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Héros de la littérature pour la jeunesse, épisode 3 : sales gosses contre princesses

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27 juillet 2016

Ah les sales gosses… ces enfants adorables, angéliques, modèles d’excellence qui nous rappellent ce qu’est la perfection… ou pas ! A l’opposé de ces enfants terribles, les princesses sont des héroïnes tout aussi incontournables de la littérature pour la jeunesse. Elles rayonnent par leur beauté et leurs qualités morales, mais il faudra attendre le XXe siècle pour qu’elles puissent exister autrement qu’en épousant leur prince charmant.

La BnF s'associe à Partir en livre, la grande fête du livre pour la jeunesse du 20 au 31 juillet 2016, en jouant au jeu des 12 familles. A cette occasion, Gallica vous propose de (re)découvrir les héros de la littérature pour la jeunesse, dans les pages numérisées par la BnF et ses partenaires.

Le sale gosse est un type de personnage qui est proposé comme repoussoir et exemple à ne pas suivre. Au XIXe siècle, les valeurs de tempérance et d’obéissance sont centrales dans l’éducation des enfants : respect dû en premier lieu aux parents, mais aussi à toute forme d’autorité. Dans les abécédaires, cette valeur d’obéissance est souvent illustrée, par contraste, par la figure de l’âne qui se trouve par hasard en tête de l’alphabet et constitue un double du cancre. « Paisible animal à quatre pattes, que nous rencontrons portant les provisions au marché. Il y en a aussi d’autres qui n’ont que deux pieds. Ces derniers, ce sont ceux que vous voyez tous les jours à votre école, rester en figure d’âne, à genoux, au milieu de la classe. Ce sont les paresseux qui ne veulent pas apprendre leurs leçons ».

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Les mésaventures de Jean-Paul Choppart, Louis Desnoyers.

Par opposition aux historiettes moralisatrices, volontiers larmoyantes et remplies de bons sentiments qui constituaient une part importante de la production destinée à la jeunesse depuis ses origines, se développe dans le courant du XIXe siècle des « antiberquinades », sur les traces de Jean-Paul Choppart, qui était « fainéant, gourmand, insolent, taquin, hargneux, peureux, sournois ». Les propos et les dessins sont caricaturaux, les transgressions enfantines reçoivent une sanction outrancièrement brutale (par exemple dans Les infortunes de Touche à tout, piqué par des abeilles et des sangsues, brûlé, mordu, etc.). Mais sous la drôlerie de ces histoires catastrophes, il s’agit bel et bien de mémoriser un contenu édifiant.

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Pierre l'ébouriffé : joyeuses histoires et images drôlatiques pour les enfants de 3 à 6 ans, Heinrich Hoffmann, 1872.

Pierre l’ébouriffé, que l’on nomme aussi Crasse Tignasse, est un enfant désobéissant qui ne se laisse couper ni les ongles ni les cheveux. Sous forme d’un recueil en rimes de dix leçons de morale pour enfants, l’auteur y traite avec humour de ce qu’il ne faut pas faire, de mal se tenir à table à se moquer des étrangers, en passant par se brûler en jouant avec des allumettes et faire mal aux animaux. Déçu par les livres disponibles en librairie, le psychiatre allemand Heinrich Hoffmann (1809-1894), décide d’écrire des histoires cocasses et cruelles pour son enfant de trois ans. En 1845, il crée Der Struwwelpeter qui deviendra un classique du livre d'images, traduit en France en 1860 et un peu partout dans le monde.

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La civilité puérile et honnête expliquée par l'oncle Eugène et illustrée par M. B. de Monvel, 1887

Le sale gosse peut être dénoncé de façon beaucoup plus subtile, par la simple construction de la page chez Maurice Boutet de Monvel, comme cette diagonale créée par les corps du professeur de maintien et des enfants qui guide le regard du lecteur vers le pied mal placé du benjamin de la famille.

Face à ces enfants terribles, les princesses rayonnent dans leurs plus beaux atours.

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La belle au bois dormant, Charles Perrault, 1872.

