Les menus présidentiels
Après un article sur les menus de mariage attardons-nous, entre les deux tours de l'élection présidentielle, sur les menus produits pour le chef de l'Etat et ses hôtes.
Palais illuminé pour la présence de Georges V, roi d'Angleterre,
photographie de presse, Agence Rol, 1918.
Menu du dîner offert à George V le 21 avril 1914 au Palais de l'Elysée, allégorie de l'Entente cordiale, et
Georges V et Raymond Poincarré en calèche le même jour, photographie de presse, Agence Rol, 1914.
La collection de la bibliothèque municipale de Dijon comprend de nombreux menus de repas donnés par mais aussi pour des présidents en exercice. Parmi eux, on compte 117 souvenirs de réceptions ayant eu lieu dans les palais présidentiels, à l'Elysée surtout bien sûr, mais aussi à Versailles, Rambouillet, Marigny, Chambord, Champs, dans les préfectures ou encore à l'étranger. A cela s'ajoutent les toutes dernières entrées de l'année : 23 menus François Mitterrand, 10 menus François Hollande, 2 menus Valéry Giscard d'Estaing et 1 menu Nicolas Sarkozy.
Gaston Doumergue au Palais de l'Elysée, photographie de presse, Agence Rol, 1921
et le menu du déjeuner qui lui a été servi le 5 juillet 1924 au Palais de l'Elysée.
Parmi ces repas, certains sont de grandes réceptions officielles, les dîners d'Etat, aux hôtes parfois prestigieux, et d'autres sont les petits cartons de déjeuners privés, simplement ornés du chiffre du président, comme ci-dessus.
Seize chefs d'Etat sont représentés, les plus nombreux étant Valéry Giscard d'Estaing (36 menus), François Mitterrand (29), Charles de Gaulle (18), Albert Lebrun et Georges Pompidou (11 chacun). La plupart des menus sont des achats même si certains étaient conservés dans la collection d'origine ou y sont entrés grâce à des dons. Le plus ancien date de 1903 (Emile Loubet recevait Victor-Emmanuel III), le plus récent du 11 avril 2017 (François Hollande recevait le président de la République de Guinée Alpha Condé lors d'un dîner d'Etat).
Représentatif de la grandeur du pays, événement à la fois diplomatique et gastronomique, le dîner d'Etat se doit d'impressionner et de faire plaisir à travers les mets et les vins les plus réputés.
Qu'y mange-t-on ? Jusqu'à la présidence de Poincaré, les menus dépassent les dix plats et suivent (ou presque) l'ordre classique des mets expliqué par Auguste Escoffier dans Le livre des menus publié en 1912. Lors de ce repas offert par Armand Fallières au roi de Norvège Haakon VII en 1907, se succèdent un hors-d'œuvre froid (melon frappé), deux potages (consommé Théodora et crème de volaille à l'ancienne), trois relevés (truite saumonée au vin du Rhin, poulets de grain à la Parisienne, selles de pré-salé Forestière), une entrée froide (foies gras frais glacés au Xérès), deux sorbets (granit à l'orange et sorbets au kummel), deux rôts (dindonneaux truffés et jambons d'York au Champagne), une salade (gauloise), un légume (asperges d'Argenteuil sauce crème) pour finir par des poires Crassanes (certainement glacées), des friandises et un dessert non explicité.
Dans les années 1920, on semble passer sous la barre des dix plats. A partir de la présidence de Gaulle, la constitution des dîners nous est plus familière avec cinq plats (potage, poisson et/ou viande, légume, glace ou dessert). Une alternance gastronomique se met en place autour du fromage que Charles de Gaulle et Nicolas Sarkozy feront disparaître puis que Georges Pompidou et François Hollande remettent à l'honneur. A partir de Valéry Giscard d'Estaing, le repas ne commence plus systématiquement par un potage et il faut attendre le septennat de Jacques Chirac pour que le dessert roi ne soit plus la glace.
On cite souvent l'ère giscardienne comme celle qui allège les repas élyséens tout en préservant leur raffinement, comme ce menu du 25 février 1975 le laisse entendre : pour la réception de Paul Bocuse au grade de chevalier de la Légion d'honneur, de grands chefs privés, précurseurs de la Nouvelle Cuisine une dizaine d'années auparavant, officient à l'Elysée. Paul Bocuse réalise sa fameuse soupe VGE (petits légumes, viandes rouge et blanche, foie gras, truffe noire dont le président est friand, dans un ramequin couvert de pâte feuilletée), les frères Troisgros proposent leur saumon à l'oseille (créé en 1963), Michel Guérard son foie gras mi-cuit et Roger Vergé les légumes. Quant au dessert, notre menu ne donne pas le détail mais le chef Bernard Vaussion nous révèle qu'il s'agissait d'un gâteau au chocolat de Bernachon.
Quant au vin, les menus début de siècle de la collection dijonnaise n'en gardent pas ou peu de traces (y avait-il un carton à part ?) ; il nous faut attendre les années 1930 pour y voir indiqués les millésimes et les septennats de François Mitterrand pour connaître tous les détails des bouteilles servies. Il faut noter que lorsque l'hôte est musulman, les jus de fruits sont mentionnés et les vins cependant proposés aux autres convives.
Le roi George VI et la reine Elisabeth d'Angleterre, photographie de presse, Agence Meurisse, Paris, 1937
et menu du déjeuner servi en leur honneur le 21 juillet 1938 au château de Versailles, un bel accord mets / vins.
Les menus en tant qu'objets évolueront beaucoup à travers le temps. Les grandes compositions allégoriques et colorées de la IIIe République seront remplacées sous la IVe par des gravures en noir représentant l'Elysée ou d'autres palais de la République. Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac mettront à l'honneur les artistes français anciens ou plus récents, tandis que les deux derniers quinquennats jouent parfois de sobriété en inventant un nouveau modèle à couverture blanche ornée du faisceau du licteur, d'un blason RF aux deux têtes de lion, d'une branche de chêne et d'un rameau d'olivier, le tout gaufré et parfois doré.
Il faudrait encore parler du cordon aux couleurs du pays invité, du programme musical, de la traduction du menu dans la langue de l'hôte, des documents d'accompagnement tels que cartons d'invitation, cartons de placement, allocutions des chefs d'Etat, alors n'hésitez pas à feuilleter la collection dijonnaise de menus présidentiels et à découvrir les dernières acquisitions de la bibliothèque sur le blog Happy Apicius !
Document d'accompagnement du menu du dîner offert à George V le 21 avril 1914.
Caroline Poulain, en charge du patrimoine à la bibliothèque municipale de Dijon
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