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Constant Guéroult (1811-1882)

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Constant Guéroult est un feuilletoniste représentatif de la masse de ses confrères : des intrigues embrouillées, des complots partout, des expressions un peu passe-partout, et qui donc est maintenant tombé dans l’oubli, ce qui est dommage, car il possède un rythme et une fougue saupoudrés d’humour.

Constant Guéroult, romancier, photographie, tirage de démonstration, Atelier Nadar, 1900

En juin 1881, Le Pays caractérisait Constant Guéroult par le fait qu’il avait créé

des types curieux et puissants, un style nerveux, rapide et coloré, des situations dramatiques, beaucoup de passion, de nombreux incidents, pas de longueurs et un intérêt toujours soutenu."

Cet écrivain, totalement ignoré de nos jours, a en effet été un auteur particulièrement choyé par le public des années 1850-1870. Il est très emblématique des feuilletonistes de son époque : carrière fournie, romans de mœurs, drames judicaires ou récits historiques, sans oublier le théâtre.

Constant François Guérout naît à Elbeuf le 27 février 1811, troisième garçon d’un ensemble de quatre. Son père est un artisan. Sa mère décède alors qu’il n’a que sept ans, et son géniteur, qui doit élever seul ses enfants, l’envoie très tôt à Paris pour apprendre le commerce. Constant y devient vite commis-drapier, pour satisfaire les espoirs paternels et, éventuellement, subsister. Cela ne l’empêche pas de fréquenter les théâtres à la mode et de s’imprégner des romans nouveaux. Cependant son créateur disparaît en 1833. Alors, le jeune homme s’enhardit, et décide de passer à autre chose. Car "déployer du drap, le mesurer, en vanter la qualité, le vendre, est certes une profession qui n'est pas à dédaigner, mais qui ne satisfit nullement le jeune Guéroult. Comme tant d'autres, il était dévoré du désir "de se voir imprimé"". Après avoir réussi à publier sa première nouvelle dans le journal La Patrie, "les draps eurent tort ; Guéroult les laissa dans leurs rayons. De commis-drapier il passa homme de lettres", expliquait après-coup La Petite Presse (25 novembre 1874).

Les Abîmes de Paris, Constant Guéroult, Paris, 1875

Il envahit dès lors les journaux de ses textes. D’abord en y publiant des écrits rédigés en collaboration avec notamment Molé-Gentilhomme, autre écrivain avec lequel il fait paraître trois pièces et neuf romans. Mais celui-ci meurt assez vite, en pleine représentation d’un de leurs drames (La Comtesse de Novaille) en 1856. Guéroult va alors choisir l’indépendance littéraire, même s’il ne répugnera pas à travailler avec d’autres, comme le Marquis de Foudras, Pierre Zaccone ou Paul de Couderc. Tous ses romans, avant de se retrouver en librairie, sont édités en feuilletons dans nombre de titres de presse : La Flandre illustrée, La Gazette de France, Le Petit Journal, Le Voleur illustré, La Revue de Paris, mais aussi Le Courrier de Paris, La Mode Nouvelle, La Patrie, Le Pays, Le Petit Journal, etc.

Les Nouveaux Exploits de Rocambole, Constant Guéroult, sur des notes laissées par Ponson Du Terrail Capiomont aîné, Calvet et Cie, Paris, 1880

