Morphy, Michel (1863-1928) 2/2
Après avoir évoqué la carrière de Michel Morphy dans un premier billet, découvrons maintenant son œuvre aujourd'hui méconnue après avoir été pourtant un succès auprès des lecteurs de son vivant.
La Dompteuse rouge, Michel Morphy, Fayard, Paris, 1950
L’œuvre
Michel Morphy, en tant qu’écrivain, est différent après la chute du boulangisme : toutes ses habitudes contestataires ont disparu ! On compte plus d’une trentaine de romans. Ces textes ne sont pas identiques, mais au contraire très variés. Ils peuvent être humoristiques (parfois un peu rudes, comme Le Jugement comique du président Gronchonot de 1886). Ils sont également de la narration coloniale (Le Commandant Marchand et ses compagnons d’armes à travers l’Afrique (1899-1990). Surtout du roman sentimental (Mariage d’amour, 1893, Les Amours de Mignonette, 1886, ou La Dame aux violettes, 1915). Ou encore du roman social, (La Marchande des quatre saisons, (1894) ou L’Ange du faubourg (1897). Même là, son écriture lorgne vers le drame émouvant. L’Ange du faubourg est ainsi caractérisé par Les Romans inédits en 1896 :
Quant au Petit Journal du 9 octobre 1906, il est dithyrambique :
L'Ange du Faubourg, par Michel Morphy, c'est-à-dire le roman le plus délicat, le plus touchant et le plus enlevant écrit par la plume féconde, puissante et populaire entre toutes."
Souvent, d’ailleurs, il se contente d’adapter des histoires déjà bien connues. Par exemple Faust et Marguerite (1902) qui reprend la trame du roman de Goethe. Autre exemple : l’adaptation d’un poème en récit : Le Roman de Mireille (1905) est la version narrative de la geste de Mistral. Et cette version connut une bonne impression critique dans la presse, comme celle du Petit Journal du 5 février 1903 :
Il reprend peu ou prou l’histoire de Robinson Crusoé (Le Nouveau Robinson Crusoë, 1905), se lance dans une version assez nationaliste de l’héroïne de la Guerre de Cent ans, mais qui est bien documentée : Une histoire nationale de Jeanne d’Arc, 1895. Mais placée sous le patronage de Michelet, elle est violemment rejetée par l’Eglise, comme le confirme La Croix :
La réclame faite pour cette publication est considérable ; les murs de Paris sont couverts d'affiches représentant la figure de Jeanne nimbée de flammes […] Elle n'est pas conçue dans un esprit catholique ; elle est la négation de la mission surnaturelle de notre libératrice. Les amis de Jeanne d'Arc ne doivent pas l'accueillir."
Parfois, il flirte aussi avec le fantastique. Par exemple, Le Vampire : les mystères du crime.
Ou encore La Dame blanche, inspirée lointainement de Walter Scott, avec un manoir hanté, une histoire d’amour et d’héritage, et surtout de l’énigme et du secret. On pourrait aussi parler de La Mission Marchand, qui est un éloge de la colonisation et une apologie de la France, mais moins manichéen qu’on pourrait le penser : l’auteur s’intéresse aussi aux autochtones, se lève parfois contre l’oppression des indigènes et n’hésite pas à critiquer les colons.
Mais son plus grand succès, c’est Mignon (1896) et ses suites : Les Noces de Mignon (1898), La Fille de Mignon (1912) et Mignon vengée (1912). Mignon, lui aussi, est une protagoniste mineure d’un roman de Goethe, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, de 1796. La jeune Sperata est volée par des Bohémiens à ses parents aristocrates. Elle est surnommée Mignon par ses ravisseurs avant que d’être rachetée à ceux-ci et de finalement retrouver père et mère. La critique est toute en débordements d’amour pour ce texte, comme le montre cet extrait de L'Est Républicain :
Cette série se maintiendra dans des ventes élevées jusqu’aux débuts des années 1960.
Ses constructions dramatiques ne sont pas très originales : les ressorts des intrigues sont assez répétitifs, mais assurent de très nombreux rebondissements dans des histoires très touffues, caractéristiques de cette époque. Tous les clichés habituels du feuilleton sont présents : personnages peu approfondis, femmes en détresse, héritages volés, mystères insolubles (mais qui seront néanmoins résolus), bandits et voleurs, trahisons et perfidies des méchants, grandeurs d’âme des gentils, descriptions débridées des sentiments exacerbés des protagonistes, misère sociale (peut-être se rappelle-t-il ses années de rébellion). Pourtant Yves-Olivier Martin, encore lui, l’assure : "Le style reste souvent élégant, chatoyant, et de très heureuses expressions donnent à penser que l’écrivain avait la patte d’un grand romancier". Car il a de la verve et du rythme, entraînant sans peine ses lecteurs, et surtout ses lectrices, dans les méandres de son récit. C’est ce qu’ont noté des journalistes : "Michel Morphy c’est le peintre délicat des luttes du cœur, c’est le coloriste des larmes et des sourires, c’est le romancier des femmes" (Romans inédits de 1896).
La presse a pourtant bien conscience, à sa mort, d’une écriture sans grande originalité. Ainsi Comoédia, revue littéraire, pouvait expliquer, le 27 janvier 1928 :
Paris-Soir est plus sévère :
On ne parlerait plus de ce brave homme de Morphy, s'il ne figurait au milieu de notre temps, le type parfait du sous-littérateur conscient et qui, après sa mort, garde son influence pseudo-littéraire."
Quant à L’Action Française, elle en parle en 1933 comme d'"un écrivain dont les feuilletons, publiés dans les journaux, ont fait jadis les délices sentimentales de toute une génération. Des cœurs sans nombre de midinettes auront battu d'angoisse ou se seront gonflés de sanglots à ses récits. Ce n'est pas méprisable. Ne fait pas pleurer qui veut un cœur de midinette...". Mais les journaux de gauche, eux, oublient l’aspect réactionnaire du personnage, ne voulant se rappeler que sa période anarchisante. Ainsi Le Populaire, le grand quotidien socialiste, clamait haut et fort en 1939 encore :
Michel Morphy, qui s'en souvient encore ! II eut pourtant, il y a trente ou quarante ans, comme romancier populaire, des succès éclatants et c'est lui, si nous ne nous trompons, qui présida aux débuts, également éclatants, de Michel Zevaco. Son cœur battit toujours à gauche, et même, si l'on peut dire, à l'extrême gauche, du côté où est le peuple."
Mais pourtant il est totalement inconnu de nos jours. Peut-être que ses poncifs littéraires ne fonctionnent plus sur le lectorat d’aujourd’hui. Pour finir, laissons encore la parole à son biographe François Gaudin, qui résume bien la question, tout en écartant ses relents boulangistes :
Imprudent, rétif aux concessions, étranger aux chapelles, il resta cet aventurier anarchiste, cet autodidacte impérieux qui, à défaut de changer la société par le verbe et la propagande, sut toucher les cœurs simples des foules sentimentales."
Pour aller plus loin
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Gaudin, François, Michel Morphy, 1863-1928 : de l'anarchie au roman rose, Champion, 2021, (Champion Essais ; 56)
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