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Julia Bartet, la « divine »

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28 octobre 2021

Comédienne incontournable de la Belle Époque, Julia Bartet (1854-1941) est aujourd’hui moins connue du grand public que sa contemporaine Sarah Bernhardt. Elle a pourtant excellé aussi bien dans le répertoire classique et romantique que dans le théâtre de mœurs, ce qui lui a valu d’être surnommée la « divine » par ses contemporains et d’inspirer de nombreux écrivains, parmi lesquels Marcel Proust.

Julia Bartet à son bureau

Une vocation précoce
Née Julia Regnault, la future actrice grandit dans une famille modeste. Elle se rend à l’âge de sept ans à la Comédie-Française, où sa grand-mère est employée de vestiaire, pour assister à une représentation d’On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, créée très peu de temps auparavant, le 18 novembre 1861. Marquée par cette première rencontre avec la scène, elle voit tout le répertoire de la Comédie-Française au cours des années qui suivent et annonce à sa famille, à l’âge de treize ans, vouloir faire du théâtre son métier. Ses parents s’opposent d’abord à cette vocation et envoient la jeune fille dans un atelier de modiste, mais finissent par s’incliner devant sa volonté inébranlable. Julia est recommandée par sa mère en mai 1870 à Madame Provost-Ponsin, une sociétaire de la Comédie-Française, qui la prépare au concours d’entrée au Conservatoire. Admise dans la classe de Régnier de La Brière en novembre 1871, la jeune comédienne n’y reste qu’un an car elle est engagée en 1872 au Théâtre du Vaudeville par son directeur, Léon Carvaille dit Carvalho, pour créer le rôle de Vivette dans L’Arlésienne d’Alphonse Daudet. La même année, elle adopte le pseudonyme de Bartet.
 

 

Les premiers succès au Vaudeville (1873-1878)
Julia Bartet remporte son premier grand succès en 1873 au Théâtre du Vaudeville dans L’Oncle Sam, une pièce de Victorien Sardou, le maître de la comédie de mœurs depuis le Second Empire. Dans ce pamphlet contre les Etats-Unis, Julia Bartet incarne Sarah Tapplebot, une jeune Américaine calculatrice qui jette son dévolu sur un riche Français dont elle convoite la fortune. Cette collaboration entre Sardou et Bartet est très fructueuse et se poursuit avec Dora, un vaudeville créé en 1877 dans lequel la comédienne rivalise d’élégance avec sa partenaire, Blanche Pierson. Avec 1er avril de Quatrelles, pseudonyme d’Ernest L’Epine, joué la même année au Vaudeville, Julia Bartet interprète pour la première fois un rôle antipathique et remporte un nouveau succès. Alphonse Defère, le critique du Soir, écrit à son propos :
« Fine, gracieuse, élégante, tendre, ingénue, dramatique tour à tour, Mlle Bartet a joué avec une simplicité et une vérité toutes charmantes. La Comédie-Française peut envier Mlle Bartet : de telles artistes sont encore rares, même sur la scène de la rue Richelieu. »  
Les prédictions sur l’entrée de Julia Bartet au Théâtre-Français deviennent réalité en décembre 1878, date de la signature de son engagement dans la Maison de Molière, lequel stipule qu’elle jouera les jeunes premières dans la comédie et les princesses dans la tragédie.

 

