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Paul Richer : l'art au service de la médecine

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29 mars 2023

Mort il y a 90 ans en 1933, Paul Richer allia l’esprit rigoureux et scientifique d’un  médecin à la sensibilité d’un artiste aux multiples facettes : sculpteur, dessinateur, illustrateur, photographe.

Hémispasme glosso-labié hystérique. Dessin de Richer. Source : Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1888.

Une rencontre décisive

Richer suit d’abord le cursus classique d’un étudiant en médecine. Sujet brillant, il est reçu troisième sur 232 candidats au concours d’internat des hôpitaux de Paris en 1874. Grâce à ses illustrations dans des thèses médicales, il est remarqué par Jean-Martin Charcot et à partir de sa quatrième année d’internat, il intègre le service de neurologie du professeur : cette rencontre aura une influence considérable sur toute sa carrière. En effet, le maître a ouvert le service des hystériques et épileptiques à l'hospice de la Salpêtrière : il va étudier sur des centaines de patientes - mais aussi quelques sujets masculins - cette maladie signalée dès l'Antiquité mais encore mystérieuse. Attribuée à l'utérus, elle était réputée toucher exclusivement des femmes dont les crises spectaculaires donnaient à penser qu'elles étaient "possédées". C'est pourquoi les malheureuses étaient ostracisées et le plus souvent internées.
En 1879, le voici docteur en médecine après avoir soutenu sa thèse : Étude descriptive de la grande attaque hystérique ou attaque hystéro-épileptique et de ses principales variétés. Ce travail universitaire sera complété par la suite par un des ouvrages les plus significatifs de l’Ecole de la Salpêtrière rassemblant toutes les observations collectées pendant sept ans dans le service de neurologie : Etudes cliniques sur la grande hystérie ou hystéro-épilepsie. Lequel rencontre un certain écho, comme le prouve cet article paru dans Le Temps en 1881 ou cette notice bibliographique dans la Nouvelle revue. Cette pathologie fut par la suite intégrée au sein de la nosologie (ou classification des maladies) contemporaine.
Sur la recommandation du célèbre neurologue et psychiatre, Richer est nommé chef du laboratoire de la Clinique des maladies du système nerveux à l’Hôpital de la Salpêtrière de 1882 à 1896.

Gilles de la Tourette, Georges. Source : BIU Santé médecine.

Hypnose et hystérie

Richer sympathise avec un autre confrère, le neurologue Georges Gilles de la Tourette.Tous deux rédigent une étude sur l’Hypnotisme. Dans leur ouvrage commun Contribution à l’étude de l’hypnotisme chez les hystériques, Richer et Charcot reconsidèrent également le rôle de l’hypnose – tombée en disgrâce depuis quelques années – parmi les techniques mises à leur disposition pour étudier l’hystérie. De 1882 à 1892, le courant somatiste de l’Ecole de la Salpêtrière prétend faire de l’hypnose un sujet d’étude scientifique en la présentant comme un fait somatique propre à l’hystérie. Pour ce faire, les cliniciens plongent leurs patientes dans un état expérimental d’hypnose donnant lieu à des comportements outranciers, voire théâtraux. Par voie de conséquence, le corps médical les traite de montreurs de foire. 

Accès en plein écran 

Parmi les autres ouvrages médicaux écrits par Richer, on peut citer Feuilles d’autopsie pour l’étude des localisations cérébrales (1878) et Paralysies et contractures hystériques (1892).

Anatomiste artistique

Excellent dessinateur lui-même, Charcot sait vite discerner le coup de crayon précis, recherchant la véracité de son étudiant. Il l’encourage à se tourner vers la carrière d’anatomiste artistique et lui fait aménager à la Salpêtrière un atelier de dessin. Grâce à une iconographie originale réalisée d’après des modèles vivants ou d’après des photographies, il est désormais possible de mettre en valeur le contenu des ouvrages médicaux en illustrant les crises des patients avec une acuité inédite. En 1925, la rubrique Causerie médicale d'un journal salue son talent :

Les croquis de Paul Richer ont une valeur unique parce qu'ils réunissent l'exactitude graphique et la rigueur de construction d'un dessinateur de premier ordre à la perspicacité du médecin neurologiste seul capable de saisir le moment caractéristique, démonstratif, du mouvement pathologique observé.

C’est là qu’il va réaliser toutes les planches de son Anatomie artistique tout en s’intéressant à l’anatomie équine. Richer collabore désormais presque systématiquement aux ouvrages de son professeur et maître. Grâce à leurs recherches conjuguées, l'hystérie cesse d'être considérée comme un trouble d'origine utérine et devient la conséquence d'un traumatisme psychique.

