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La poste pneumatique

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21 janvier 2021

"Ecoutez : un bruit rapide et acéré comme un sifflement de javelot vient d'y passer : c'est le chariot de cuivre chargé de dépêches qui franchit l'espace dans le tube du télégraphe pneumatique". Ainsi Maxime Vuillaume décrit-il en 1879 le bruit si particulier des tubes de la poste pneumatique.

Carte pneumatique de Claude Debussy à Paul-Jean Toulet, 1902. Pireneas.

La poste pneumatique n’est possible qu’avec la maîtrise de l’air comprimé. Le principe de la pression atmosphérique est connu depuis longtemps. La première invention utilisant de l’air comprimé, évoquée par E Ramée dans Les Merveilles de la locomotion est celle du fusil nommé "Aérotone" en 1561, mais c'est d'une époque plus récente que date son application au transport. L’idée est d’abord formulée au XVIIe siècle par Denis Papin et plusieurs expériences sont menées au XIXe siècle avant la réalisation, en France, d’un chemin de fer atmosphérique reliant Paris à Saint-Germain en 1847. En effet, comme le rappelle Louis Figuier dans les Merveilles de la science, le chemin de fer s’arrêtait au Pecq au pied de la colline que les locomotives à vapeur de l’époque ne parvenaient pas à franchir. Dans le même temps, l’utilisation de l’air comprimé comme agent moteur est également envisagée dans le transport de lettres, colis, messages, dépêches. Plusieurs brevets sont déposés à l’instar du "télégraphe pneumatique" de Werquin en 1848.

Chemin de fer atmosphérique dans Louis Figuier, Les Merveilles de la science, 1867

C’est à Londres en 1854 que Latimer Clarke fait installer un réseau de tubes dans lesquels le vide est produit, la pression sert à chasser ou aspirer les dépêches. Berlin s’équipe également en 1863. L’installation d’un réseau pneumatique a une finalité locale : il permet de relier plusieurs bureaux de poste entre eux à l’intérieur des grandes villes. La saturation du réseau du télégraphe électrique est une des raisons du développement de ce nouveau mode de communication, ainsi que l’explique en 1877 Paul Laurencin dans Le télégraphe terrestre, sous-marin, pneumatique. En effet, le bureau central de Paris, situé rue de Grenelle, réceptionne les télégrammes venant de toute la France et de l’étranger, doit ensuite les répartir dans les bureaux de poste parisiens. En 1865, la distribution des télégrammes est assurée, entre le bureau central et la Bourse, par un service de voitures légères à deux roues qui effectuent le trajet de 3 km en 12 minutes avec des départs tous les quarts d’heure. Ce mode de distribution est très contraignant.

Victor-Jean Nicolle (1754-1826), Place de la Bourse.

En 1866, à titre d’essai, une première ligne de tubes de 1050 m de long est réalisée entre la place de la Bourse et le Grand Hôtel, alimentée par de l’air comprimé obtenu grâce à la pression de l’eau de la Ville de Paris dans trois cuves en tôle, comme le décrit Louis Figuier.
Ce premier essai est un succès : Mignon et Rouart conçoivent alors un réseau plus complet passant par le bureau central de Grenelle. Une deuxième ligne double la première ligne au départ de la Bourse - établissement friand des nouvelles les plus fraîches - passe par la rue de Rivoli (dont l’Hôtel du Louvre) et la rue des Saint-Pères. Les travaux sont terminés en 1867 : le réseau, tel que présenté dans le plan de 1879 ci-dessous, reste quasi inchangé entre 1867 et 1879, exceptés quelques raccordements de bureaux. A cette date, on compte 71 km de lignes qui desservent 40 bureaux à Paris. Marseille s’équipe également d’un tube reliant la Préfecture à la Bourse.