Il explore plusieurs domaines : le roman historique : Roquevert l’arquebusier (1853), Le Routier de Normandie, épisode du temps de Charles V (1854), La Reine de Paris, épisode du temps de la Fronde (1856), Blanche de Savenière (1854) (tous écrits avec Molé-Gentilhomme), La Tigresse des Flandres : épisode de la domination espagnole dans les Pays-Bas (1861) ou La Bourgeoise d’Anvers (1863). Il travaille aussi dans le roman de mœurs, comme Le Juif de Gand (1857), Zanetta la chanteuse (1857, encore avec Molé-Gentilhomme) ou Le Luthier de Rotterdam (1868). Il explore les bas-fonds parisiens, avec une série de quatre ouvrages étalés sur treize ans : Les Vautours de Paris (1854 avec le Marquis de Foudras), Les Etrangleurs de Paris, (1859, avec Paul de Couderc), Les Abimes de Paris, (1865) et Les Damnés de Paris, (1867). Enfin, il a beaucoup travaillé à ce qu’on appelait alors les drames judiciaires, à la suite de Gaboriau : La Bande Graaft (1880), L’Affaire de la rue du Temple (1876), La Bande à Fifi Vollard (1880), ou les suites de l’œuvre de Ponson du Terrail, Le Retour de Rocambole (1876) et Les Nouveaux Exploits de Rocambole (1880).

Les Damnés de Paris grand roman dramatique par Constant Guéroult, Fischer, affiche, 1868

Il publie beaucoup, au moins un ouvrage par an, sans compter ses paroles de chansons (surtout avec le compositeur Luigi Bordese). Il ne faut pas non plus oublier le théâtre. Celui-ci est important à ses débuts, notamment avec le fameux Molé-Gentilhomme. Ce ne sont pas des pièces qui sont passées à la postérité, mais qui peuvent avoir un certain charme : Pomponnette et Pompadour (1850), Le Cousin Pamphile (1850), La Comtesse de Novailles, drame en cinq actes (1856) et encore Berthe la Flamande (1854) dont l’écriture fut curieuse. Au départ, les deux compères avaient imaginé l’histoire d’un capitaine à la longue rapière. Mais, n’en venant pas à bout, ils demandèrent de l’aide, et peu à peu, le militaire se transforma en une mère de famille ! Après la mort de son collègue et ami, Guéroult ne toucha presque plus à la composition dramatique.

Il s’est trouvé un bel appartement près du jardin du Luxembourg. Un drame survient en 1869, la noyade accidentelle d’un de ses fils. Il est membre de la Société des Gens de Lettres. Il décède le 30 novembre 1882, à 71 ans. La presse souligne alors son talent, mais sommairement, avec une unanimité qui semble un peu artificielle. Deux romans sortiront de façon posthume, en 1884 (Le Luthier de Rotterdam et La Femme du Monsieur le Duc). Bref, il semble déjà passé de mode.

Près d’une quarantaine de romans en moins de trente ans

Ses premiers furent pratiquement tous écrits à deux mains, toujours avec Molé-Gentilhomme. Puis, après sa mort, Guéroult a continué, tout seul. On y trouve des machinations puissantes, des complots effroyables, avec leurs meurtres, leurs amours malheureuses, et des manipulations en tout genre ; mais ces histoires se terminent toujours bien, avec leurs méchants punis et leurs vertueux récompensés. Par exemple La Tabatière de Monsieur Lubin, qui, en 1878, s’attirait ce compliment de La Comédie :

Les caractères odieux qu'il a tracés sont dessinés avec une parfaite entente des personnages, les horreurs qu'il a dépeintes, les sinistres tableaux qu'il a reproduits, tout cela parle, vit, agit à la grande satisfaction du lecteur qui suit d'un œil avide les diverses péripéties qui se déroulent avec une vertigineuse rapidité."

Le personnage de Lubin reviendra d’ailleurs dans Un Héritage tragique (1880).

