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La communauté sourde en France au XIXe siècle : entre langue des signes et oralisme

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23 septembre 2017

À l'occasion de la Journée mondiale des sourds ce 23 septembre 2017, découvrez une sélection de documents (ouvrages, revues, photographies...) rappelant la bataille entre langue des signes et oralisme au cours du 19e siècle.

Dans la lignée de l'Abbé de l'Epée, plusieurs personnalités sourdes comme Ferdinand Berthier ont cherché à diffuser l'apprentissage et l'étude de la langue des signes dans la communauté sourde française ; néanmoins, les enjeux médicaux, pédagogiques et linguistiques liés à la formation des jeunes sourds signent, avec le Congrès de Milan en 1880, le bannissement de cette langue des institutions ce qui aura d'énormes répercussions jusqu'au milieu du 20e siècle.
À la fin du 18e siècle, grâce à l’action de l’Abbé de l’Epée (1712-1789), à la diffusion d’ouvrages pédagogiques et à la création de « l’Institut des sourds et muets » à Paris, la langue des signes apparaît comme le moyen privilégié de communiquer pour cette communauté.

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Statue de l’Abbé de l’Epée à l’Institut national des jeunes sourds, 1912

Toutefois, au cours du 19e siècle, l’héritage de  l’Abbé de l’Epée, reconnu dans toute l’Europe, est remis en cause par les tenants de l’oralisme. De fait, sourds et malentendants continuent d’être perçus comme des objets d’étude, des cobayes voire comme des déficients mentaux. Ouvrages savants, manuels pédagogiques, traités de médecine se multiplient pour mieux cerner et surtout soigner cette surdité si dérangeante et inclure, parfois même de force, les sourds dans le monde des entendants.

Au sein même de l’Institut national des jeunes sourds, deux écoles s’affrontent : certains professeurs, qui se définissent comme des « démutisateurs », prônent la méthode oraliste. Ils entraînent leurs jeunes élèves à respirer, souffler, articuler, entraîner leurs cordes vocales pour reproduire des sons. Plusieurs ouvrages détaillent les différentes étapes de cette méthode, décrite par exemple par Ludovic Goguillot dans son ouvrage destiné aux enseignants : Comment on fait parler les sourds-muets, 1889. Toute communication par signe est alors proscrite car assimilée à des « singeries » ou autres « mimiques » :

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Ludovic Goguillot, Comment on fait parler les sourds-muets, Masson, 1889

Des instruments sont souvent utilisés lors de ces cours : bougies (pour exercer le souffle), tire-langues, cornets, tuyaux etc. Le souci d’une bonne prononciation du français est la principale préoccupation, davantage que celle de former et de développer les connaissances de ces jeunes enfants, dont les débouchés professionnels restent par conséquent limités.

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« Enseignement de la parole aux enfants sourds-muets », coffret d'instruments de la méthode phonotechnique de l'Institut de Phonétique,  1895-1914, Collection Charles Cros, BnF, Gallica

Les méthodes sont parfois plus violentes, à l’instar de celles pratiquées par les savants qui injectent du liquide ou de l’air dans les oreilles de leurs patients afin de les faire entendre, une intervention prônée notamment par le docteur Jean-Marc Itard auteur d’un Traité des maladies de l'oreille et de l'audition publié en 1821. Les médecins s’appuient également sur les progrès techniques, comme l’électricité qui apparaît comme le moyen idéal de « guérir la surdité ».

Les défenseurs de la langue des signes, qui s’inscrivent dans la continuité de l’Abbé de l’Epée, peuvent toutefois compter sur plusieurs personnalités telles que l’intellectuel sourd Ferdinand Berthier (1803-1886) surnommé le « Napoléon des sourds ». Professeur à l’Institution nationale des sourds-muets, fondateur de sociétés de bienfaisance, il fédère la communauté autour de la légende de l’Abbé de l’Epée en particulier à l’occasion de banquets organisés en sa mémoire. Auteur de plusieurs ouvrages d’histoire ou de droit (Les sourds muets avant et après l’Abbé de l’Epée, 1840 ; Le Code Napoléon, code civil de l'Empire français : mis à la portée des sourds-muets, 1868) et membre de la Société des gens de lettres, il est un membre actif du milieu littéraire parisien et entretient une correspondance suivie avec les intellectuels de son temps, notamment Victor Hugo qui lui adresse ces mots fameux dans une lettre datée de novembre 1843 :

« Qu’importe la surdité de l’oreille, quand l’esprit entend ?
La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable,
C’est celle de l’intelligence »

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Frontispice. Société universelle des Sourds-Muets... Compte rendu du Banquet du 28 novembre 1886 à l'occasion du 174e anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Epée, 1887

Les écoles et institutions étant davantage tournées vers l’oralisme, la communauté sourde signante se retrouve dans d’autres lieux de sociabilité, comme les associations sportives ou culturelles, où la langue des signes peut être pratiquée sans  jugement. Les « banquets de sourds » en sont la manifestation la plus connue ; dans la presse généraliste, des entrefilets les évoquent sur un ton souvent étonné, qui oscille entre ironie et condescendance :

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Le Petit Parisien, 23 novembre 1884

Les artistes sourds s’organisent également et montent des salons qui attirent de nombreux confrères venus de l’étranger :

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Le Journal, 1 décembre 1927

Certains deviennent même célèbres, comme le peintre et sculpteur René Princeteau (1849-1914). Il est l’un des maîtres de Toulouse-Lautrec qu’il accueille dans son atelier du Faubourg Saint-Honoré à Paris.

