La Montansier, une vie de théâtres (3) - La Révolution et la Terreur
Pour ce troisième épisode sur la vie de la directrice de théâtres Mademoiselle Montansier, découvrez comment celle-ci fait face aux bouleversements radicaux que représentent la Révolution et la période de la Terreur.
Dans la tourmente révolutionnaire
Les évènements qui bouleversent radicalement la société française en cette période troublée ne semblent pas constituer une entrave pour Marguerite et Neuville. Au contraire, leur salon parisien devient rapidement un lieu de rencontre des élites intellectuelles et mondaines. Des représentants de la noblesse mais aussi des révolutionnaires tels les célèbres comédiens Dugazon et Talma[1], ainsi que des futurs « hommes forts » du pouvoir politique dont Camille Desmoulins et Fabre d’Eglantine, s’y retrouvent et côtoient l’univers trouble des demi-mondaines, femmes galantes et prostituées.
En janvier 1791, le processus qui aboutit à la « libération des théâtres » est achevé[2]. Dès 1790, une série de lois et décrets avait considérablement modifié le monde du spectacle. Désormais, le monopole des grands théâtres est aboli, on peut jouer partout n’importe quel spectacle ; la censure est supprimée et le tout-venant peut bâtir une salle pour recevoir des représentations, sur simple déclaration à la Mairie. Cette liberté génère une prolifération de spectacles de toutes sortes. Le divertissement prime et le théâtre enfin sans entraves devient un lieu où les expressions publiques se confrontent et les idées révolutionnaires avancent.
Féconde, cette liberté toutefois n’engendre pas que des spectacles de grande qualité. Tous n’obéissent pas à une esthétique formelle ou à des contenus éducatifs et émancipateurs, mais leur profusion fait régner une concurrence impitoyable qui doit répondre à la demande d’un public toujours plus nombreux.
Dans ce contexte, bien qu’agrandi dès 1790 et pouvant désormais accueillir mille huit cents personnes, le « théâtre de la demoiselle Montansier » se révèle être encore trop exigu, ce qui lui offre l’opportunité d’imaginer un lieu qui pourrait satisfaire tous ses fantasmes artistiques. Elle se lance alors dans un projet pharaonique qui lui permettra d’organiser des spectacles grandioses et inédits.
Visant un vaste terrain en face de la Bibliothèque nationale[3], elle demande à l’architecte Victor Louis[4] de réaliser les plans d’un théâtre pouvant accueillir deux mille huit cents spectateurs et des machineries gigantesques et sophistiquées visant à satisfaire les mises en scènes les plus excentriques. Les moyens techniques seront novateurs et devront notamment permettre de lancer les décors non pas sur les côtés de la scène, mais par-dessous. Ainsi, toutes les illusions et féeries dont raffolent les spectateurs pourront être réalisées. Les travaux sont lancés au début de l’année 1792.
Année violente, qui bouleverse définitivement l’ordre établi politique en instaurant la République et qui marque le tournant définitif d’une Révolution jusque là non encore sanglante et toujours porteuse d’espoirs. Année qui voit le début d’une guerre meurtrière de la France contre les grandes puissances monarchistes ; un coup d’Etat manqué par La Fayette ; l’arrestation de la famille royale puis le début du procès du roi, sans oublier dès le mois d’août, l’instauration d’un tribunal révolutionnaire voulu par Robespierre, suivie de l’usage de la guillotine comme moyen d’exécutions pour les condamnés politiques. Cela sans compter les massacres, pillages, révoltes, dénonciations et assassinats partout dans le pays.
La vie culturelle dans un tel contexte est à l’arrêt. Craignant les pillages, les théâtres restent clos et l’ambiance est celle de la peur généralisée : peur d’être accusé de ne pas être favorable aux idées révolutionnaires, peur d’être dénoncé, peur d’être exécuté. La Montansier et Neuville, qui ont des appuis dans tous les camps politiques et sont notamment proches de Camille Desmoulins, choisissent de porter leurs concours à l’effort militaire. Est-ce par peur ou par conviction réelle ? Difficile de le savoir, toujours est-il que début septembre, ils annoncent la formation d’une compagnie franche formée d’ouvriers et d’artistes de leur théâtre, « La Compagnie des artistes patriotes », prêts à aller se battre sous le commandement de Neuville, ancien militaire. La victoire de Valmy le 20 septembre évite au bataillon d’histrions de défendre la patrie sur les champs de bataille, qui rentre à Paris après avoir passé une dizaine de jours près de Châlons.
