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Des palmiers aux hiéroglyphes, H.J. Redouté, un peintre naturaliste sur les bords du Nil

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28 juin 2022

En juillet 1798, se mêlant aux soldats de l’armée d’Orient, une troupe hétéroclite de plus de cent soixante savants débarque sur les côtes égyptiennes. Parmi les membres de cette expédition, un peintre naturaliste de talent Henri-Joseph Redouté, qui a laissé les dessins et le récit de ce périple de plus de quatre années.
 

[Karnak] : [bas-relief ornant les appartements de granit et la galerie du palais] : [dessin] / Henri-Joseph Redouté, 1798-1812

 

En juillet 1798, se mêlant aux soldats de l’armée d’Orient, une troupe hétéroclite de plus de cent soixante savants débarque sur les côtes égyptiennes. La campagne militaire décidée par le Directoire quelques mois plus tôt se double ainsi d’une expédition scientifique que Bonaparte, à la tête de l’aventure, compte inscrire dans la lignée des entreprises menées par Louis-Antoine Bougainville, par James Cook ou par Jean-François de La Pérouse.

Le général en chef s’entoure d’ hommes de formations et de spécialités diverses – ingénieurs, architectes, astronomes, chimistes, mathématiciens, médecins, pharmaciens, mécaniciens, musiciens, naturalistes et minéralogistes, dessinateurs, graveurs ou encore sculpteurs. Parmi eux, Henri-Joseph Redouté,  un peintre naturaliste de talent, nous a laissé les dessins et le récit de ce périple de plus de quatre années. Au fil des pages et des croquis, c’est le portrait d’un pays dans toutes ses dimensions qui s’esquisse. Grâce à notre artiste nous découvrons de nouvelles essences de palmiers, nous déambulons dans les marchés, nous descendons le Nil sur une felouque et voyons apparaitre au détour d’un bras du fleuve, temples et palais.

Le Cours du Nil suivant les auteurs modernes et les dernières relations / par N. de Fer, 1720,
BnF, CPL, GE DD-2987 (7794)  

 A peine débarqués, le peintre et ses compagnons se lancent à l’assaut de la cité alexandrine et découvrent rapidement, posée sur un bloc de granit, l’« aiguille de Cléopâtre », un splendide obélisque de plus de vingt mètres de haut dont Henri-Joseph reproduit avec minutie les hiéroglyphes ornant les faces.
 

[Alexandrie] : [vue de l'obélisque appelée Aiguille de Cléopâtre et de la tour des Romains] : [dessin] / François-Charles Cécile, 1798-1822 BnF, EST, RESERVE UB-181 (H BIS, 1)-FT 4

Chaque jour apporte son lot de découvertes et, après Rosette et la région du Delta, c’est au tour du Caire de se dévoiler : « le spectacle qui s’offrit à nos yeux, nous causa un véritable ravissement, on distinguait d’abord à droite et au milieu des sables du désert, les trois pyramides de Gizeh ; à gauche la ville du Caire, comme refugiée sous la chaine du Mokattam ». Les semaines passent et les explorations aux alentours du Caire et dans la région du Delta se succèdent. Chacune d’elles réunit un petit nombre de savants et une escorte, souvent considérable, de soldats.

 

Carte particulière d'un des bras du Nil sur lequel la ville de Rosette est située, 1687, BnF CPL, GE SH 18 PF 103 DIV 6 P 2
 

Jacques Miot résume parfaitement la situation : « nous étions au Caire, nous y régnions en maîtres et cependant nous ne pouvions aller nous promener hors des portes. Nous étions pour ainsi dire prisonniers au centre de nos conquêtes […] les communications étaient difficiles et dangereuses à cause des Arabes qui venaient, malgré les troupes, jusqu’aux portes de la ville. C’est ainsi que la moindre course, qui n’avait pour but qu’une recherche scientifique, avait toujours l’appareil de la guerre ». 

 

  [Assiout] : [plan, coupe, élévation et détails d'un hypogée] : [dessin] / François-Charles Cécile, 1798-1829 BnF, EST, RESERVE UB-181 (G BIS, 2)-FT 4 

 
Le danger ne freine toutefois pas l’enthousiasme de nos savants. En novembre 1798, Dominique Vivant Denon accompagne Louis Charles Antoine Desaix à la poursuite de Mourad Bey en Haute-Egypte ; il profite de cette expédition militaire pour effectuer les relevés qui achèvent de convaincre Bonaparte de la nécessité d’une mission dédiée à l’étude des monuments antiques qui s’égrènent au fil du Nil, du Caire à la première cataracte. Afin de mener à bien cette entreprise ambitieuse, deux commissions sont nommées. Henri-Joseph Redouté fait partie de la seconde ; en août 1799, il embarque pour l’épisode le plus fructueux de son périple égyptien.
 