Des fées qui se penchent sur son berceau, la Belle au bois dormant reçoit tous les dons : la beauté, l’esprit, la grâce, la danse, le chant et la musique. En voyant la princesse qui va lui ravir l’amour du prince, la petite sirène, elle-même la plus jeune fille du roi des mers, doit reconnaître qu’elle n’avait jamais vu « une si belle figure, une peau si blanche et de grands yeux noirs si séduisants ».

Bien souvent, les personnages féminins de conte présentent le passage de l’état enfantin à l’état adulte et sont des récits de métamorphoses (parfois jalonnés de métaphores évoquant la puberté et la sexualité). Pour paraphraser maladroitement Simone de Beauvoir, on ne naît pas princesse, on le devient, comme le montrent les exemples de ces trois jeunes filles ordinaires devenues princesses.

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Cendrillon, Charles Perrault, ill. Arthur Rackham, 1912.

Chez Perrault (1697), Cendrillon est une jeune fille qui a perdu sa mère. Exploitée par sa marâtre et ses demi-soeurs, elle parvient tout de même, aidée par sa fée-marraine, à se rendre au bal où elle subjugue le prince. Mais aux douze coups de minuit, le carrosse redeviendra citrouille. En s’enfuyant, Cendrillon laisse tomber une pantoufle de verre, ce qui permet au prince de la retrouver et de l’épouser. Chez les frères Grimm (1812), pas de marraine-fée, pas de citrouille-carrosse, pas de couvre-feu, pas de pantoufle de verre ! C’est le noisetier poussé sur la tombe de sa mère qui offre à Cendrillon robes et pantoufles de soie, d’argent et d’or. Après le bal, c’est avec l’agilité d’un écureuil qu’elle se réfugie dans un pigeonnier puis en haut d’un arbre. De tous les contes, Cendrillon est celui qui a le plus de postérité scénographique et musicale.

Reconnu illustrateur par excellence du conte de fées, l’Anglais Arthur Rackham (1867-1939) renouvelle son art au lendemain de la Grande guerre en illustrant deux contes de Perrault en 1919 et 1920 (Cendrillon et la Belle au bois dormant). Différents des ouvrages précédents de Rackham par l’utilisation presque exclusive de l’effet de silhouettes, ils témoignent de la maîtrise du procédé par l’artiste, de son humour et de son talent à évoquer des situations par le simple tracé d’un profil ou d’une attitude. Pour aller plus loin, réécoutez la conférence de Bernadette Bricout, « Cendrillon, d'un monde à l'autre ».

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Le magasin des enfants, Mme Leprince de Beaumont, ill. Th. Guérin, 1843.

Tout en punissant ses sœurs frivoles et orgueilleuses, la fée félicite la Belle d’avoir choisi la Bête : « vous avez préféré la vertu à la beauté et à l’esprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une même personne. Vous allez devenir une grande reine : j’espère que le trône ne détruira pas vos vertus ».

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Le liseron, ill. Walter Crane, 1874.

Dessinée par Walter Crane, Liseron est une jeune bergère orpheline, qui ne rêve que d’avoir des souliers pour aller à la messe et d’apprendre à lire. Remarquée par la Comtesse de Fière-Garde qui la prend sous sa protection, elle sauve celle-ci grâce à son instruction et devient sa belle-fille. Elle s’élève alors quasiment au rang de princesse puisque c’est le roi lui-même, de passage, qui la conduit à l’autel. Elle n’en conserve pas moins la tête sur les épaules : « la fortune ne tourna point la tête à Mademoiselle du Liseron, devenue Comtesse de Fière-Garde ; les gens du pays citent encore sa bonté et sa charité ».

Modestie, discrétion, douceur sont, au moins autant que la beauté, les qualités essentielles que l’on attend à l’époque d’une princesse et de toutes les jeunes filles. Les princesses et les sales gosses sont donc bien des modèles et des contre-modèles proposés aux enfants.

Prochain épisode : Héros de la littérature pour la jeunesse : intrépides et seconds rôles

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