Charles-Marie de La Condamine (2/2)
Si, en 1743, Godin reste au Pérou pour occuper la chaire de mathématiques à l’Université de Lima, si Bouguer rentre en France dès janvier, La Condamine, quant à lui, décide de rester au Pérou afin de descendre l'Amazone.
La Condamine part le 11 mai 1743 de Cuenca (au sud de Quito sur la carte ci-dessus) pour rejoindre Jaèn (au sud de Cuenca sur la carte) située sur le Río Amojú, un affluent du Río Marañón. Ce dernier rejoint et fusionne avec le Rio Ucayale (ou Ucayali), près de Yameos (à l’est de Jaèn sur la carte) près de la ville actuelle de Nauta, dans la région de Loreto, en Amazonie péruvienne. Ensemble, les deux rivières donnent naissance à l'Amazone, que la Condamine va descendre jusqu’à son embouchure dans l’Atlantique, pour rejoindre Para (aujourd’hui Belém du Pará). De là, il gagne Cayenne, en Guyane française, où il arrive le 26 février 1744 et où il effectue notamment de nouvelles mesures géodésiques et des relevés cartographiques des côtes de la région. Puis c’est le Surinam hollandais où il embarque pour Amsterdam. Il arrive enfin à Paris le 23 février 1745, près de dix ans après son départ de La Rochelle, dans ce qui reste le premier voyage scientifique français en Amérique latine.
Quinologie des quinquinas, 1854. (Coll. Bibliothèque HIA Sainte-Anne Toulon)
Médecine tropicale, 01/10/2008
Parmi ces apports, mentionnons la description du quinquina, un arbre dont est extraite la quinine, mais dont il ne put ramener en France ni graines ni plants. Cet arbre fut découvert par Joseph de Jussieu, botaniste de l’expédition, qui ne put faire paraître son mémoire écrit en 1737, avant la mention par La Condamine en 1745, car il resta jusqu’en 1771 en Amérique latine et rentra très affaibli en France (il faudra attendre 1936 pour que ce mémoire soit édité). La Condamine ramène également l’arbre à caoutchouc dont parle Buffon, ainsi que des flèches empoisonnées avec du curare, qu’il nomme poison des Ticunas, du nom d’un des peuples amérindiens rencontré. Finalement, Il rentre à Paris avec de très nombreux objets d'histoire naturelle, qu'il offre à Buffon. Observateur insatiable de la nature, La Condamine décrit et fait découvrir aux Européens de nombreux animaux peu connus, dont le colibri de Quito, le condor des Andes, le mico d’Amazonie, le lamantin d’Amérique, le jaguar du Brésil, l’oiseau trompette de Guyane et le tapir.
[Le Mico.] : [dessin] / De Sève. 1764
Autres apports et contributions honorifiques
Après son retour d’Amérique et au cours de ses vingt-neuf dernières années de vie, La Condamine ne cesse jamais de voyager, d’explorer, d’assouvir sa soif de connaissances et de mettre tout son savoir au service des sciences pour les rendre utiles au plus grand-nombre. Lors de son séjour en Italie en 1754-1755, il est à Pise pour l'éclipse de Lune du 27 mars 1755. Il y mesure le défaut d'aplomb de la tour de Pise qu’il évalue à treize pieds de Paris, soit à un peu plus de quatre mètres. Puis, à Florence, il s'intéresse à la restauration de la méridienne de la cathédrale Santa Maria del Fiore, par l'astronome Leonardo Ximenes. Il s'agit d'une ouverture circulaire sur le dôme de la cathédrale, qui donne une image du soleil sur la ligne méridienne tracée par une bande de marbre du pavement, et sert à déterminer les points solsticiaux et les variations de l'écliptique.