La remontée du Nil est ponctuée d’escales qui chacune aiguise la curiosité de nos savants : visite des tombes rupestres de Minya et d’Assiout, des sites d’Antinoé et de Thèbes. Mi-septembre, les deux commissions gagnent l’île de Philae et commencent l’étude méthodique qui nourrira les volumes de la Description de l’Egypte consacrés à l’Antiquité. Les monuments aperçus trop brièvement à l’aller font cette fois l’objet d’un examen minutieux. Jusqu’à leur retour au Caire, le 4 novembre 1799, les groupes se lient et se délient au gré des explorations.
 

[Ile de Philae] : [bas-reliefs coloriés sous le portique du Grand temple]  [dessin] / Henri-Joseph Redouté, 1798-1809, BnF, EST, UB-181 (A, 1)-FOL

Redouté copie avec extrême minutie bas-reliefs, décors architecturaux et statues, comme l’attestent Jollois et Villiers du Terrage dans la description qu’ils font de la planche de l’un des bas-reliefs sculptés dans la galerie sud du péristyle du palais de Medynet-Abou : « Toutes ces figures sculptées sont revêtues de couleurs vives et brillantes qui ont été copiées avec un soin scrupuleux par notre collègue, M. Redouté ». Rien ne semble échapper à cette enquête minutieuse, pas plus les fragments d’amulettes ou de bas-reliefs que les plus petites des momies.

 

Bas-relief colorié dans la galerie sud du péristyle du palais de Medynet-Abou. [dessin] / Henri-Joseph Redouté, 1798-1812, BnF, EST, UB-181 (C BIS)-FT 4
 

En dépit des erreurs qui émaillent les dessins de Redouté et de ses compagnons, ceux-ci demeurent une source inestimable d’information sur des monuments aujourd’hui disparus comme le temple d’Amenhotep III, sur l’île d’Eléphantine, détruit en 1822, ou les bas-reliefs du linteau du mammisi de Kôm Ombo. C’est d’autant plus remarquable que les conditions matérielles de ce travail de recension d’envergure sont loin d’être idéales. Les dangers jalonnent le périple de nos savants, le temps leur manque toujours et la chaleur ne leur laisse aucun répit. Dans le péristyle du palais de Médinet Habou, un homme, harassé de fatigue, se repose quelques instants adossé sur un bloc de pierre tandis que deux de ses camarades observent les bas-reliefs dont ils vont bientôt effectuer le relevé. De tels instantanés font de ces vues de véritables scènes tout en offrant un moyen commode de nous renseigner sur l’échelle des monuments représentés.
 

[Louxor] : [détails des colosses placés près de la porte du palais] [dessin] / Henri-Joseph Redouté, 1798-1812, BnF, EST, UB-181 (F BIS)-FT 4

Un mois après son retour au Caire, en décembre 1799, Redouté se joint à l’exploration de la Vallée des rois où chacun s’empresse de détailler les mesures et les croquis réalisés lors des différentes visites faites aux pyramides de Gizeh.
 
L’heure du retour sonne finalement et en septembre 1801, à la suite de la capitulation du général Menou face aux Anglais, Redouté s’embarque pour la France. Si les savants s’inquiètent du devenir des collections et des travaux qu’ils ont réunis durant toutes ces années, ils parviennent à en conserver la majeure partie. Ils ne peuvent toutefois empêcher certaines pièces antiques d’envergure de rallier Londres ; parmi celles-ci, le poing en granit rose du colosse de Memphis et la fameuse pierre de Rosette, découverte à l’été 1799.
 
A l’aube de l’année 1802, le Nil cède sa place à la Seine et une nouvelle aventure commence, celle  de la Description de l’Égypte. C’est par le biais de ce grand ouvrage, accompli dans le cadre impérial, que les savants de la Commission des sciences et des arts pourront léguer à la postérité leur minutieux travail et jeter les bases d’une nouvelle science, l’égyptologie.

Pour en savoir plus
L’aventure Champollion. Dans le secret des hiéroglyphes, exposition à la BnF-François Mitterrand, Galerie 2, jusqu’au 24 juillet 2022, accompagnée d'un catalogue.
- Série de billets autour du Bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes
- les Essentiels-BnF sur Jean-François Champollion
- Les sélections Gallica sur le déchiffrement des hiéroglyphes
- V. Desclaux, "L'expédition d'Égypte et la naissance de l'institut d'Égypte", Blog Gallica
- Les sélections Cartes de Gallica
- Le "Gallica vous conseille" sur l'Égypte
- La découverte de l'Égypte, Fernand Beaucour, Yves Laissus, Chantal Orgogozo ; Paris : Flammarion, 1997
- C.Le Bitouzé "Dessins pour l’ouvrage de la commission d’Égypte" Vidéo, la BnF dans votre salon du 19 avril 2021
- La page sur la Description d'Égypte sur le site de la collection Patrimoines Partagés "Bibliothèque d'Orient" 
- À la redécouverte de l'Égypte : la « Carte des déserts de la Basse-Thébaïde » de Claude Sicard et le « Journal historique » d'Henri-Joseph Redouté, Vidéo de la conférence "Trésor de Richelieu" du 8 février 2022

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