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Louise Labé, Belle Cordière ?

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27 mars 2024

La vie pleine de mystère de Louise Labé a suscité légendes et fictions dès le XVIe siècle, avec en particulier la superposition tenace de l'autrice avec une courtisane réelle ou fantasmée surnommée la Belle Cordière. Sa redécouverte au XIXe siècle fait d’elle un veritable écran à fantasmes où l'autrice est effacée.

La différence entre ces deux états d’un même portrait, le plus célèbre de Louise Labé, illustre bien la manière dont la postérité l’a transformée. Le portrait initial est gravé en 1555, l’année de la publication des oeuvres, par Pierre Woeiriot, graveur lorrain qui travaille alors à Lyon et collabore régulièrement avec les imprimeurs. Ce portrait énigmatique de l’autrice plonge son regard dur dans celui du spectateur.
Ce portrait est retouché en 1872 par le graveur lyonnais Henri-Joseph Dubouchet afin de donner des traits plus doux à la Belle cordière. Cette représentation idéalisée a été critiquée dès la fin du XIXe siècle, par exemple par Félix Desvernay, qui ajoute dans ce but une « note sur deux portraits de Louise Labé dite la Belle Cordière » à son Étude biographique et bibliographique sur Claudius Brouchoud (1887) :

 
On sait peu de choses de la vie de Louise Labé, et très vite, l’autrice voit son image ternie par les légendes entourant sa biographie. Une rumeur tenace l'associe à une courtisane réelle ou fantasmée, une figure légendaire et sulfureuse qui prend une dimension archétypale, surnommée « Belle Cordière », évoquée dans plusieurs versions de la « chanson nouvelle de la Belle cordière de Lyon ». Louise est « cordière » c’est un fait, mais la figure de la Belle Cordière ne lui est pas forcément superposable.
Plusieurs rumeurs difficiles à vérifier entourent la vie de Louise Labé. Elle aurait par exemple pris part au Siège de Perpignan en 1542, habillée en homme sous le nom de « Capitaine Loys », peut-être une extrapolation à partir de son éloge en Penthésilée guerrière dans l’ode XXIV des poèmes à sa louange.
 


Portrait de Loise Labé en Jeanne d’Arc, attribué à Nicolas Denisot

On lui prête par ailleurs des liaisons, avec le banquier florentin Tomaso Fortini, et divers poètes, notamment Olivier de Magny, dont l'ode « A Sire Aymon » (1559) met en scene un mari trompé qu’on assimile à Ennemond Perrin. Sur fond de polémique religieuse, Calvin la traite de femme publique (plebeia meretrix) (Recueil des opuscules, 1566). De fait, écrire et surtout publier ses écrits constitue pour une femme un acte de transgression qui la fait sortir de l’univers domestique et du rôle assigné aux femmes, et l'expose au soupçon d’impudicité : de « femme publiée » on glisse vers « femme publique » puis vers « courtisane ».

Au XIXe siècle, on redécouvre la littérature de la Renaissance, et dans le même temps les libertés des femmes reculent : dès lors les textes des autrices du XVIe siècle posent problème, et sont souvent minimisés ou réattribués à des hommes. La réédition des œuvres de Louise Labé suscite un vaste engouement, mais elle est souvent réduite aux sonnets, comme expression de l’expérience amoureuse féminine. On gomme avec condescendance l’aspect très intellectuel de ses textes pour insister sur une supposée sincérité biographique. C’est en parallèle le début du soupçon : la force intellectuelle et la puissance de l’œuvre rendent improbable qu’elle ait été écrite par une femme. Ses éditeurs mêmes supposent une plume collective avec Olivier de Magny ou Maurice Scève. On invente une École lyonnaise qui place Louise Labé et Pernette du Guillet sous l’aura du grand Maurice Scève.

La biographie de la poétesse, surtout, fait l’objet de multiples fictions, qui sont reprises, enjolivées et développées d’un auteur à l’autre. Petit à petit, de nombreux fantasmes sont tissés autour de la femme, ce qui est le meilleur moyen de la réduire à son corps et d’effacer l'autrice. On lui invente des aventures, masculines ou féminines. Le mythe sulfureux de la Belle Cordière, de la poétesse courtisane, plaît beaucoup par le contraste entre les vertus intellectuelles et le dévergondage, et il est cultivé. Louise Labé devient un sujet de fiction, par exemple dans des pieces galantes : Louise Labé, ou la Belle cordière, de Gustave Mayer et Théodore Lacroix (Lyon, Célestins, 1847) ou Les trois Saphos lyonnaises ou Une cour d’amour : comédie-vaudeville de Pierre-Yves Barret, Jean-Baptiste Radet et François-Georges Desfontaines (Paris, 1815).
 

On la redécouvre mais c’est pour mieux dénaturer et l’autrice et l’oeuvre. Gallica offre de nombreuses ressources qui permettent de découvrir de quelle manière :

  • « Louise Labé ». Les poëtes français : recueil des chefs-d'oeuvre de la poésie française depuis les origines jusqu'à nos jours. De Ronsard à Boileau (1861-1863), p. 79-86 :

 

L’œuvre de Louise Labé, qui est cette année au programme de l'agrégation de lettres, fait aujourd'hui l'objet d'une vraie rédécouverte et d'une recherche très vivante. Elle a toutefois encore il y a quelques années fait l'objet d'une tentative d’effacement ultime : dans Louise Labé : une créature de papier (2006), Mireille Huchon va jusqu'à supposer qu'elle n’a peut-être jamais existé.

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