Les Ennemis de Monsieur Lubin, grand roman par Constant Guéroult, affiche, Jules Chéret, 1874

Il y a aussi les suites qu’il a rédigées à l’œuvre de Ponson du Terrail. Après la mort de ce dernier, en 1871, sa veuve confie ses notes à un journaliste, qui les transmet à Guéroult. Celui-ci va alors imaginer deux histoires qui reprennent les personnages de Rocambole et de quelques comparses : Le Retour de Rocambole (1876) et Les Nouveaux Exploits de Rocambole (1880), avec, sous le nom de l’auteur, fièrement apposée l’expression "sur des notes laissées par Ponson du Terrail". Guéroult cependant change la nature même de Rocambole, transformant un surhomme ravagé par le doute et la culpabilité en un individu confiant en lui, travailleur, plus détective d’ailleurs que redresseur de torts, faisant travailler son cerveau au lieu d’utiliser quelque pouvoir occulte. Il en devient presque sympathique, avec une vraie épaisseur humaine. Selon une critique actuelle, "Guéroult a imaginé un héros d’aventures, modeste et résolu. Il a évité le plus possible les manifestations de supériorité, bref il a imposé son style, inventé sa propre figure du justicier." (Elizabeth Ripoll Rohr, Les Métamorphoses de Rocambole, 1998).

La Bande à Fifi Vollard, Constant Guéroult, Paris, 1880

Mais ce qui fonctionne vraiment dans le public pour cet écrivain, ce sont les drames judiciaires, qui sont rédigés pratiquement tous dans les années 1870. Par exemple La Bande Graaft, publiée dans la presse en 1870 mais qui ne paraît en librairie qu’en 1880, et dont Le Monde illustré expliquait le 19 mars 1870 que 

c'est l'histoire d'une terrible association de malfaiteurs dont les crimes épouvantèrent Paris et la province."

Surtout, il y a deux ouvrages, Le Drame de la rue du Temple (1876, réédité par la suite sous le titre L’Affaire de la rue du Temple) et La Bande à Fifi Vollard (1880), ses deux plus gros succès, réédités chacun au moins deux fois. Le premier relate un crime réel qui eut lieu en 1838, et dont le créateur des Mystères de Paris lui-même s’était inspiré. L’auteur, selon Le Monde illustré :

a trouvé le moyen de faire neuf, et surtout intéressant. Ses personnages, dont les noms seuls sont des poèmes, ont l'air de dessins de Gavarni mis en couleur par Eugène Sue. Une des particularités du Drame de la rue du Temple, c'est une gaieté irrésistible émaillant les situations les plus poignantes et les plus dramatiques."

Le lecteur y fait connaissance avec un petit voyou, jeune mais débrouillard et impudent, Fifi Vollard.

Il paraissait à peine âgé de seize à dix-sept ans […] D'une extrême maigreur, les joues creuses, le teint livide, les cheveux d'un blond sale et roux, avec des épis partout, jaillissant çà et là, plus raides que des baguettes de tambour, et enfin une expression effrontée et cynique qui accentuait encore la laideur de chaque trait, tel était ce singulier personnage qui marchait d'un air insouciant, les mains dans les poches jusqu'au coude."

Parait en 1880 une sorte de suite, La Bande à Fifi Vollard (1880). Toujours le même personnage, amoral et astucieux, qui est à la tête d’une bande tournée vers le crime. A côté de peintures sanglantes, on y trouve des épisodes proches du loufoque. C’est ce mélange qui fait le prix de cet ouvrage. Le Pays pouvait écrire : 

Dans ce drame vrai, on voit succéder aux tableaux les plus sombres et les plus terrifiants des scènes pleines de comique, cette note si rare dans le roman moderne."

Même le sourcilleux censeur catholique, l’abbé Bethléem, pouvait parler, en 1928, de "La Bande à Fifi Vollard, fantaisie désopilante qui peut être lue par tout le monde".

Constant Guéroult, dessin, Nadar, 185.

Le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, écrivait en 1872, à propos de Constant Guéroult : 

C'est un habile metteur en scène, un artiste soigneux de son sujet, éprouvant à le développer une sorte de jouissance particulière dont le lecteur reçoit, pour ainsi dire, le reflet. Il s'ensuit que l'action, sous sa plume facile, se déroule sans fatigue et avec une sorte d'aisance. L'auteur met à conter un plaisir extrême, cela se voit ; il est sincère, cela se sent ; il vit de la vie de ses personnages, et, tout en marchant de péripétie en péripétie, leur communique le relief qui leur convient."

