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Morphy, Michel (1863-1928) 1/2

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27 mars 2024

Michel Morphy, totalement inconnu de nos jours, a pourtant été l’un des auteurs les plus lus à la Belle Époque. Sa vie se partage entre une jeunesse militante fournie et l’écriture de romans peu originaux, mais entraînant ses lecteurs (et surtout ses lectrices) dans des péripéties sentimentales et aventureuses hors normes.

Michel Morphy, Demare, Anti-Ferry, 21 février 1885

La carrière

"Comment a-t-on pu oublier Michel Morphy ?" s’exclamait récemment son biographe François Gaudin. Sa vie fut au moins aussi intéressante que ses écrits, sinon plus. Ce journaliste révolutionnaire qui devint un suppôt du général Boulanger, antisémite et nationaliste, resta cependant toute sa vie fidèle à ses amis communards et d’extrême gauche. Ce paradoxe ne l’empêcha pas d’écrire et de devenir un écrivain immensément populaire durant la Belle Epoque.

Le Vampire : les mystères du crime, Michel Morphy, Paris, 1886

Michel Jules Morphy-Mac Sweeny, dit Michel Morphy, naît au Royaume-Unis le 15 avril 1863. Son père est enseignant, et suit sa femme, Marie-Louise Coustillier, dans son pays de naissance, la France. Durant la Commune, cette dernière secourt les communards, et une légende affirme que l’enfant ait participé à la construction d’une barricade. Le petit jure à sa génitrice d’œuvrer pour la Sociale. Mais celle-ci meurt dès 1872, et son père, catholique conservateur, confie l’éducation du jeune Michel à un curé. Tout cela se passe assez mal, comme on pouvait s’en douter, et le jeune homme fugue à l’âge de 17 ans, ne survivant que d’expédients dans les premiers temps.

La Marchande des quatre saisons par Michel Morphy, affiche, L. Tinayre

Très tôt, il fréquente les milieux anarchistes et révolutionnaires de la capitale. En 1879, il aurait été (le conditionnel est de rigueur : il avait seize ans !) secrétaire du Cercle socialiste de Montmartre, puis délégué de l’Union fédérative du Centre de la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF). Il fréquente alors des célébrités comme Louise Michel et Jean-Baptiste Clément (l’auteur bien connu du Temps des cerises). Suit une période de plusieurs années où Michel Morphy, d’un tempérament rebelle, va commettre une série d’infractions, punies par des amendes et même de la prison, tout d’abord en 1880, lors d’un discours sur la tombe d’un Communard, et il est expulsé de France (étant britannique) : c’est pourquoi, dès sa majorité, il opte pour la nationalité française. D’autres condamnations suivent, pour insultes à agents (il les traite d’"assassins misérables"), participation à une émeute, création de journaux subversifs (La République sociale, Le Drapeau rouge) qui le conduisent à nouveau en geôle, lettres d’injures, etc. En 1884, il rédige un libelle, Les Mystères de la pornographie cléricale, sur la base d’une série de passages scabreux tirés de l’Ancien Testament. Il est à nouveau condamné. Un reporter du Matin note ainsi à l’audience :

Le Matin, 5 mars 1884

Lors d’une de ses périodes d’emprisonnement, il s’évade. Au cours de sa cavale en 1885, il lance un brûlot, L’Anti-Ferry, qui lui vaut une sanction pécuniaire salée. Ce qui ne l’empêche pas de travailler dans une librairie, et d’écrire dans toutes sortes de feuilles, comme Le Réveil ou Le Mot d’ordre. Au total, il a subi, entre 1880 et 1885, neuf condamnations comprenant 19 mois de prison et 4 500 Fr. d’amende, ce qui était alors une grosse somme.

morphy_affiche.jpg

L'Ange du faubourg, roman dramatique par Michel Morphy, affiche, Imp. H. Laas, Paris ; A. Bonnard lith.

Au-delà de ses écrits quasi pornographiques et des pamphlets, il commence à rédiger des romans en feuilletons, dès 1886 : Les Amours de Mignonette, Le Vampire : les mystères du crime ou Une Nuit de noces. Mais, très vite, une autre occupation va l’accaparer. Il devient partisan du général Boulanger, un militaire velléitaire, qui va tenter de s’emparer du pouvoir plus ou moins légalement, mais n’osera pas aller jusqu’au bout de son projet. Son programme était fondé sur le nationalisme, l’antisémitisme, la lutte du peuple contre les élites, ce qui plaît bien au contestataire Murphy. Il lui emboîte le pas, devenant l’un de ses propagandistes les plus zélés et les plus fidèles. Il a ainsi rédigé presque à lui tout seul un journal prosélyte sur son idole, La Lanterne du général Boulanger, mais aussi L’Anti-Floquet, de la même tendance. Il se fait également son biographe : Histoire du général Boulanger, le soldat citoyen. Il relatera toute cette aventure dans un opuscule, deux ans plus tard : Mon rôle dans le boulangisme. Certains ne lui pardonneront jamais ce tournant vers ce qui était considéré comme l’extrême droite. Car il ne le renia jamais, même s’il continua à fréquenter Louise Michel et d’autres révolutionnaires. Il fait encore un peu de prison, lors d’une émeute urbaine à Montmartre en 1891. Il publie aussi un pamphlet, Protestation contre les massacres de Fourmies, qui avait été en 1891 une tuerie contre des manifestants pacifiques qui défilaient pour la journée de travail de huit heures.

Le Monde comique, Paris, 1897

Cependant la chute de Boulanger (et son suicide, sur la tombe de sa maîtresse, à Bruxelles) provoque chez Morphy un véritable bouleversement : ses désillusions et ses regrets le conduisent au renoncement à toute action publique. Ses convictions resteront du domaine privé, et il n’exprimera plus d’opinions politiques en public. En revanche resteront de cette période le nationalisme, un anti-germanisme et l’antisémitisme, tout cela étant courant à cette époque. Cette vie militante ne dure qu’une petite période, de 1879 à 1891, alors qu’il avait entre 16 et 28 ans ! Il devient alors la plume d'Aristide Bruant, ancien boulangiste et fondateur du journal La Lanterne. C’est lui qui l’aida notamment à rédiger son roman Les Bas-fonds de Paris. Mais ce n’est pas le seul : il a aussi des liens avec Hector France (écrivain boulangiste), Louise Michel, Félix Pyat (auteur révolutionnaire) et même Michel Zévaco (le célèbre auteur populaire) qu’il aida à ses débuts. Lui-même passe son temps à l’écriture de romans, devenant un auteur très lu, et donc aussi un homme riche (il se fait construire un hôtel particulier près du parc Montsouris à Paris). Il se marie en décembre 1884, prenant Georges Courteline pour témoin. Sa femme décède en juillet 1912, non sans lui avoir donné trois enfants, Georges, Ritta et Louise (qui écrira au moins un roman policier). Il s’oppose à son éditeur Rouff, à propos de récits qu’il avait fait republier chez des maisons concurrentes sans le prévenir. Cela entraînera six procès… qu’il perdra tous ! Ce qui va amputer un peu sa fortune. Mais Michel Morphy n’était pas éternel : il s’éteint le 23 janvier 1928, d’une attaque d’artériosclérose, à 64 ans.

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