Dinde et dindon
Il y a quatre cents ans, les colons anglais de Nouvelle-Angleterre invitent leurs voisins amérindiens à une fête d’action de grâce pour célébrer les récoltes de leur nouvelle colonie. Si la dinde ne figurait peut-être pas à leur menu, elle est devenue le symbole de ce jour de Thanksgiving, et cet oiseau américain s’est répandu dans le monde entier.
Un repas bienvenu
En 1620, l’Angleterre reconnaît de nombreuses dissidences religieuses qui s’opposent au pouvoir en place. Un de ces groupes -ceux qu’on appelle désormais les Pères Pèlerins - décide d’aller s’installer en Amérique. Embarquant à Plymouth le 16 septembre sur le Mayflower, ces colons débarquent en Nouvelle-Angleterre le 26 novembre avant de créer la ville de Plymouth le 21 décembre. Arrivés au début de l’hiver, les colons doivent affronter des conditions climatiques plus rudes qu’en Virginie, l’autre colonie anglaise de l’époque. Il leur faudra apprendre de leurs voisins amérindiens comment tirer parti d’espèces américaines qui leur étaient inconnues. Un an après leur installation, ils organisent un repas d’action de grâce qui deviendra bientôt une fête nationale sous le nom de Thanksgiving et fixée au dernier jeudi de novembre. Le cerf était plus sûrement au menu que la dinde, mais le volatile devient vite un animal d’élevage et un repas de fête.
Recueil de 21 figures d’oiseaux coloriées, 18e siècle
Le plus gros gallinacé américain
Dans la famille des Phasianidés, les deux espèces de dindons appartiennent à la même sous-famille que le coq, le paon ou le faisan. Le nom de leur genre, Meleagris, renvoie au héros grec Méléagre dont la mort est liée à une bûche qui se consume, évoquant la robe du dindon. Quant au nom de l’espèce, gallopavo, il associe le coq (gallus) et le paon (pavo). Alors que le dindon ocellé est cantonné au Yucatan, le dindon sauvage occupe la moitié orientale des Etats-Unis et une partie de l’Amérique centrale. Ses ancêtres, originaires d’Asie, ont traversé le détroit de Behring en direction de l’Amérique.
Evoluant en petits groupes dans les sous-bois, il passe la journée à se nourrir de graines, fruits, feuilles, mais aussi d’insectes (criquets) et d’invertébrés. Meilleur à la course qu’au vol, il se perche néanmoins dans un arbre pour la nuit, de préférence au-dessus de l’eau. Il est reconnaissable à sa tête nue, son cou grêle sans plumes, sa démarche lente et ses mouvements gauches. Le mâle est plus gros que la femelle et possède des caroncules rouges très visibles. Il fait la roue à la saison des amours et émet un glougloutement audible à un kilomètre. La femelle, dépourvue de caroncules, a un plumage plus brun et niche au sol en forêt, dans une dépression garnie de feuilles mortes. Les petits quittent le nid moins d’une journée après l’éclosion et suivent leur mère jusqu’à la fin de l’automne ou le début de l’hiver.
E. Bourdillat, [Album comique : caricatures théâtrales et animalières]
Introduction en Europe
Le dindon fait déjà l’objet d’un élevage en Amérique centrale quand les Espagnols débarquent. Aux Etats-Unis, il aurait pu devenir le symbole du pays s’il n’avait été détrôné par le pygargue à tête blanche. Comme Christophe Colomb croyait avoir atteint les Indes, les Européens le baptisent coq d’Inde ou bien paon d’Inde car il a remplacé le paon dans la gastronomie. Rapporté par les Ibériques dans leur péninsule, il gagne ensuite l’Italie (1520), l’Allemagne (1530), la France (1538)… Il est mentionné lors des noces de Charles IX en 1570. Les Jésuites organisent rapidement des élevages près de Bourges. D’après Charles Estienne, repris au 18ème siècle,
« C’est un vrai coffre à avoine, un gouffre de mangeaille »
Animal d'élevage
Bonne couveuse comme le déclare Buffon, la dinde pond en une quinzaine d’œufs en février-mars et les dissimule:
« Cette passion de couver est si forte et si durable qu’elles font quelquefois deux couvées de suite »
Les dindonneaux ont un régime essentiellement insectivore : œufs de fourmi, asticots, vers de terre, hannetons, araignées, limaçons, mouches… Ils connaissent une période critique quand ils passent le rouge à deux mois : à ce moment-là, leurs caroncules poussent, ce qui leur fait perdre l’appétit. Devenu adulte, le dindon consomme lézards, grenouilles, scarabées, vers, sauterelles, glands, faines, baies de sureau ou de troène, racines … Son engraissement s’effectue au moyen de châtaignes, pommes de terre, topinambours, glands, farines, noix, betteraves…
[Collection Jaquet]. Dessinateurs et humoristes. Artistes divers, série 1 : Sc-Z. Tome 6
Un mets de fête
« Le dindon est certainement un des plus beaux cadeaux que le Nouveau Monde ait fait à l’Ancien »
Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût, reconnaît l’apport de la dinde à la gastronomie. En effet, cette grosse volaille remplace l’oie dans les repas de fête, à commencer par celui de Noël dont la dinde devient un pilier. Une fois saignée et plumée, elle se présente sous la forme de dinde truffée ou de dinde aux marrons. Ce débouché saisonnier est complété par la vente en morceaux : escalope, aileron, pilon, cuisse, filet…
Sujet de farces et de chansons
Ce grand animal dégage un potentiel comique indéniable quand le mâle, caroncules rouge sang, gonfle son plumage, fait la roue et lance de sonores « Glouglou ». Aussi la dinde est-elle entrée dans le langage courant pour désigner une femme peu intelligente. Le dindon désigne un homme prétentieux, facile à duper. Une expression en dérive : le dindon de la farce, tout aussi peu laudateur. Chansons et caricatures abondent en Ballade des gros dindons, Dindon dingue, duo des dindons et autre portrait charge. Mais qui sait quelle opinion l’animal peut bien avoir du genre humain. Traite-t-il d’homme les êtres stupides ?
Pour aller plus loin
Le dindon, 1992 (Ethnozootechnie)
Après une visite de la sélection Oiseaux du parcours La Nature en images, laissez-vous tenter par le Parcours gourmand.
Ajouter un commentaire