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Un Grand Tour à la mode napoléonienne : partez sur les routes de Calabre avec l’expédition d’Aubin-Louis Millin

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Dans le cadre de l’exposition « Franz-Ludwig Catel : un peintre romantique dans la Calabre napoléonienne », Gallica vous propose de suivre, sur une Gallicarte créée spécialement pour l’occasion, le parcours du voyage entrepris en 1812 par d’Aubin-Louis Millin en Italie méridionale, à cette époque sous domination française.

Franz-Ludwig Catel, Vue du détroit de Messine avec l'Etna depuis Reggio, dessin de 1812
Le 6 mai 1812, un petit groupe quitte Naples pour s’engager dans un long parcours à travers le Cilento et la Calabre, régions du Sud de l’Italie (alors Royaume de Naples) où les voyageurs étrangers sont encore rares : il est composé notamment de l’initiateur de l’expédition, l’archéologue et antiquaire Aubin-Louis Millin, qui effectue depuis l’année précédente un Grand Tour de la péninsule, du tout jeune Astolphe de Custine, appelé par la suite à une belle carrière d’écrivain, et du peintre prussien Franz Ludwig Catel, à qui Millin a fait appel pour effectuer des relevés des sites, monuments, objets et œuvres d’arts les plus dignes d’intérêt pendant cette partie de son périple. Bien que jamais publié, le résultat de ce travail, un ensemble de dessins qui concernent Salerne, la côte amalfitaine, le Cilento et surtout la Calabre, a échappé à la dispersion, la Bibliothèque nationale ayant acquis les papiers Millin en 1819 et 1822. Grâce au journal tenu par l’archéologue durant l’expédition, cent cinquante-quatre d’entre eux, actuellement conservés au département des Estampes de la photographie de la BnF, peuvent être attribués avec certitude à Catel.
 

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Afin de suivre au plus près les différentes étapes du périple, les dessins ont été géolocalisés et vous sont présentés ci-dessus sur une carte ancienne de l’Italie du sud, conservée à la bibliothèque de l’Arsenal. Cette Carta geografica della Sicilia Prima, o sia Regno di Napoli, et les 4 feuilles assemblées qui la composent, ont été gravées à Paris en 1771. Elle est éditée pour la première fois en 1769 et est l’œuvre de Giovanni Antonio Rizzi Zannoni (1736-1814). Ce dernier la conçoit depuis Paris, sur commande du secrétaire de l'ambassade napolitaine à Paris, à partir des données géographiques les plus récentes, dont l'Analyse géographique de l’Italie de 1744 par Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville (1697-1782).
 
Cette grande carte, par les dimensions et le succès, considérée comme le point de départ de la cartographie scientifique italienne, a pu être utilisée par Millin lors de son voyage. Une seconde carte du Royaume de Naples a été utile à ce Grand Tour : l’Atalante geografico del Regno de Napoli ou Carte du royaume de Naples (1789-1812) en 31 feuilles. Il s’agit du grand œuvre scientifique de Rizzi Zannoni (revenu à Naples en 1781 pour ce projet au long cours), et de la cartographie italienne, dans la mesure où il est constitué à partir d’arpentage du territoire et de levées topographiques. Dédiée à Ferdinand 1er des Deux-Siciles, sa production s’est étendue sur 30 ans, au gré des vicissitudes politiques et telluriques, le tremblement de terre calabrais de 1783 rendant notamment caduques des mesures d’arpentage et certaines cartes levées à l’époque. La gravure des différentes feuilles par Giuseppe Guerra (1750-1820) dure de 1789 (pour la première feuille relative à la pointe sud de la Calabre et du détroit de Messine) à 1812. Un exemplaire du département des cartes et plans a été numérisé spécialement pour l'exposition et est accessible sur Gallica via un tableau d’assemblage dynamique.   

 

 

Le Journal du voyage en Italie d’Aubin-Louis Millin, manuscrit également conservé à la BnF (Bibliothèque de l’Arsenal) fait quant à lui pour la première fois l’objet d’une édition critique.