L’entrée à la Comédie-Française (1879-1881)
Accueillie avec joie au Théâtre-Français par son ancienne protectrice, Mme Provost-Ponsin, Julia Bartet débute en 1879 avec Daniel Rochat, une comédie de Victorien Sardou, l’auteur qui l’a fait connaître au Vaudeville. Si la pièce est malmenée par le public et la presse, le jeu de Julia Bartet, lui, est encensé. Paul de Saint-Victor du Moniteur universel s’exclame :
« Le début de Mlle Bartet est à lui seul un succès. Il a eu l’éclat d’une conquête, la magie d’un charme. La voilà d’emblée au premier rang, comme à sa place naturelle, hors ligne, hors concours, au-dessus de toute rivalité et de toute intrigue. »
En 1880, elle s’essaie au répertoire romantique en reprenant le rôle créé par Sarah Bernhardt dans Ruy Blas en 1872, sous le regard de Victor Hugo lui-même, qui la félicite à l’issue de la représentation. La critique loue sa diction sincère et vivante et observe que « Melle Bartet vit le rôle que Melle Bernhardt se contentait de vocaliser. » Ami de Sarah Bernhardt, le poète Théodore de Banville reconnaît lui-même que la jeune comédienne a « merveilleusement exprimé l’ennui, les souffrances, l’amour idéal et chaste de Marie de Neubourg. » Pour sa troisième pièce à la Comédie-Française, Julia Bartet réalise enfin son rêve, jouer un grand classique, en interprétant Iphigénie dans l’œuvre éponyme de Racine. La comédienne a gagné l’estime de l’administrateur du Théâtre-Français, Emile Perrin, et de son comité, qui la nomment, le 24 décembre 1880, sociétaire.
 
Sociétaire de la Comédie-Française (1881-1919)
Au cours de ses trente-huit années passées à la Comédie-Française, Julia Bartet fait preuve d’une grande polyvalence en jouant aussi bien le répertoire classique que des créations nouvelles. En 1881, elle interprète Gabrielle dans Mademoiselle de Belle-Isle d’Alexandre Dumas et Camille dans On ne badine pas avec l’amour de Musset, la première pièce qu’elle a vue au Théâtre-Français, vingt ans plus tôt. En 1882, aux côtés de Got, de Mounet-Sully et de Frédéric Febvre, l’actrice incarne Blanche dans Le Roi s’amuse de Victor Hugo, cinquante ans après la création de la pièce.
La pièce Denise d’Alexandre Dumas fils, jouée pour la première fois en 1885, représente un moment important dans la carrière de Julia Bartet. Le public est au rendez-vous, et la pièce est représentée cent sept fois au cours de l’année 1885. L’actrice collabore de nouveau avec Alexandre Dumas fils pour Francillon en 1887, un succès éclatant.
 
Après être passée de Molière avec Les Femmes savantes à Scribe et Legouvé avec Adrienne Lecouvreur, Julia Bartet interprète Antigone en 1893, dans la version de Paul Meurice et Auguste Vacquerie, un rôle qu’elle va jouer à plusieurs reprises, et notamment au Théâtre antique d’Orange en 1894. Au lendemain de la représentation à Orange, au cours de laquelle l’actrice dit avoir éprouvé sa plus forte émotion artistique, l’écrivain Gustave Larroumet écrit : « Ce que Mounet-Sully a été dans Œdipe, Mlle Bartet l’a été dans Antigone ».

 

 

En 1893, la comédienne demande à reprendre Bérénice à l’occasion du deux cent cinquante-quatrième anniversaire de Racine, une pièce qui n’a pas été jouée depuis 1807. Reine de Palestine, Bérénice aime l’empereur romain Titus, qui lui a promis de l’épouser mais la renvoie de Rome quelques jours après sa prise du pouvoir. Vêtue d’un costume dessiné par son ami Gustave Moreau, Julia Bartet modernise le rôle. La critique est unanime quant à la délicatesse et la justesse de ses attitudes et la variété des nuances de diction de la comédienne. L’écrivain Henri de Régnier observe :

« Aujourd’hui, elle est Bérénice ! Que Racine convient donc bien à cette racinienne ! Mme Bartet, si elle quitte à jamais la Comédie-Française, devrait bien fonder un théâtre. On l’appellerait le Théâtre Racinien. »

C’est un triomphe qui n’est pas sans lendemain : l’actrice joue la pièce quatre-vingts fois de 1893 à son départ de la Comédie-Française. Désireuse de donner à sa coiffure un aspect oriental, elle obtient du grand bijoutier René Lalique un diadème de scène en métal repoussé, de style Art nouveau.
 