Invention de la chronophotographie

Paul  Richer rencontre Albert Londe (1858-1917), directeur du service de photographie à l’hospice de la Salpêtrière. Par son intermédiaire, il va également s’intéresser à la physiologie du mouvement, puis à l’étude scientifique et artistique des exercices physiques. En faisant défiler très rapidement des photographies instantanées, ils vont mettre au point la chronophotographie, technique permettant de décomposer le mouvement en images avec une plus grande exactitude qu'en dessin. 
En collaboration avec Londe et Gilles de la Tourette, Richer fonde et dirige un périodique consacré à la neurologie et à la psychiatrie, une véritable mine d'informations médicales : Nouvelle iconographie de la Salpêtrière : clinique des maladies du système nerveux, édité de 1888 à 1918.
Richer entretient aussi des liens étroits avec le physiologiste Etienne-Jules Marey. Celui-ci crée une station physiologique dans laquelle il réussit à analyser la locomotion humaine au moyen de la photographie instantanée. Il invente lui aussi un autre procédé de chronophotographie sur bande pelliculaire qui permet d’obtenir une série d’images à raison de 10 à 100 par seconde, puis un appareil appelé projecteur chronophotographique, ancêtre du cinématographe. Lors de l'Exposition universelle de 1900, Richer est le secrétaire de la Commission de physiologie présentée par son acolyte.

Docteur Marey. Atelier Nadar 1900

Professeur à l'Ecole des Beaux-arts

A partir de 1903, il assume sa vocation artistique en occupant la chaire d’anatomie de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Il y bouleverse une tradition bien établie en supprimant le recours à la dissection car, selon lui, elle ne restitue pas la réalité du vivant, les contractions musculaires d'un cadavre étant différentes. Au contraire, il oriente l'enseignement vers l'étude du vivant et promeut l'étude du nu et du corps en mouvement. Dans des ouvrages comme Les démoniaques dans l’art ou Les difformes et les malades dans l’art, Richer et son maître Charcot analysent les oeuvres d'art dans les musées afin de démontrer que la maladie peut être inspiratrice et que les artistes ont parfois pressenti des faits scientifiques. 

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L'Art et la médecine / par le Docteur Paul Richer, 1902

La presse médicale contemporaine reconnaît l’intérêt de ces ouvrages, parfois co-rédigés avec Charcot. Richer est également l’auteur d'une Introduction à l’étude de la figure humaineInterviewé en 1931, l'artiste explique :

L’anatomie m’aida à comprendre la sculpture, la sculpture à comprendre l’anatomie. […] J’ai étudié le mécanisme du mouvement de corps des hommes.  Avant le cinéma, j’ai fait prendre des photographies successives du même mouvement. Ce fut aussi le sujet d’un livre, d’un cours et de nombreuses statues. […] J’ai retrouvé le secret par lequel les sculpteurs de l’Antiquité réussirent à nous donner une telle impression de mouvement. Le centre de gravité de l’homme en train de courir se trouve successivement en avant et en arrière de lui. Tandis que les sculpteurs modernes le font porter sur l’un des pieds. Leur coureur est immobile.

Un artiste éclectique

A ses moments perdus, il laisse libre cours à ses divers dons artistiques. Considérant que la sculpture est plus proche de la vérité que le dessin, il l'aborde comme l'autodidacte surdoué qu'il est. Ses oeuvres s'inscrivent dans le courant réaliste contemporain ; plusieurs sont conservées au musée d'Orsay, notamment le groupe de marbre Tres in una. Par ailleurs, il a rendu hommage à certains de ces confrères en érigeant à chacun son monument : Pasteur (à Chartres), Lucas-Championnière (Hôtel-Dieu de Paris), Magnan (Asile Sainte-Anne à Paris). Vers la fin de sa carrière, il tend à sculpter des allégories féminines. Outre ses oeuvres en ronde-bosse, l’artiste s’exerce aussi à des bas-reliefs sur des médailles, technique qui l'attire car elle combine la pratique du dessin, de la gravure et de la sculpture.

Richer meurt à l’âge de 84 ans en 1933. La réussite de sa carrière tient à la complémentarité de sa double vocation : l’anatomie scientifique lui ouvre les portes de l’Académie de médecine en 1898, tandis que l’anatomie artistique le conduit à l’Académie des Beaux-Arts en 1905.

Commentaires

Soumis par Françoise DEHERLY le 11/05/2023

Je vous remercie pour votre intérêt. Cela nous encourage à continuer.
Bien cordialement

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