Vie et mort de Vatel
Le 24 février 1671, alors qu’il est chargé de somptueuses festivités données à Chantilly en l’honneur de Louis XIV, François Vatel, épuisé par les préparatifs et persuadé d'être déshonoré par plusieurs incidents, se suicide. Le blog Gallica se penche sur la vie et la mort du célèbre Vatel.
Fils d’agriculteurs picards né en 1631, François Vatel conduit habilement sa carrière : en 1656, le voici déjà maître d’hôtel de l’homme le plus riche de France, le surintendant Fouquet. Contrairement à ce qu’a parfois retenu la postérité, Vatel n’est pas cuisinier : il veille aux réserves alimentaires, aux déplacements des meubles et de la vaisselle, mais aussi aux achats de chevaux, à d’importants transferts de fonds. Il se voit même confier des missions d’espionnage… En 1661, c’est lui qui supervise les fêtes d’inauguration du château de Vaux-le-Vicomte, en présence du jeune roi Louis XIV et de la cour.
Des fêtes trop belles pour le Roi
Dans sa correspondance, Jean de La Fontaine relate le caractère exceptionnel de la « fête donnée à Vaux » le 17 août 1661 : « Il y eut un souper magnifique, une excellente comédie, un ballet fort divertissant, et un feu qui ne devait rien à celui qu’on fit pour l’entrée. […] La délicatesse et la rareté des mets furent grandes. […] Le souper fini, la comédie eut son tour : on avait dressé le théâtre au bas de l’allée des sapins. […] Les décorations furent magnifiques ; et cela ne se passa pas sans musique. »
Jamais Vaux ne sera plus beau qu’il le fut cette soirée-là. »
Jean de La Fontaine, lettre du 22 août 1661
Louis XIV, blessé dans son orgueil par tant de fastes et inquiet des ambitions de Fouquet, le fait arrêter. Vatel prend peur et fuit vers l'Angleterre.
Des dangers du perfectionnisme
En 1667, on retrouve Vatel « contrôleur général » du château de Chantilly, où s’est retiré le prince de Condé, en disgrâce depuis la Fronde.
Le Grand Condé souhaite regagner la confiance royale, obtenir de nouvelles fonctions et ainsi renflouer ses caisses. En vue de réconciliations, il invite, en 1671, Louis XIV, la reine et le frère du roi, accompagnés de la cour – soit environ 2 000 personnes – à Chantilly. Le Roi ne s’y est pas montré depuis longtemps et se réjouit de découvrir les nouveaux aménagements des jardins par Le Nôtre.
C’est naturellement à Vatel qu’incombe l’organisation de ces 3 jours de festivités, du 23 au 25 avril. La visite ne lui a été annoncée que quinze jours auparavant, et Vatel se prive de plusieurs nuits de sommeil pour parvenir à relever ce défi de taille, comme le raconte Madame de Sévigné dans une lettre datée du 17 avril : « Jamais il ne s’est fait tant de dépenses au triomphe des empereurs, qu’il y en aura là ; rien ne coûte ; on reçoit toutes les belles imaginations sans regarder à l’argent. […] Il faut quatre repas, il y aura vingt-cinq tables servies à cinq services, sans compter une infinité d’autres qui surviendront : nourrir tout, c’est nourrir la France et la loger ; tout est meublé : de petits endroits qui ne servaient qu’à mettre des arrosoirs deviennent des chambres de courtisans. »
Dans une autre lettre, le 26 avril, Madame de Sévigné relate l’enchaînement tragique des événements : « Le Roi arriva jeudi au soir ; la chasse, les lanternes, le clair de lune, la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa : il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners où l'on ne s'était point attendu. Cela saisit Vatel ; il dit plusieurs fois : "Je suis perdu d'honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas." »
Vatel n’a pas dormi depuis plus de dix jours. A la nuit tombée, nouvelle déconvenue : le feu d'artifice, qui a coûté fort cher, est couvert par les nuages. A quatre heures du matin, Vatel rencontre un pourvoyeur qui ne lui apporte qu’une infime partie de la livraison de poissons. Vatel croit qu’il n’en recevra pas d’autres et s’estime déshonoré. Il monte à sa chambre, met son épée contre la porte et se la passe au travers du cœur. Les livraisons de poissons arrivent alors de tous côtés. On cherche Vatel pour qu’il les distribue : on le découvre dans une mare de sang.
Le Prince de Condé est au désespoir. Louis XIV lui-même fait part de son affliction. Mais la perte de Vatel ne doit pas empêcher les festivités de se poursuivre, et le pauvre contrôleur général se trouve bien vite remplacé : « On dîna très bien, on fit collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut à la chasse ; tout était parfumé de jonquilles, tout était enchanté », conclut Madame de Sévigné. La fête est un éblouissant succès, comme le rapporte La Gazette, le 8 mai 1671. Elle scelle le retour en grâce du Grand Condé.
Le geste de Vatel a fait couler beaucoup d’encre et a beaucoup contribué à sa postérité. Citons, entre autres références, un poème de Joseph Berchoux dans La Gastronomie, ou L'homme des champs à table (1803) ; un hommage par Grimod de la Reynière (Almanach des gourmands, 1810) ; une comédie-vaudeville en un acte de Scribe et Mazères (Vatel ou le petit-fils d'un grand homme, 1827) ; des évocations par Antonin Carême (1833) ; une interprétation du geste de Vatel comme conséquence d’une passion amoureuse (La Véritable mort de Vatel, Louis Lurine, 1854) ; un jugement sévère d’Alexandre Dumas (Grand Dictionnaire de cuisine, 1873) ; et jusqu’à la publicité, qui n’a pas hésité à s’emparer de cette illustre figure !
« Bouillon Vatel... suc de bœuf extra... », affiche d’Eugène Ogé, vers 1910
Pour aller plus loin
- Nicole Garnier-Pelle, Vatel. Les Fastes de la table sous Louis XIV, Château de Chantilly, In Fine Art, 2021.
- « Vatel, dans les coulisses de la fête », animation actuellement au château de Vaux-le-Vicomte, jusqu’au 6 novembre 2022.
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