Adolphe de Custine, qui n’est à l’époque d’un tout jeune homme de 22 ans, a lui aussi laissé des Mémoires de cette aventure, consultables dans Gallica.

Emaillés de remarques et de notations pittoresques sur les coutumes, les costumes, la cuisine et la vie quotidienne dans les régions traversées, ces deux écrits restituent à merveille l’atmosphère et les conditions aventureuses du voyage, marqué par les intempéries, les maladies, la crainte des Anglais, qui tiennent alors la Sicile, et des brigands.

Les routes sont souvent mauvaises, les cours d’eau à franchir parfois périlleux et certains villages ont été dévastés par la série de séismes qui a frappé la Calabre en 1783.
 

Franz-Ludwig Catel, Passage du Savuto, dessin de 1812

Quand on arrive au Savuto, nouvel embarras. C’est lui qui termine la vallée ou plutôt la gorge entre Nocera et Terina. Il est toujours très large. Son fond est vaseux. Il faut un homme pour indiquer la route qu’on doit suivre et tâter avec un bâton. Aubin Louis Millin, Journal de Voyage, 1812.

 
On peut suivre la progression du petit groupe qui, de Naples, gagne rapidement Salerne où Catel effectue de nombreux relevés dans la magnifique cathédrale normande.
 
En sortant d’Amalfi, j’envoyai M. Catel dans le bateau. Il saisit une situation dans le golfe pour en prendre la vue ci-jointe (…) Que de sites divers offrent les rochers d’Amalfi et ses singulières fabriques entourées de petits obélisques, son clocher revêtu de majolique, etc. ! Aubin Louis Millin, Journal de Voyage, 1812.
Le groupe descend ensuite jusqu’à Paestum, où saisi d’admiration, Catel dessine les temples grecs.
 

Franz-Ludwig Catel, Paestum, temples de Hera et de Neptune,  dessin de 1812
 

Les voyageurs explorent des sentiers méconnus du Cilento jusqu’au cap Palinuro où les retient le mauvais temps. Ils descendent ensuite le golfe de Policastro pour entreprendre, par les montagnes, la traversée de la Basilicate jusqu’à Mendicino.
 
Ils regagnent la côte à Paola, la suivent jusqu’à Amantea, Nocera puis Monteleone (Vibo Valentia), rejoignent Mileto et longent ensuite cette même côte, en passant par Palmi et Scilla, jusqu’à Reggio di Calabria. 
 

De nombreux monuments ont été détruits par les tremblements de terre, comme la fameuse abbaye de la Trinità à Mileto, dont il ne reste plus que des décombres parmi lesquels émergent les statues et le tombeau du Grand comte Roger 1erde Hauteville, ce qui apparaît sur les dessins de Catel.
 

Franz-Ludwig Catel, Mileto, vue de l'abbaye de la SS. Trinità avec le sarcophage de Roger Ier, dessin de 1812

 

« Je suis entouré de ruines nouvellement tombées sur des ruines. » Adolphe de Custine, Mémoires et voyages.

Les voyageurs sont, plus loin, séduits par les paysages grandioses et le charme des petites villes de la côte.

Franz-Ludwig Catel, Schilla, dessin de 1812
 

De Campo Piale, au nord de Reggio, les voyageurs découvrent ainsi le spectaculaire panorama sur le détroit de Messine et le littoral de la Sicile, dont Catel réalise une vue à 360°, sur huit feuilles.

Le passage par l’Aspromonte étant rendu difficile du fait de la présence d’Anglais au large des côtes, le retour s’effectue en bateau jusqu’à Palmi, d’où le groupe gagne, par les montagnes, Gerace et la côte ionnienne. Les dernières étapes du périple comprennent Catanzaro, Taverna, San Giovanni in Fiore, Rossano Calabro et Cassano, pour une arrivée finale à Naples le 17 juillet.
 