 

En s’emparant du rôle d’Andromaque en 1901, Julia Bartet confirme qu’elle est une grande racinienne. Encore une fois, elle renouvelle le rôle. La veuve d’Hector, modèle de l’épouse fidèle, ne porte plus les traditionnels vêtements noirs du deuil, mais une robe d’une nuance de gris-mauve, davantage conforme aux usages funèbres des Grecs. La retenue de la comédienne tranche avec le charivari que font les divers personnages qui gravitent autour d’elle. « Grâce triste, mélodie de la marche et de la voix, pleurs dans l’accent et jamais ni dans la gorge ni dans le nez, infinie mélancolie du souvenir, quelque chose de lointain et qui est comme au-delà des horizons », écrit Emile Faguet.
 
En 1905, Julia Bartet est nommée chevalier de la Légion d’honneur, une première pour une comédienne. Discrète, étrangère au scandale et sociétaire fidèle, elle devance Sarah Bernhardt, qui a claqué la porte du Théâtre-Français en 1880 et ne recevra la légion d’honneur qu’en 1914. En 1919, à l’âge de soixante-cinq ans, elle fait ses adieux à la scène en interprétant une dernière fois Bérénice.

 

Une muse
Retraitée de la Comédie-Française, Julia Bartet se consacre à la peinture. Au cours de sa carrière, elle a inspiré nombre de ses contemporains, dont l’écrivain Marcel Proust qui en a fait un de ses modèles pour le personnage de la Berma dans A la recherche du temps perdu. Paul Claudel la cite également dans Le soulier de satin : « On n'entend plus que la grosse caisse qui fait patiemment poum poum poum, pareille au doigt résigné de Madame Bartet battant la table en cadence pendant qu'elle subit les reproches de monsieur le comte. »

Dans le domaine des arts plastiques, elle a notamment inspiré le peintre Joseph Blanc qui exécute d’elle un portrait en allégorie de la Comédie (Musée Carnavalet) en 1885, les sculpteurs Jules Franceschi et Raymond Léon Rivoire qui réalisent respectivement un buste en terre cuite (Musée Carnavalet) et une statuette la représentant drapée à l’antique (Musée Carnavalet). Même si elle a moins posé devant les photographes que Sarah Bernhardt, elle a été immortalisée par les plus grands ateliers, à commencer par l’atelier Nadar, mais aussi par Reutlinger et Auguste Bert, qui diffusent des portraits d’elle à la ville comme à la scène. Signe de sa popularité, Julia Bartet a été également caricaturée par ses contemporains dont Leonetto Cappiello, André Rouveyre et Yves Marevéry.  

 

 

Restée toujours un peu timide, selon les mots de son partenaire Mounet-Sully, Julia Bartet n’a pas construit sa légende personnelle, au contraire de la grande Sarah. Pourtant, comme l’écrit Albert Dubeux dans l’ouvrage qu’il lui a consacré en 1938, « le théâtre compte peu de réussites aussi nobles. »

 

Pour aller plus loin
Albert Du Bois, Julia Bartet, essai critique, Paris, E. Sansot, 1920
Albert Dubeux, Julia Bartet, Paris, Plon, 1938
Anne-Martin Fugier, Comédienne : de Mlle Mars à Sarah Bernhardt, Paris, Seuil, 2001
Anaïs Laborde, Alice Gamblin, Marion Schaack-Millet, Julia Bartet, la divine : portrait d’une comédienne à la Belle-Epoque, Exposition à Versailles, Musée Lambinet, 21 mai-17 juillet 2016
Déjeuner en l'honneur de Mme Julia Bartet, sociétaire de la Comédie française (mardi 20 janvier 1920) : discours et poésies, Paris, Impr. nationale, 1920
Recueil factice d’articles de presse et de documents relatifs à Julia Bartet, 1854-1941
 

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