Boyard, le fort de l'inutile
Il y a 220 ans en 1803, le Premier Consul Bonaparte décide de faire construire Fort Boyard. Penchons-nous sur l'histoire paradoxale et mouvementée d'un lieu emblématique.
Contexte historique et géographique
Sur la Côte Atlantique en face de l'embouchure de la Charente, le fort repose sur un banc de sable au milieu du Pertuis d'Antioche, détroit formé par l'Ile de Ré et l'Ile d'Oléron au coeur duquel on trouve aussi l'ile d'Aix et l'Ile Madame.
En 1661, lorsque Louis XIV nomme Colbert au Conseil, la Marine du roi ne compte plus qu'une vingtaine de vaisseaux sur les soixante-trois qu'elle alignait lors de sa création par le Cardinal de Richelieu. Jusqu'alors les bateaux français étaient livrés à prix d'or par la Hollande ; or le ministre voulait augmenter les exportations et relancer le commerce maritime tout en assurant la sécurité des navires marchands, objets de fréquentes attaques corsaires. Il était donc nécessaire de reconstituer la flotte du Ponant en lui trouvant un lieu de mouillage, de refuge et d'approvisionnement. C'est le site de Rochefort que l'on choisit en 1666 pour abriter le futur arsenal maritime car, occupant une position médiane entre Nantes et Bordeaux à 20km à l’intérieur des terres, il bénéficie ainsi de la protection que lui offrent l'estuaire de la Charente, plusieurs batteries sur les îles toutes proches ainsi qu’un rempart entourant la ville, créée de toutes pièces pour l’occasion.
L'existence du fort s'inscrit pleinement dans le dispositif de l'Arsenal de Rochefort. Le Pertuis d'Antioche crée un resserrement qui mène vers l'estuaire de la Charente. Or cette passe entre Aix et Oléron, enjeu majeur pour la protection de l'Arsenal contre un ennemi venant de la mer, mesure 5,5 km alors que la portée utile des canons les plus puissants du XVIIe siècle ne dépasse pas 1200 mètres. Il importe donc de pourvoir ce verrou insuffisant d'un fort intermédiaire entre les deux îles pour réduire l'espace couvert par l'artillerie.
Le banc de sable
Il est représenté pour la première fois sur la carte figurant ci-dessus par le navigateur hollandais Waghenaer, Lucas Janszoon (1533?-1606) dans son Miroir de la navigation de la mer occidentale. Le cartographe le désigne en néerlandais sous le nom de : "ban iaert" d'où l'étymologie du toponyme Boyard. Le banc de sable est certes idéalement bien placé, mais construire sur du sable s'avère à l'époque une prouesse technique très coûteuse selon l'ingénieur du roi, Vauban (1633-1707) consulté sur la faisabilité du projet :
Il est aussi impossible de construire un fort sur le banc de Boyard, que de prendre la lune avec les « dents. »
A la place, on décide d'utiliser des chaloupes canonnières. En 1757, le sac de l'ïle d'Aix par les Anglais relance le projet avorté et l'ingénieur Louis Filley, un élève de Vauban, propose un bâtiment de forme rectangulaire. Mais son idée tombe à l'eau !
Les différents chantiers
- Il faut attendre Bonaparte pour que le projet se concrétise à partir de 1803. La réalisation est confiée à deux ministères : celui de la Marine a en charge la partie immergée et le Génie militaire le fort lui-même. Sur l'île d'Oléron, on installe une base logistique qui prend le nom de Boyardville. On crée un enrochement artificiel constitué de tonnes de pierres en provenance des carrières d'Aix, Fouras et Port-des-Barques. Ce sont donc des milliers de mètres cubes de blocs acheminés par gabarres que l'on déverse sur le banc de sable. Puis on établit une plateforme à 1m50 au dessus du niveau des marées hautes. Les travaux avancent lentement car il faut attendre la basse-mer pour les réaliser et, de plus, ils sont l'objet des attaques britanniques et des tempêtes. L'enrochement finit par s'affaisser sous le poids et Napoléon qui vient inspecter le chantier en 1808 décide d'alléger les structures. Sous la pression des raids ennemis, l'Empereur finit par renoncer à la construction du fortin en 1809.
- En 1837, l'évolution des techniques de construction facilitant la tâche, Louis-Philippe ordonne la reprise des travaux qui s'achèvent en 1859.
- Cependant, la violence des vagues et les difficultés d'accostage rendent nécessaire de construire un brise-lames et un havre d'abordage. Cela prend sept années supplémentaires.
Dans le projet architectural retenu, le fort se présente comme un vaisseau de pierre armé de 74 canons. Conçu pour sa puissance de feu, il laisse la part belle aux canons, chaque étage devant compter 22 canons ou obusiers. Les premier et deuxième niveaux sont réservés aux logements des officiers et soldats, pouvant atteindre par temps de guerre 260 hommes. La terrasse est conçue comme une plateforme d'artillerie avec 18 canons disposant de rails de pivotement. Une tour de vigie équipée d'un sémaphore culmine à 29 mètres.
Dès son achèvement en 1866, le fort est déjà rattrapé par les progrès techniques de l'artillerie qui devient rayée : des sillons à l'intérieur des tubes de canon assurent une excellente stabilité au projectile en rotation. Cela permet de tripler la portée des canons qui passe à 3500 m. Le bâtiment est désormais inutile sur le plan militaire puisqu'on peut désormais se contenter des batteries installées sur les deux îles pour verrouiller la passe entre Aix et Oléron. On va donc chercher d'autres affectations pour Boyard.
La prison
En 1871, la répression de la Commune de Paris a pour conséquence plus de 10 000 arrestations, dont 4500 condamnés à partir au bagne en Nouvelle-Calédonie. Avant d'entamer le voyage, ils sont emprisonnés temporairement à Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort. Le fortin désormais inutilisé et isolé en pleine mer apparaît comme un lieu de détention idéal. Pendant dix-huit mois, les Communards sont près de 850 à y séjourner, parfois 300 à la fois dans un espace prévu pour 260 dans des conditions hygiéniques déplorables ! Un journaliste décrit une prison lugubre. Un des détenus les plus célèbres fut Henri Rochefort (1831-1913), directeur de la Lanterne.
La défense passive de l'Arsenal
En 1872, le fort devient un élément de la défense passive de l'Arsenal de Rochefort. Des torpilles de fond sont immergées dans le pertuis et reliées au fort Boyard qui peut déclencher leur explosion. L'année suivante, le marégraphe du fort Enet est transféré à Boyard. Une dizaine d'hommes sont affectés à l'entretien du bâtiment. L'ancien site militaire perd son rôle de défense passive avec l'abandon de la technologie des torpilles de fond. Il est désarmé et déclassé en 1913.
Cependant il continue à s'inscrire dans le paysage comme une sorte d'amer mystérieux. L'Etat décide de l'inscrire à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1950. Le vaisseau de pierre est aujourd'hui internationalement connu grâce à l'émission de jeux éponyme, même si sa localisation exacte est souvent assez floue dans la mémoire collective.
Commentaires
Découvrir la Charente
Bonjour !
Merci beaucoup pour ces informations très intéressantes sur l'histoire du Fort Boyard. C'est super qualitatif et j'ai hâte de partir à la découverte de la Charente.
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