Mais il ne faut pas chercher de l’originalité chez Guéroult. Ses thèmes sont à la mode, donc partout, ses structures narratives se retrouvent chez beaucoup de ses confrères. Il utilise des images toutes faites, des lieux communs de la littérature. Par exemple, dans Aventures cavalières, recueil de nouvelles paru en 1878, les débuts de deux nouvelles , Le Calabrese et Le Roi des Aulnes, sont presque du copier-coller :

L'Adriatique étincelait comme une natte d'or sous les flots de lumière du soleil couchant. C'était l'heure où l'astre majestueux s'enfonce peu à peu dans le vide, comme un œil fatigué disparait sous sa paupière."

C'était par une soirée d'automne, le soleil venait de disparaître à l'horizon, et une lumière limpide, calme, harmonieuse, rayonnait sur la nature, dont les teintes adoucies prenaient un charme mélancolique sous cette pure et tranquille clarté."

Pas de renouvellement pour Les Vautours de Paris :

L’année touchait à sa fin, le vent soufflait sec et piquant, mais un beau soleil inondait les boulevards, le ciel était bleu, le jour radieux, le pavé blanc et intact comme les dalles d’une église."

On peut difficilement faire plus banal.

L'Affaire de la rue du Temple par Constant Guérout, affiche, Jules Despres, 1879

De même Guéroult utilise toutes les ficelles pour ajouter des lignes inutiles, puisqu’on payait les feuilletonistes à leur nombre, par exemple dans L’Affaire de la rue du Temple  :

Elle se mit à gravir l'escalier et s'arrêta au quatrième étage.
C'était le dernier !
C'était là qu'elle demeurait.
Le palier était plongé dans une obscurité profonde.
C'est avec une violente anxiété qu'elle posa la main sur sa porte."

Les facilités stylistiques abondent également, avec nombre de répétitions :

La femme de chambre, qui l'avait regardé faire, sortit brusquement en étouffant un éclat de rire. Fifi avait jugé à propos de quitter la livrée pour endosser l'habillement complet du fils de Bridoux, le concierge du vicomte, et, comme il lui allait fort mal, il était difficile de le regarder sans rire."

Parfois, peut-être en hommage à Eugène Sue, il utilise l’argot à tout-va :

- Maintenant avertis les zigs d'en bas. Qu'ils nous aident au plus vite, pour quitter le plancher des mufles, et décarrons jusque chez le fourgat, rue des Arcis. Haut et du lest !"

Constant Guéroult fut populaire en son temps. Le Grand Dictionnaire du XIXe siècle de Larousse, encore, pouvait écrire qu’

à mesure que son talent s’affermissait, qu’il gagnait en souplesse et en variété, M. Constant Guéroult se faisait une place parmi les romanciers les plus lus. Il est aujourd'hui un de nos écrivains populaires les plus distingués ; ses productions, recherchées des éditeurs de journaux, sont fort goûtées du public."

Il a été porté par la presse, et par son travail. Il avait bien compris son époque, et la traduisait dans son œuvre. Mais les temps ont évolué, pas ses romans ! Ils se sont retrouvés complètement obsolètes par rapport aux nouvelles générations. C’est le sort commun des écrivains caractéristique d’un moment, et qui n’ont pas la force de transcender leur présent : être totalement oublié après-coup. C’est ce qui est arrivé à Guéroult. D’ailleurs, il connut peu de rééditions, dont une en 1926 pour L’Affaire de la rue du Temple et La Bande à Fifi Vollard. Et c’est tout ! Mais on peut cependant le relire. Ce n’est pas du temps perdu, pourvu qu’on aime les mélodrames, l’action toujours présente, les intrigues embrouillées. Et souvent l’humour, qui est là, en filigrane.

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