Franz-Ludwig Catel, Panorama de la Calabre et de la Sicile en huit feuilles, dessin de 1812

Si une grande partie des dessins de Catel sont des croquis au crayon, pris à la volée, issus d’un petit carnet, les autres, de la dimension des planches à dessins utilisées à l’époque pour le travail en plein air, sont le plus souvent repassés à la plume.
A côté de plusieurs relevés de tombeaux, de sarcophages ou de mosaïques, l’ensemble comprend des  vues des villes et des sites traversés par l’archéologue et ses compagnons. Quelques-uns, en particulier des vues d’intérieur des églises, sont lavés à l’encre brune.
 

Franz-Ludwig Catel, Atrium de la cathédrale de Salerne, dessin de 1812

Catel, tout autant que Millin, porte une attention particulière au paysage. Elle s’exprime notamment à travers la réalisation de vues panoramiques (certaines en plusieurs feuilles). Quelques indices laissent supposer que, pour leur exécution, Catel a utilisé une camera lucida (chambre claire), procédé breveté en 1806 qui consiste en un prisme fixé sur la planche à dessiner permettant à l’artiste, à travers un jeu de reflets sur le papier, de repérer et de placer les principaux points de sa composition.
 

Franz-Ludwig Catel, Lagonegro,vue, dessin de 1812

Ces paysages nouveaux ont indéniablement procuré des sensations inédites et une émotion durable au jeune peintre en devenir, influençant son œuvre future.
 
 « M. Catel est comme moi, ce pays lui tourne la tête, il s’arrête à chaque pas, il voudrait tout dessiner, tout emporter, il voudrait dormir, habiter, vivre en plein air ». Adolphe de Custine, Mémoires et voyages

Franz-Ludwig Catel, Bagnara, dessin de 1812

Descente à Bagnara admirable. Elle suit les contours des rochers (…)On ne peut se lasser de regarder ce grand spectacle (…).Végétation luxuriante. Tours placées dans l’alignement. Rochers à pic sur une vallée. Une gorge étroite et luxuriante. Roche tapissée de châtaigniers et de vignes. Vigne en berceaux, plantée en étages l’un sur l’autre. Coup d’œil le plus pittoresque du monde. Aubin Louis Millin, Journal de Voyage, 1812.
 
Bien au-delà de l’usage documentaire et illustratif auquel ils étaient initialement destinés, ces dessins sont un vibrant témoignage d’un périple aventureux et passionnant, une invitation à voyager dans une époque où les routes, parcourues à pied et à dos d’âne, réservaient à chaque tournant de nouvelles surprises.
 

Voir aussi 

Le corpus des dessins de Franz-Ludwig Catel dans Gallica
La carte de du Royaume de Naples de Rizzi-Zannoniet notamment ses tableaux d’assemblage sur Gallica et le site Cartomundi
Les Mémoires et voyages d’Adolphe de Custine (comprenant le voyage en Calabre), publliés en 1839
Sur les séismes de 1783 : Istoria de'fenomeni del tremoto avvenuto nelle Calabrie e nel Valdemone nell'anno 1783 (1784)
Carte sismographique de la Calabre du Padre Eliseo della Concezione (1784)

Et ailleurs

Page consacrée à l'exposition sur le site bnf.fr
À travers la Calabre napoléonienne. Journal de voyage d’Aubin-Louis Millin. Dessins de Franz Ludwig Catel / Corinne Le Bitouzé et Gennaro Toscano, BnF – Le Passage, 2021
L’archéologue, le peintre et l’écrivain, Millin, Catel et Custine au Royaume de Naples en 1812, sous la direction de Bernard Degout et Gennaro Toscano, Maison de Chateaubriand-Liénart, 2021
Anna Maria d’Achille, Antonio Iacobini, Gennaro Toscano, Le voyage en Italie d'Aubin-Louis Millin 1811-1813: Un archéologue dans l'Italie napoléonienne, Gourcuff Gradenigo, 2014
Exposition Franz-Ludwig Catel : un peintre romantique dans la Calabre napoléonienne, Maison de Chateaubriand, Domaine départemental de la Vallée aux Loups, du 18 septembre au 19 décembre 2021

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