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Whistler, graveur et lithographe (1834-1903)

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23 avril 2013

Beraldi, en 1892, dans son guide de l’amateur d’estampes modernes, Les graveurs du XIXe siècle, déplore que le Cabinet des Estampes ne possède aucune œuvre de Whistler (1834-1903). En effet, le fonds des estampes de cet artiste a été constitué seulement au XXe siècle : pour les lithographies, grâce au legs en 1908 de Rosalind Birnie Philip, belle-sœur de Whistler, et pour les eaux-fortes, essentiellement grâce au don en 1943 du collectionneur éclairé Atherton Curtis, qui les avait acquises au début du XXe siècle chez les marchands Strölin, Wunderlich, Keppel. Ces provenances prestigieuses garantissent une collection de qualité, représentative de l’ensemble de l’œuvre gravé de Whistler.

Un œuvre qui a évolué par ruptures, suivant les revers de fortune ou les sautes d’humeur de l’artiste. Par ses extravagances et ses provocations, le personnage a été durant presque toute sa vie, sauf à la fin, victime et responsable d’une incompréhension de la part des critiques, de ses pairs, de ses commanditaires, de ses amis même. Lucide ou ironique, il publie en 1890 The gentle art of making enemies ! A-t-il délibérément joué à l’artiste maudit, vivant au-dessus de ses moyens comme un dandy excentrique, anticonformiste, provocateur, querelleur et sûrement assez sûr de son génie ? Mallarmé, son ami, le présente comme « Un Monsieur rare, prince de quelque chose… », définition vague suggérant toutefois un raffinement, une distinction perceptible dans sa gravure, au-delà d’une apparence de facilité. S’il se vante de pouvoir réaliser trois eaux-fortes en une après-midi, on sait par ailleurs qu’il peut passer trois semaines à la préparation d’une planche, multipliant les états, essayant différents effets d’encrage, choisissant avec soin les papiers.

Whistler, Thames police (eau-forte, 3e état)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8559586q

 

Après une enfance cosmopolite où il apprend le français en Russie et des études à West Point, l’Américain Whistler arrive à Paris en 1855 où il mènera une grande partie de sa carrière et où il nouera de nombreuses amitiés. Il figure sur le tableau de Fantin-Latour, Hommage à Delacroix, aux côtés des autres peintres et écrivains modernes, Legros, Manet, Bracquemond, Baudelaire, Champfleury…  Il connaît déjà les caricatures de Gavarni et de Daumier, les estampes collectionnées par son beau-frère Francis Seymour Haden. À son arrivée en France, l’eau-forte originale connaît un renouveau et Whistler recourt naturellement à cette technique à partir de 1858 pour sa première série gravée, French set, ensemble de 12 eaux-fortes  imprimées par Auguste Delâtre.

En 1859, installé à Londres, il réalise un ensemble de 16 eaux-fortes, Thames series, salué par ces mots de Baudelaire : « Tout récemment, un jeune artiste américain, M. Whistler, exposait à la galerie Martinet une série d’eaux-fortes subtiles, éveillées comme l’improvisation ou l’inspiration, représentant les bords de la Tamise : merveilleux fouillis d’agrès, de vergues, de cordages, chaos de brumes, de fourneaux et de fumées tire-bouchonnées : poésie profonde et compliquée d’une vaste capitale ». La poésie de Baudelaire égale celle des estampes de Whistler, moderne dans sa démarche où il traite avec raffinement un sujet trivial délaissé jusque-là.

Whistler, The doorway (eau-forte, 5e état, 1880)
 

1878 est une année très sombre dans la vie de Whistler : il est en procès contre Ruskin à cause d’un article aigre contre lui, il est quasiment acculé à la faillite et vend sa maison de Chelsea. Il part pour Venise et, à la demande de la Fine art Society, grave à l’eau-forte deux suites vénitiennes de 12 et 26 planches, publiées respectivement en 1880 et 1886. Beraldi parle d’un « rendu sommaire et égratigné » pour croquer des aspects inattendus de Venise, des coins secrets, les salles vides des palais, mais aussi le Rialto grouillant de vie. On note toutefois une évolution stylistique pour rendre la profondeur suggérée par des tailles parallèles et non plus par des morsures successives : l’influence de la lithographie abordée pour la première fois en 1878 se fait sentir.

Une dernière série, hollandaise, en 1889, vient synthétiser et conclure la pratique de l’eau-forte. Les gravures d’Amsterdam présentent la précision des premières séries française et londonienne, sans en avoir les détails crus et violents, et l’effet impressionniste des séries vénitiennes, mais moins fruste.

 

À partir de 1890, la lithographie prend le pas sur l’eau-forte. Fantin-Latour lui fait connaître le papier autographique permettant une plus grande souplesse de dessin pour la pierre. Il expérimente aussi la lithographie en couleurs, utilisant une pierre pour chaque couleur pour un rendu plus franc. Whistler disait préférer la lithographie, plus apte à rendre cette atmosphère rêveuse qu’il semble rechercher dans son œuvre peint ou gravé. On lui a reproché un art trop facile et décadent. Pourtant, quel que soit le mode d’expression choisi, alternant  eau-forte, lithographie, peinture de chevalet, il y apporte toujours une rigoureuse application. Cette  démarche exigeante n’a pas été toujours comprise par la critique, préférant parfois sa peinture pour redonner ensuite la première place à l’eau-forte… dénigrée dix ans plus tard. À l’exception de ses amis constants, Joseph Pennell, son premier biographe, Théodore Duret, Fantin-Latour, Rodin, ses contemporains lui infligèrent des jugements contradictoires qui le firent souffrir plus profondément qu’il n’y paraît. Les honneurs vinrent à la fin de sa vie, comme le premier grand prix de gravure à l’Exposition universelle de 1900. Avant d’en arriver là, même s’il signe ses œuvres d’un papillon, symbole de légèreté, il cache plus ou moins la mélancolie de l’artiste incompris, exprimée sans doute dans l’eau-forte de 1883, Swan and iris, où le cygne a bien du mal à prendre son envol.

Monique Moulène, département des Estampes et de la photographie

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