La forêt apporte maints services aux populations voisines dans le cadre d’une agriculture encore peu productive. Toute une série de droits d’usage s’étend sur les forêts, dont le plus connu est la
glandée ou droit de nourrir les porcs en forêt. On peut citer également le pacage (
pâture du gros bétail), l’affouage (le bois de chauffe), le soutrage (la litière pour fumer les champs), le marronnage (les perches pour faire des piquets), le bois mort, le mort bois (coupe d’arbustes hors essences nobles)… En plus des
bûcherons,
schlitteurs ou
scieurs de long, toute une frange de la population vit de l’exploitation de la forêt : chasseurs,
charbonniers, forgerons, chercheurs de miel et de cire sauvage, faiseurs de cendre (pour le
verre et le savon), arracheurs d’
écorce (pour tanner le cuir), rusquiers (pour le
liège),
gemmeurs (pour la résine)…
George Auriol, Les meilleurs vœux de M. & M.me George Auriol, Noël 1924
Ces droits d’usage dépendent du régime juridique de la forêt. Les bois de
Boulogne et de
Vincennes ont été des forêts royales, réserves de chasse fermées par un mur. Les
forêts domaniales actuelles sont les héritières des forêts royales et des saisies révolutionnaires aux dépens des nobles et de l’Eglise. Les
forêts communales permettent à certaines communes de s’assurer un revenu ou aujourd’hui encore de servir aux habitants un
droit d’affouage. Mais la majorité de la forêt française appartient aux particuliers. Sous l’Ancien Régime, de nombreux contentieux naissent des droits d’usage des communautés villageoises dans des forêts privés. Leurs propriétaires se plaignent des déprédations. Le droit de triage permet aux propriétaires de se réserver un tiers des terres grevées de droits d’usage.
G. Doderlein, Plan des forests de St Arnould et de Louye, ca.1734
Les forêts alimentent également plusieurs secteurs de l’économie : la construction (
bâtiments,
bateaux), le
chauffage, l’énergie. En effet, avant la Révolution industrielle, les sources d’énergie sont limitées : vent, eau, animaux, hommes,
charbon de bois. Le charbon de terre ne s’impose qu’au 19
ème siècle. La demande de bois met les forêts à rude épreuve. On installe ainsi la
saline d’Arc-et-Sénans à proximité de la
forêt de Chaux pour faire s’évaporer le sel. Pour produire 800 kg de fer, il faut 40 tonnes de bois, tandis qu’une tonne de
salpêtre nécessite 20 tonnes de bois. Les constructions navales ne sont pas moins gourmandes quand un vaisseau de ligne demande plusieurs milliers d’arbres de haute futaie aux
courbures sélectionnées. Ces bois sont acheminés par
flottage.
Étienne Compardel, Plans des forêts, bois et buissons du département de la grande maistrise des eaues et forests de l’Isle de France, Brie, Perche, Picardie et Pays reconquis, 1668
La production de bois de Marine conduit la royauté à protéger les forêts où elle s’approvisionne comme la
forêt de Tronçais pour les bois de chêne. L’intérêt royal est ancien. Charlemagne y consacre des cartulaires. En 1291, Philippe le Bel crée les maîtres des Eaux et Forêts. L’
administration forestière se met peu à peu en place, dirigée par le Grand Maître des Eaux et Forêts, dont le tribunal porte le nom de
Table de marbre.
La législation s’étoffe, traitant des ventes de bois, des défrichements, des droits de chasse… Colbert met de l’ordre dans le secteur forestier par l’
ordonnance de Saint-Germain en 1669 et par la grande Réformation, vaste
enquête sur la gestion des forêts. En charge de la Marine, Colbert peut ainsi sécuriser ses sources d’approvisionnement grâce aux
maîtrises des Eaux et Forêts.
[Un bûcheron], dans collection de Roger de Gaignières
Les bouleversements de la Révolution et de l’Empire mettent les forêts à rude épreuve. Le profil de la forêt française actuelle se met en place : privée, morcelée, pas toujours bien gérée. Les
coupes reprennent de plus belle. Pour y faire face, la Restauration réorganise l’administration forestière et crée en 1824 l’
Ecole forestière de Nancy. L’Etat met en place non seulement une
législation, mais aussi un programme de reboisement. En montagne, les coupes accélèrent l’érosion et les crues saisonnières. La
restauration des terrains de montagne (RTM) vise à replanter les
pentes. En plaine, des espaces peu productifs sont transformés en forêts : les
Landes de Gascogne, la
Sologne, la Champagne pouilleuse, grâce aux résineux comme le
pin noir d’Autriche. En quelques années se met ainsi en place la plus grande forêt française, sur un million d’hectares de
sols sableux des Landes, dont les
pins maritimes sont exploités comme bois de mine et pour la
résine.
Coulisses de forêt, Pellerin, 1854
L’industrialisation, l’urbanisation, l’exode rural rompent peu à peu les liens existant entre la population et la forêt. L’Office national des forêts est créé en 1964 pour assurer l’
exploitation des ressources forestières tandis que certains territoires voient leur importance reconnue avec la création de réserves, de
parcs naturels nationaux et régionaux. Le tourisme vert transforme la forêt en
espace de loisirs. Elle est vue comme un poumon vert.
George Auriol, Les elfes des bois, Paris, Enoch et Co., 1920
Les aléas qui frappent les forêts (
incendies, tempête de 1999,
insectes ravageurs…) montrent le lien qui existe encore entre les Français et leur forêt. Le souci pour la biodiversité conduit à défendre un espace refuge pour de nombreuses espèces sauvages (
ours,
loup,
lynx…). Les services écologiques rendus par les forêts sont irremplaçables : protection des sols, atténuation des épisodes caniculaires… Avant même que d’être utiles, rappelons la beauté des forêts et le rôle des artistes dans la création de la
réserve artistique en
forêt de Fontainebleau, une des premières réserves naturelles au monde, soustraite à l’action de l’homme. La forêt peut ainsi retrouver son
mystère.
Commentaires
Gallicatabolisme
Un billet bien billé - sans cellulose - qui nous ballade sobrement dans sa glanerie sylvestre, écologique et légère.
Merci pour le rappel de toutes ces activités venues du fond des "ages" et pour la carte "Overnia" de la Forêt de Tronçais !
Magnifique billet ! Vivement
Magnifique billet ! Vivement qu'on puisse revenir dans nos belles forêts françaises !
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