophique et littéraire connu comme Umanesimo (Humanisme) qui, depuis l’Italie, rayonnera ensuite vers l’Europe entière. Sur le plan culturel, parmi les facteurs qui ont contribué à l’essor de ce mouvement il faut évoquer tout d’abord le déclin de la Scolastique. Guillaume d’Ockham, par exemple, remet en cause bon nombre de postulats de la théologie traditionnelle et il critique ouvertement la possibilité d'une démonstration de l'existence divine. Il s'en prend également aux fondements de l'autorité temporelle du pape dans ses écrits politiques rejoignant de facto l'empereur Louis IV de Bavière en lutte contre le Saint-Siège. Au XIVe siècle celui-ci érige son siège en Avignon, aussitôt surnommé « La nouvelle Rome ».

 

Un autre facteur important est la diffusion des auteurs antiques, grecs et latins, grâce à l’œuvre d’écrivains dont la catégorie socio-professionnelle la plus nombreuse est, en Italie, celle des hommes de loi et des notaires.

Encadrement historié. Initiale C intégrée dans un monument en miniature, Sénèque, Lucius Annaeus Seneca, Epistulae ad Lucilium, Manuscrit latin 8551 (1503)
 

Aux XIIIe-XIVe siècles, Sienne était connue pour être la chancellerie et la magistrature financière (biccherna) la plus prolifique d’Italie.

Tablette de la biccherna pour l’année 1331 : le camerlingue Niccolo’ di Messer Carretano chonte Armalei, Tablettes de la Biccherna, peinture sur bois. Manuscrit italien 1668 (XIVe siècle)

 

En effet, dès le XIIIe siècle, avec la structuration des chancelleries citadines sur le modèle impérial et papal, cette catégorie socio-professionnelle avait considérablement augmenté en nombre et en influence puisqu'elle contrôlait le secteur administratif et diplomatique des communes. Les notaires, tout particulièrement, ont largement contribué au développement du mouvement humaniste par leur pratique quotidienne de l’ars dictaminis (composition des textes) et la relecture précoce des textes classiques latins, dont les citations ornaient les documents et chartes officiels. 

Double page de la Summa dictaminis, Recueil de traités divers, [Normandie ?]. Manuscrit latin 1093 (XIIIe siècle)
 

Leur rôle est également fondamental dans la diffusion de la langue vernaculaire (le futur italien) puisqu’il était régulièrement utilisé pour la rédaction des statuts des villes. Avec le temps, surtout pendant l’époque des seigneuries (XVe-XVIIe siècles), il n’est pas rare de voir l’homme de loi, lettré, devenir le conseiller du prince : le cas le plus connu est certainement celui de Machiavel

Les académies savantes, espace de circulation de nouvelles idées philosophiques et littéraires, sont animées par des enseignants laïcs, exerçant souvent des charges publiques. Elles ont joué un rôle significatif dans la formation d’une nouvelle génération de lettrés et la sécularisation de la culture. L’œuvre de pédagogues tels que Gasparino Barzizza et Vittorino da Feltre, et, un peu plus tard, Marsilio Ficino, reste incontournable dans l’essor de l’Humanisme et, ensuite, de la Renaissance.

Enfin, la naissance d’ordres mendiants s’accompagne d’une nouvelle littérature religieuse qui popularise le concept de renovatio de l’Église pour la rendre à son humilité primitive et proche du petit peuple. L’Ars predicandi des Franciscains et des Dominicains n’hésite pas à prêcher en langue vernaculaire les enseignements moraux contenus dans des textes latins, mais transposés dans une nouvelle forme littéraire plus simple et harmonieuse comme les laudas ou les courts poèmes narratifs-didactiques. Les célèbres Fioretti de Saint François sont en effet tirés d’un texte latin bien plus savant, Actus beati Francisci et sociorum eius, attribué au frère Ugolino da Monte Santa Maria, actif dans l’Italie centrale vers la fin du XIIIe siècle.

 

Saint François recevant les stigmates, Maitre du Mont des Oliviers de Dutuit, estampe. Réserve EA-6-4 Pièce Fol.235v (XVe siècle)
 

Francesco Petracco, dit Pétrarque, voit le jour dans ce climat culturel proto-humaniste, en 1304, à Arezzo. Fils de ser Petracco di Parenzo di Garzo, homme de culture et notaire florentin, il est considéré comme le premier humaniste accompli et l'initiateur de la philologie moderne.

 

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