Un des buts principaux de ce voyage en Italie est de demander une bulle au Pape, en faveur de l’inoculation de la variole ou petite vérole, une maladie qui l’a atteint dans sa jeunesse, lors de sa courte carrière militaire. Depuis de nombreuses années, La Condamine, est en faveur de l’inoculation de la variole, un traitement préventif à la maladie, défendu en Angleterre par la Royal Society de Londres au début du 18ème siècle et pris en considération après une intense campagne de divulgation par Lady Mary Wortley Montague. L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, dans son édition de 1778, consacrera 40 pages à l’inoculation et en fera « la plus belle découverte qui ait été faite en médecine », faisant honneur à tous ses premiers défenseurs. On retrouve la ferveur et la volonté de la Condamine dans la défense, la divulgation publique et la mise en œuvre de ce traitement, ancêtre de la vaccination, dans plusieurs documents dont :
Lettres de M. de La Condamine à M. le Dr Maty sur l'état présent de l'inoculation en France...,1764
De son temps, La Condamine est honoré pour sa vie et ses travaux, en étant membre de l’Académie royale des sciences de Paris, de l’Académie française, de la Société Royale de Londres, des Académies de Berlin, de Saint-Pétersbourg, de Bologne, de Cortone, et de l’Académie de Stanislas à Nancy. Infatigable travailleur, il participe aussi à L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, tout en continuant à écrire de la poésie, dont on trouve trace de l’écriture d’un couplet qu’il fait à un ami sur l’opération qui entraînera deux jours plus tard son décès, le 4 février 1774.
Laissons le dernier mot à Buffon dans sa réponse au discours de La Condamine le jour de sa réception à l’Académie française, en janvier 1761 :
Avoir parcouru l’un et l’autre hémisphère, traversé les continents et les mers, surmonté les sommets sourcilleux de ces montagnes embrasées où des glaces éternelles bravent également et les feux souterrains et les feux du midi, s’être livré à la pente précipitée de ces cataractes écumantes, dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la Terre que descendre des nues, avoir pénétré dans ces vastes déserts et dans ces solitudes immenses, où l’on trouve à peine quelques vestiges de l’homme, où la nature, accoutumée au plus profond silence, dut être étonnée de s’entendre interroger pour la première fois ; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la gloire, que l’on ne fit jamais par la soif de l’or : voilà ce que connaît de vous toute l’Europe, et ce que dira la postérité »
Pour aller plus loin
- Œuvres : La France littéraire ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, ainsi que des littérateurs étrangers qui ont écrit en français, plus particulièrement pendant les XVIIIe et XIXe siècles. Tome quatrième, [H-LA] / par J.-M. Quérard, 1827-1839
- Cartes dont La Condamine est l'auteur et l'auteur adapté (à partir d'écrits ou de cartes) : https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&exactSearch=false&collapsing=false&version=1.2&query=((dc.creator%20adj%20%22La%20Condamine,%20Charles-Marie%20de%22%20or%20dc.contributor%20adj%20%22La%20Condamine,%20Charles-Marie%20de%22%20)%20or%20dc.title%20adj%20%22Condamine%22%20)%20and%20(dc.type%20all%20%22carte%22)%20and%20((bibliotheque%20adj%20%22Biblioth%C3%A8que%20nationale%20de%20France%22))
- Cartes dont la Condamine est strictement l'auteur : https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&exactSearch=false&collapsing=false&version=1.2&query=(dc.creator%20adj%20%22La%20Condamine,%20Charles-Marie%20de%22%20or%20dc.contributor%20adj%20%22La%20Condamine,%20Charles-Marie%20de%22%20)%20and%20(dc.type%20all%20%22carte%22)%20and%20((bibliotheque%20adj%20%22Biblioth%C3%A8que%20nationale%20de%20France%22))
- Marcil, Ysmine. « Les périodiques littéraires et la campagne de La Condamine en faveur de l’inoculation contre la petite vérole ». Le Temps des médias : revue d'histoire. 2014/2 (n° 23), p. 66-77. Nouveau Monde éditions.
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