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Les goguettières

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Les goguettes sont des sociétés chansonnières ouvrières qui connaissent un grand succès au XIXe siècle. A ne pas confondre avec les ginguettes, elles accueillent des ouvriers qui composent poésies et chansons. Quant aux ouvrières, leur présence y est limitée et conditionnée.

 
Pour les travailleuses, l’intégration des goguettes n’impose pas l’apprentissage de nouveaux codes puisqu’elle n’implique pas un changement de milieu social. En revanche, en tant que femmes, elle oblige presque autant que la première voie d’intégration du monde littéraire (voir le billet sur Les poétesses ouvrières) à la justification incessante de leur appartenance à un milieu cette fois certes ouvrier mais essentiellement masculin. Cette difficulté est particulièrement visible dans le parcours d’Elisa Fleury, seule femme de la célèbre Lice Chansonnière, dont le biographe Eugène Baillet rapporte la défense alors que son intégration était débattue :
« Messieurs, acceptez moi, je suis un bon garçon et il n’y aura qu’un camarade de plus parmi vous. »
Goguettière, oui, mais à condition d’être goguettier ! 
 

Elisa Fleury deviendra néanmoins un véritable monument de la Lice où elle restera près de trente ans, de 1834 à sa mort en 1862.
 
  

D’autres, toujours rares, ont su se faire connaître, comme Elie Deleschaux, et certaines que Xavier Privas cite dans son article sur les goguettes paru dans La Rampe du 13 avril 1919.  Malgré tout, et bien que l’auteur essaye de citer de façon paritaire, en les séparant, goguettières et goguettiers, la liste des seconds est bien plus longue que celle des premières, dont, de plus, on doute parfois de la fiabilité devant les fautes qui émaillent l’orthographe des noms (il écrit par exemple « Renée Garde » pour Reine Garde et « Rose Hurel » pour Rose Harel).

Quoiqu’il en soit, une fois la goguette intégrée, encore faut-il pouvoir s’imposer parmi les hommes, en montrant que l’on peut aussi bien qu’eux écrire des chansons, faire rire, émouvoir, s’exprimer sur les sujets importants du moment, tout en ne dérogeant pas trop à la féminité au risque de choquer, voire de se faire silencier. Il semble donc que les chansonnières s’imposent une certaine auto-censure, n’osant pas, ou peu, aborder les sujets considérés comme « masculins ». Exit, donc, les chansons paillardes et trop politiques, dont elles sont pourtant voisines dans les recueils publiés par les goguettes.

Elles leur préfèrent des chansons d’un humour plus léger, mais pas moins piquant, et dans lesquelles Elisa Fleury excelle : on peut citer par exemple la première chanson qu’elle a publiée dans la Lice Chansonnière, « Les inconvénients du suicide », qui met en scène un suicidaire lâche réalisant que la vie a malgré tout bien des attraits, alors que la mort, « rien que d’y penser, ça fait mal ! ». Cette dernière ne laisse pas pour autant de s’exprimer sur les questions sociales, mais d’une façon plus discrète et moins revendicative que celle de ses camarades masculins. Le meilleur exemple en est sans doute son poème « Un coup d’œil sur le Havre » dans lequel elle semble au premier abord livrer un regard champêtre sur le port, avant de s’aventurer dans un bateau, dans la cale duquel se trouve entassés des misérables qui cherchent à émigrer, et dont elle se fait le porte-voix : « Que demandions-nous donc ? Du travail et du pain ! »,  slogan maintes et maintes fois entendu au cours du XIXe siècle. 
 

On trouve malgré tout quelques chansonnières politiques, résolument discrètes, toujours mystérieuses: qu’en est-il par exemple de Marie Latouche, chansonnière en 1848, dont il ne subsiste plus d’autre trace que ses chansons qui dénoncent, souvent par la voix d’un personnage féminin, les injustices subies par le peuple pendant et après la révolution ?

 
Dans l’absence de lieu à elles pour s’exprimer, les travailleuses ont dû compenser, s’insérer dans les brèches, et parfois s’effacer pour être acceptées, ce qui a contribué, avec le temps, à leur invisibilisation par un monde littéraire qui les a toujours considérées comme mineures.
Devant ces difficultés, et la nécessité pour elles de formuler leurs propres revendications, certaines ouvrières issues d’un des principaux courants du socialisme utopique ont décidé de créer leurs propres outils d’expression : il s’agit des Saint-Simoniennes, dont certaines ont fondé leurs propres journaux, par les ouvrières, à destination des ouvrières. Si le sujet vous intéresse, nous vous invitons à continuer votre lecture consultant notre prochain billet sur les saint-simoniennes.

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