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La propagande dans la presse au début de la Grande guerre

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26 avril 2019

Dès le 5 août 1914, une loi « réprimant les indiscrétions de la presse en temps de guerre » (JORF du 6 août 1914) interdit de publier des informations relatives aux opérations militaires autres que celles fournies par le gouvernement.

Le Miroir, 23 août 1914

Très rapidement, les journalistes, qui n’échappent pas à l’esprit cocardier de l’époque, ne peuvent plus se rendre sur le front. Dans ce contexte de pénurie d’informations et afin de soutenir le moral des troupes et de l’arrière, la presse brode et la propagande se développe, surtout dans les journaux à grands tirages.
 

Des Allemands cruels et stupides contre des Français gais et courageux

La presse dévalorise les allemands,  présentés comme un peuple fruste et sanguinaire, alors que les Français sont chevaleresques et courageux.  En août 1914, La Croix publie la lettre d’un lecteur qui a pu observer des prisonniers allemands : « au total, ahurissement, mollesse et indifférence des hommes ; vanité, cruauté et niaiserie des officiers, voilà les vertus qu’ils nous offrent ». On lit dans L’Homme libre du 19 août que « la barbarie allemande ne veut plus connaître aucune borne. Aucun sentiment humain ne retient leur soif de massacre ».

Dans un jeu de miroirs,  Le Petit Parisien laisse entendre que les Allemands font croire à leurs soldats que les Français exécutent tous les prisonniers. Sous le titre « Un prisonnier saxon s’étonne de ne pas être fusillé », le journal raconte qu’un uhlan « n’en voulait point  croire ses oreilles  quand on lui dit que les Français n’avaient pas coutume de fusiller leurs prisonniers » ; « Eh bien, ils sont menteurs nos officiers ! ».

 

 Le Petit journal. Supplément du dimanche, 20 septembre 1914

La frontière entre fiction et témoignage est souvent floue.  Le Petit Parisien annonce la publication du feuilleton «  L’espionne de Guillaume », « un récit merveilleusement documenté » : « Jamais la bassesse teutonique n’aura été plus cruellement flagellée, jamais l’âme française, toute vibrante d’abnégation et d’amour, n’aura été plus noblement exaltée ! ». L’Ouest-Éclair applaudit « cette belle crânerie sans laquelle le soldat français ne serait pas lui-même » ; « malgré leurs blessures, ils restent pleins d’entrain, fiers et résolus, toujours confiants ».  Dans la série « Confidences de combattants », qui contient « des pensées de Français cueillies au bord des tranchées », « toutes rassurantes et consolantes », Le Journal donne une image joyeuse de la vie au front. Un ouvrier parisien raconte : 

 

« […] la guerre, qu’on en faisait un tas de boniments, c’est devenu la vraie vie de château. Qu’est-ce qu’on s’envoie  dans le bide, c’est rien de le dire. […] On est bien mieux qu’à l’atelier ici. On a de l’air, du paysage. Bon tabac, bon boulot, bon cuisteau ! Y’a pas de quoi s’en faire ».
 
 

 Le Miroir, 27 septembre 1914

 

Une armée allemande inefficace

Alors que contrairement à l’armée française, l’armée allemande a renouvelé son fond d’armes avant la guerre, les journaux la présentent comme inefficace et mal équipée.  On lit dans La Croix : « Il semble que les Allemands soient en retard de quarante ans. Ils procèdent comme en 1870 avec une imagination enfantine et barbare ». Le Petit Parisien  du 20 août rapporte des récits de blessés : « Les Allemands se battent mollement et leur artillerie est de loin inférieure à la nôtre ».

En septembre 1914, un médecin explique dans L’Intransigeant que «  les allemands tirent mal, leurs obus éclatent lourdement et les éclats ont peu de force  », tandis que « les éclats de nos obus font des plaies plus graves ». Selon lui les balles allemandes pénètrent très vite dans le corps si bien que « la blessure est presque aseptisée » et est ainsi facile à soigner.  Le Petit Parisien relate des combats : « Notre artillerie n’a cessé de tonner, réduisant peu à peu au silence les pièces ennemies. Celles-ci ripostaient à peine, et il nous a semblé que l’adversaire devait manquer de munitions […]. Nos troupes, d’ailleurs, maintenant, se rient de la mitraille. […] Là, au plus fort de la bataille, c’est l’insouciance légendaire du pioupiou français.»

 

La Guerre illustrée, octobre 1916 

 

Un récit tendancieux des opérations militaires

Les rédactions, emportées par la vague patriotique de l’Union sacrée, déforment la réalité des opérations militaires, soit en minimisant les défaites, soit en amplifiant les succès. Durant ce qu’on nommera ensuite la bataille des frontières, le 22 août 1914, 25 000 Français sont tués en Belgique et en Lorraine ; ce sera la journée la plus meurtrière de la Grande guerre. Les succès allemands entraînent la retraite de l'aile gauche de l'armée française jusqu'en Champagne. Le lendemain, Albert de Mun écrit dans L’Écho de Paris :

 

« le recul des troupes [françaises] prouve tout simplement que les Allemands, inquiets d’être débordés en Lorraine, […] ont renforcé leurs ligne de défense ; […] Je ne vois là aucun sujet d’inquiétude ».

 

Dans sa première édition, Le Matin du 24 août accuse le 15e corps d’armée, venu de Provence, d’être responsable du retrait de l’armée française. Malgré un démenti du gouvernement, l’éditorial de l’édition du soir, intitulé « Trembleurs = traîtres »  invite à « ne se laisser ni émouvoir ni alarmer par les défaillances de quelques soldats qui se sont souvenus des théories antimilitaristes d’antan et qui ont commis le crime de s’en inspirer en Lorraine en présence de l’ennemi. […] Ne parlons plus d’eux ! Parlons de la Patrie. »
 

Le Matin, 24 août 1914

 

Dans son désir de rassurer ses lecteurs grâce à de bonnes nouvelles du front Est, le même numéro du Matin n’hésite pas à annoncer en gros titre  que « Les  cosaques [sont] à cinq étapes de Berlin » et que « la défaite de la Duplice est certaine ». En réalité l’avant-garde des cosaques était beaucoup plus loin et les assauts russes seront très vite stoppés. Le 27 août, alors qu’il est clair que l’Allemagne est sortie victorieuse de la bataille des frontières, on lit encore dans L’Écho de Paris  : «  Entre Nancy et les Vosges, trois jours de combats acharnés qui semblent tourner à notre avantage ».
 
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