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Maurice Joyant, Henri de Toulouse-Lautrec, 1864-1901 : peintre, 1926, p. 53

La presse est aussi un medium privilégié de communication pour les sourds lettrés comme l’attestent la multiplication de revues dont certaines sont proches des milieux catholiques : Le conseiller des sourds-muets, La Défense des sourds muets, Le Bienfaiteur des sourds-muets et des aveugles ou encore la Revue internationale de l'enseignement des sourds-muets, dont la ligne éditoriale est en revanche clairement oraliste.

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Le conseiller des sourds-muets, septembre 1868

Des manuels pédagogiques pour tous les âges sont édités. Les plus simples présentent des abécédaires de la langue des signes complétés par des dessins et une représentation du signe.

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J. Clamaron, Alphabet dactylologique : orné de dessins variés présentant deux exemples pour l'application de chacun des signes dactylologiques, 1873

D’autres ouvrages montrent les signes de manière plus détaillée, avec les mouvements des mains et l’expression du visage, une présentation plus fidèle à la dimension spatiale et corporelle de cette langue.

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Pierre Pélissier, Iconographie des signes faisant partie de "l'Enseignement primaire des sourds-muets", 1856

À la fin du 19e siècle, les partisans de l’oralisme remportent la bataille : en 1880, à Milan, se tient le « 3e congrès international pour l'amélioration du sort des sourds-muets » connu comme le « Congrès de Milan ». Sur 256 participants, 4 sont sourds ; aucune traduction en langue des signes n’est proposée. Les défenseurs de la méthode orale, principalement des Français et des Italiens, entraînent l’adoption de 12 résolutions qui auront un impact décisif sur l’instruction des sourds en Europe jusque dans les années 1970.

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Louis Guyot, Enseignement des sourds-muets par la parole, 1881

En France, l’application de ces résolutions s’inscrit dans un contexte plus général qui vise à faire du français l’unique langue de la nation ; la langue des signes, comme les langues régionales, pourrait nuire à l’unité nationale et ne correspond plus aux idéaux pédagogiques de la IIIe république ; en outre, hygiénisme et discours médicaux, sous couvert des progrès scientifiques, persistent à vouloir « soigner » les sourds et à les faire parler.

 

Les professeurs sourds sont évincés des écoles et la langue des signes française est bannie des classes ; elle n’est plus considérée comme un outil pédagogique, un moyen de communication adapté et le vecteur d’une culture. La France prendra ainsi un retard immense par rapport aux autres pays qui ont conservé un enseignement bilingue, tels que l’Angleterre, la Suède et les Etats-Unis, et ce jusqu’aux années 1970 au cours desquelles s’amorce le « réveil sourd ». La reconnaissance officielle de la langue des signes comme « langue à part entière » en France date de 2005.

Ironie de l’histoire, au tout début du 19e siècle, c’est un sourd français, Laurent Clerc, qui initie à la langue des signes un jeune pasteur américain, Thomas Gallaudet, en voyage à Paris. Les deux amis seront à l’initiative de la fondation de la première école pour sourds sur le continent américain, établie en 1817 dans le Connecticut. Leur engagement pour la langue des signes aboutira en 1864 avec la création d’un établissement bilingue anglais/langue des signes américaine, la Gallaudet University à Washington, unique établissement de ce type dans le monde et qui demeure une référence mondiale pour l’accès des sourds à la connaissance.

Pour en savoir plus

Florence Encrevé, Les sourds dans la société française au XIXe siècle : idée de progrès et langue des signes, 2012

Rachel Mildred Hartig, Franchir le fossé : biographie et représentations de la surdité, 2013

Blog de Yann Cantin, La Noétomalalie historique : histoire, langue des signes et sourds.

Bibliothèque de l’Institut National de Jeunes Sourds, Paris

Musée d’histoire et de culture des sourds, Louhans (71)

À la BnF, des visites guidées du site François-Mitterrand sont proposées régulièrement en LSF. Les lecteurs souhaitant un accueil en LSF pour découvrir les collections peuvent également écrire à l’adresse suivante pour prendre rendez-vous : accueil.handicap@bnf.fr.

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