Les mois qui vont suivre verront la consécration des idées les plus extrêmistes par les élections à la Convention. Après la période convulsive qui avait précédé Valmy, la vie mondaine reprend, mais sur le plan financier, les affaires du couple Montansier-Neuville ne sont pas très fleurissantes car les recettes des spectacles sont versées en grande partie pour l’effort national. Après un fiasco en janvier 1793 au théâtre de la Monnaie de Bruxelles où la Montansier prévoyait de jouer quelques oeuvres de propagande, elle revient dans une France désormais sans roi et en guerre contre l'Angleterre et l'Espagne. Marguerite a toutefois une raison de rester optimiste : la construction de son nouveau théâtre est presque achevée, malgré les pénuries d’ouvriers, de matériel et de fonds. Quelques mois après son retour, avec Neuville, elle inaugure le nouveau Théâtre National, choisissant la date du 15 août, jour de l’Assomption, espérant prouver ainsi son détachement de la foi catholique, controversée et assimilée à la superstition par les sans culottes.
Le nouveau théâtre est magnifique et répond en matière de technique à toutes les exigences initialement voulues par sa directrice. Le choix du répertoire va cependant se révéler compliqué, car depuis le 6 avril 1793, un Comité de salut public présidé par Robespierre a été instauré et, oubliant les promesses des premiers temps de la « libération des théâtres », une forme de censure a été établie : chaque théâtre doit au préalable présenter son répertoire au Comité. Les textes évoquant l’ancien régime et ne promouvant pas les idées républicaines sont bannis. Nombre de pièces sont amputées de longs passages, modifiées et détournées de leur propos initial. Suspicions, accusations et exécutions se multiplient. Le monde du spectacle n’est pas épargné et Marguerite ne tarde pas à être soupçonnée.
Traître à la Révolution
Les arrestations de directeurs et de comédiens sont nombreuses. Parmi ses anciens pensionnaires, Fleury, Marie Joly, la Raucourt et bien d’autres finissent dans les geôles de la Terreur.
Marguerite est suspecte car elle fut proche de Marie-Antoinette du temps où elle dirigeait les spectacles de la cour. Hébert[5], qui avait pourtant fréquenté le salon du couple Montansier-Neuville, va être son principal dénonciateur, par un article apparu dans son journal pamphlétaire « Le Père Duchesne ». Pierre-Gaspard Chaumette[6], procureur de la Commune, surenchérit et la vieille directrice âgée de 63 ans est arrêtée et emprisonnée le 15 novembre. Neuville partage son sort et les théâtres parisiens qu’ils dirigent sont fermés.
Les principaux chefs d’accusation requis à l’encontre de Marguerite concernent, d’une part, la provenance des fonds ayant servi à la construction du Théâtre National et d’autre part, le soupçon d’avoir implanté son théâtre en face de la Bibliothèque nationale pour pouvoir mettre le feu à celle-ci. Ses accointances avec Marie-Antoinette et l’ancien régime sont également utilisées à charge par les accusateurs.
Pendant son emprisonnement à la mairie, puis à la prison de la Petite Force, dans l’actuel quartier du Marais, la Montansier rédige trois mémoires de défense, dans lesquels elle nie avec force son amitié avec la « veuve Capet », allant même jusqu'à préciser « qu’elle était son ennemie » et démontre que les fonds ayant servi pour la construction du Théâtre National ne provenaient « ni des immigrés, ni des Anglais, ni de Marie-Antoinette ». Quant à l’accusation d’avoir voulu s’installer en face de la Bibliothèque nationale, elle réplique simplement et avec bon sens : « Si j’avais voulu mettre le feu à la Bibliothèque nationale, je n’aurais pas installé mon théâtre juste en face. »[7].
