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Un monde à l’envers, du meilleur au pire

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26 septembre 2023

Grâce au miroir déformant du pastiche de presse se met en œuvre un monde à l’envers, carnavalesque, qui pointe les travers de notre société, et de la presse.

Le pastiche de presse, en détournant l’actualité, apporte un regard décalé qui, poussé à l’extrême, donne à voir un monde idéal, ou à l’inverse un monde uniquement négatif.

L’artiste Elvire Bonduelle s’est livrée à ce jeu en compilant uniquement les bonnes nouvelles du Monde entre janvier et avril 2010 dans Le Meilleur Monde. Elle théorise ainsi son projet artistique dédié à la quête du bonheur et à ce cas pratique de journal utopique :

Voilà le projet Le meilleur Monde dans toute sa folie, ne garder des informations que celles à fort quotient de bonheur. Je réalisais alors combien la vie est triste et à mille lieues de mon travail d’artiste.

Elle s’inscrit dans la lignée du pastiche de presse qui dès le 19e siècle joue sur cette mise en scène d’un monde à l’envers, parfois pas si éloigné de nos perceptions ou envies.

L’angle peut être exagérément positif comme dans « Le Bonheur » publié par Le Figaro le 18 septembre 1862, repérable dès les mentions habituelles du bandeau :

Bandeau du « Bonheur », Le Figaro, 18 septembre 1862

Dès le Premier-Paris (article placé en tête, aujourd’hui éditorial), ce monde idéal est clairement une fiction :

Détail du « Bonheur », Le Figaro, 18 septembre 1862

Ce qui n’empêche pas quelques piques réalistes :

Détails du « Bonheur », Le Figaro, 18 septembre 1862

Il était de notoriété publique dès 1845 qu’Auguste Maquet avait écrit une partie des romans d’Alexandre Dumas, parfois sans qu’il soit mentionné, voir le billet « Auguste Maquet, écrivain et collaborateur d'Alexandre Dumas ».

Ainsi que le rappel de certains combats, comme la chasse ou la corrida :

Détail du « Bonheur », Le Figaro, 18 septembre 1862

L’invention d’un monde utopique dans le pastiche de presse offre aux journalistes et typographes une petite parenthèse face à l’actualité. Celle-ci est souvent couplée au pendant inverse : la version pessimiste.

Ainsi une semaine après « Le Bonheur », Le Figaro imagine « Le Guignon » :

Bandeau du « Guignon », Le Figaro, 25 septembre 1862

Qui lui répond explicitement :

Détails du « Guignon », Le Figaro, 25 septembre 1862

Ironiquement, ce pastiche accuse Le Bonheur de mystification. La mise en abîme est alors vertigineuse.

Les détournements positifs ou négatifs peuvent être publiés seuls, comme par exemple « La Revue pessimiste » publiée le 6 mars 1886 dans La Caricature :

Bandeau de « La Revue pessimiste », La Caricature, 6 mars 1886

Mais les deux extrêmes sont souvent associés et se répondent. Ainsi, avec un peu plus de distance dans le temps, Le Merle blanc publie « La Vie en rose » le 29 novembre 1921 puis « Le Journal des dégâts » le 26 mai 1923.

Bandeau de « La Vie en rose », Le Merle blanc, 29 novembre 1921

Bandeau du « Journal des dégâts » Le Merle blanc, 26 mai 1923

Le choix des thématiques utilisées pour détourner les rubriques habituelles du journal nous rappelle encore une fois que l’actualité (et son traitement) est une cible éternelle pour les pasticheurs, d’autant plus lorsque la perspective historique accentue son caractère répétitif :

Détail du « Journal des dégâts » Le Merle blanc, 26 mai 1923

Détails de « La Vie en rose », Le Merle blanc, 29 novembre 1921

Et la plaisanterie va jusqu’à accuser le journal lui-même, parce qu’il publie de mauvaises nouvelles, d’accentuer cette tendance et de corrompre la moralité.

Détail de « La Vie en rose », Le Merle blanc, 29 novembre 1921

 Un des plus beaux exemples d’association de ces visions contraires est le numéro complet du Rire daté du 6 janvier 1900 « Revue noire, Revue rose » :

« Revue noire, Revue rose », Le Rire, 6 janvier 1900

Le pastiche de presse est souvent un cadeau offert par le journal à l’occasion de la nouvelle année ou le 1er avril. Le prétexte de ce bilan de l’année est aussi motivé par l’entrée dans un nouveau siècle.

Détail de la « Revue noire, Revue rose », Le Rire, 6 janvier 1900

La présentation, mettant en regard les deux tendances caricaturales, augmente l’effet comique et l’intérêt de la comparaison.

Détails de la « Revue noire, Revue rose », Le Rire, 6 janvier 1900

Comme souvent, la presse et les journalistes ne sont pas oubliés :

Détail de la « Revue noire, Revue rose », Le Rire, 6 janvier 1900

 La vision pessimiste de l’actualité se focalise aussi sur des types humains plus précis, acteurs de cette actualité. Cette caricature accentue ou déforme un état d’esprit, une croyance, une mode ou une profession.

La Nouvelle Lune publie, par exemple, deux numéros du « Nihiliste » (14 et 21 mars 1880) ou le mois suivant « Le Journal des filous », angle repris de nombreux fois, notamment par Le Journal comique avec « Le Filou » autour de 1885.

« Le Nihiliste », La Nouvelle Lune, 14 mars 1880

Cette parodie de l’actualité et de son traitement par la presse nécessite toujours, pour être bien comprise et pour en saisir tout le comique, de remettre ces détournements dans leur contexte, même si certaines thématiques sont intemporelles.

« Le Filou, Le Journal comique, [1885]

Une comparaison parlante peut être faite avec le parallèle entre ces pastiches de presse anciens et ceux réalisés actuellement par Grandpamini ou le duo Boualem et Stef (Stéphane Grulet et Boualem Aznag). Leurs détournements s’appuient toujours sur la connivence avec le public. Ce dernier reconnaît les références et les allusions, ainsi que la part d’exagération.

ParentsProfs de Boualem et Steph (deux volumes publiés en 2017 et 2019 aux Editions Jungle) est une parodie de magazine féminin qui tourne en dérision l’univers du monde de l’éducation. C’est aussi une réflexion sur ce type de magazine, sur les lieux communs à propos des enseignants et du système scolaire ou encore sur les questions de genre.

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Détail du « Journal des dégâts », Le Merle blanc, 26 mai 1923 et ParentsProfs, 2017

Grandpamini publie sur les réseaux sociaux un pastiche de presse toutes les semaines. Il utilise les deux catégories de pastiches possibles : le détournement d'un titre existant (Deuxième pour Première) ou la création d'un titre qui parodie un genre de presse (Ego, Selfie). Sa production cible la politique, les modes, en particulier l’air du temps avec Le Point chaud « non à la culture wok », les catégories sociales avec Problèmes de blancs ou les débats de société avec Agresseur magazine.

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Détail du « Bonheur », Le Figaro, 18 septembre 1862 et Grandpamini, Traditions de merde, 24 août 2022

Les objectifs du pastiche de presse restent bien les mêmes : rendre compte du réel, le dédramatiser, rendre hommage, proposer une critique constructive sans toutefois imposer une façon de penser et surtout faire rire.

 

Pour aller plus loin :

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