Entre décembre 1793 et janvier 1794, elle subit deux interrogatoires, mais malgré l’efficacité de sa défense et la minceur des preuves rassemblées contre elle, Marguerite demeure en prison, attendant comme tant d’autres d’être libérée ou guillotinée. Les suppliques qu’elle transmet restent sans réponse.
Un arrêté du Comité du Salut public du 16 avril confirme la spoliation de ses biens ; ses comédiens sont sommés de quitter le théâtre de la rue de la Loi. Ils vont désormais occuper la salle des Comédiens-Français, car ces derniers sont emprisonnés. Le splendide Théâtre National, confortable, bénéficiant des moyens techniques les plus élaborés et très bien situé en cette rue de la Loi, centrale et au cœur du quartier des divertissements, est affecté à la troupe de l’Opéra, pour l’instant étroitement installée au Théâtre Saint- Martin[8].
La Grande Terreur
Marguerite et Neuville attendent dans leurs geôles respectives, certains d’avoir servi la République et confiants qu’ils finiront par être lavés de tous leurs chefs d’accusation. Mais leur libération tarde, et ne sera due qu'aux évènements qui bientôt vont déferler sur la France.
Jusqu’à l’été, les exécutions vont bon train et l’homme fort de la Convention, Robespierre, est à la tête du Comité du Salut public. Ses alliés d’antan devenant des ennemis, il leur fait subir la guillotine : Hébert, Camille Desmoulins, Danton, Fabre d’Eglantine...
C’est la période dite de la « Grande terreur », qui intensifie exécutions et atrocités et consacre un régime politique bâti sur l’arbitraire et la violence.
Les députés de la Convention finissent par réagir. De plus en plus contesté, Robespierre est finalement arrêté et emprisonné le 28 juillet 1794. Il est guillotiné le même jour avec vingt-et-un de ses partisans.
Et le 16 septembre, soit dix mois après leur incarcération, Marguerite et Neuville sont enfin libérés.
[1] François-Joseph Talma (1763-1826), considéré comme le plus grand tragédien de son temps et futur ami de Napoléon.
[2] Décret Le Chapelier du 13 janvier 1791.
[3] Aujourd’hui square Louvois, longeant la rue de Richelieu, nommée « rue de la Loi » pendant la période révolutionnaire.
[4] 1731-1800, déjà réalisateur du Grand théâtre de Bordeaux et de la rénovation du Palais-Royal.
[5] Jacques-René Hébert (1757-1794), journaliste, proche des sans-culottes et animateur du groupe radical des hébertistes.
[6] Pierre-Gaspard Chaumette (1763-1794), avocat puis procureur, proche des sans-culottes et ardent partisan de la déchristianisation.
[7] La Montansier : de Versailles au Palais-Royal : une femme d'affaires, Patricia Bouchenot-Déchin, 1993.
[8] Le Théâtre National devient : « le Théâtre des Arts ».
Références bibliographiques :
Lecomte, Louis-Henry (1844-1914) : La Montansier : ses aventures, ses entreprises (1730-1820). Paris : F. Juven, 1905
Dimitriadis, Dicta, La Montansier : biographie, Mercure de France, 1995, 792.028 092 MON Dim
Goncourt, Edmond de (1822-1896) et Goncourt, Jules de (1830-1870) : Histoire de la société française pendant le Directoire, 2e édition : Paris : E.Dentu, 1855
Goncourt, Edmond de (1822-1896) et Goncourt, Jules de (1830-1870) : La Femme au dix-huitième siècle : Paris, F. Didot frères, fils et Cie, 1862
Benabou, Erica-Marie (1935-1985) : La Prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, présentation par Pierre Goubert : Paris : Perrin, 1987
Fuchs, Max (1876-1949) : La Vie théâtrale en province au XVIIIe siècle : personnel et répertoire, Éd. du CNRS, 1986, 792.028 09 FUC vie
Le théâtre Montansier : [exposition, Versailles, Archives communales, 16 septembre-2 décembre 2017], sous la direction de Pierre-Hippolyte Pénet, 4-W-10464
Commentaires
mort de robespierre
Bonjour, article très intéressant. juste une petite erreur, Robespierre a été guillotiné en 1794.
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