Réseau pneumatique, 1876. Bibliothèques de la Ville de Paris

Le réseau est souterrain. Les canalisations des égouts, qui hébergent déjà depuis 1860 les fils électriques, accueillent également les tuyaux de la poste pneumatique. Les lignes sont établies avec des tuyaux d’abord en fonte puis en fer de 6,5 cm de diamètre, ainsi que le détaille Charles Bontemps en 1876. A chaque extrémité, dans les bureaux de poste, des appareils d’envoi et de réception des tubes prennent place : ils peuvent être installés horizontalement ou verticalement. Une trentaine de dépêches est placée dans une boîte cylindrique à double enveloppe, l’intérieur en fer, l’extérieur en cuir. Plusieurs boîtes numérotées et portant le nom du bureau destinataire sont placées les unes à la suite des autres dans le tube et forment un train. Prévenu par un jeu de sonneries  le bureau destinataire s’apprête à recevoir l’envoi, puis après réception et tri lors duquel les postiers ne conservent que les boîtes destinées à leur bureau, le train repart desservir le bureau suivant. C’est la manipulation des robinets à air comprimé qui permet l’arrivée ou le départ des cartouches.

Bureau de la poste pneumatique de la Bourse dans Louis Figuier, Les merveilles de la science.

La technique de production de l’air comprimé évolue également : en 1880, ce sont des machines à vapeur qui actionnent des pompes permettant de produire plus économiquement de l’air comprimé à la place de la méthode hydraulique. Huit ateliers de force motrice alimentent les lignes : Breteuil, Forest, Valmy, Poliveau, Saint-Sabin construits en 1879, Lauriston, Pajol en 1881, l’Hôtel des postes en 1887, principale usine. La vitesse de circulation dans les tubes est alors de 1 km/minute.

Machines servant au réseau pneumatique. Hôtel des postes dans La Nature, 1888. CNUM

En 1888, le réseau compte 200 km et couvre les limites administratives de Paris. Il s’étend progressivement à la banlieue parisienne au tournant du XXe siècle : les villes d’Asnières, Boulogne, Charenton, Saint-Denis, Saint-Mandé, Malakoff, Montrouge sont raccordées en 1907, celles d’Issy, Ivry, Montreuil, Puteaux, Vanves, Suresnes en 1910 et Gennevilliers, Nogent, Arcueil en 1911. Jean-Baptiste Berlier, qui s’intéressa par la suite aux projets de métropolitain, propose d’élargir le réseau et d’installer une liaison pneumatique entre Paris et Londres.
En 1934, à son extension maximale, le réseau de poste pneumatique compte 450 km de long. Le diamètre des tubes a été élargi pour augmenter le débit, tubes qui, en 1965, sont désormais en chlorure de polyvinyle. L’électricité a remplacé la vapeur comme énergie motrice.

Réseau pneumatique de Paris. 1926

Une autre modification importante est intervenue. Conçue pour la redistribution des télégrammes, la poste pneumatique s’impose bientôt comme un service postal destiné à envoyer des dépêches, des plis, des pneus qu’on nomme également « des petits bleus ». Dès 1879, l’utilisation des tubes est autorisée pour le public. A la différence du télégramme, le prix n’est pas fonction du nombre de mots mais le message doit être écrit sur des cartes-télégrammes, appelées par la suite cartes pneumatiques et cartes pneumatiques fermées ou sur des enveloppes spéciales de couleur bleue, ce qui explique le surnom de "petits bleus". Du 1er mai 1879 au 30 avril 1880, 743 565 dépêches sont ainsi envoyées par la poste pneumatique.

Le Monde comique, 1885.

Le principe du transport par air comprimé est également utilisé, en interne, dans les administrations à l'instar de la Bibliothèque nationale ou de  l'Hôtel de ville en 1957 ou dans les entreprises. "Les tubes pneumatiques sont aujourd’hui l’auxiliaire indispensable de tout établissement moderne" écrit en 1929, Jean Cail. Alors que la poste pneumatique périclite dans le dernier tiers du XXe siècle, dans les entreprises, le tube pneumatique perdure notamment pour le transport monétique.
Avec les pneus de la poste pneumatique, on prend des rendez-vous amoureux comme dans le film de Truffaut "Baisers Volés"ou professionnels, on s’adresse des vœux de bonne année. Les observateurs du début du XXe siècle indiquent cependant que ces nouveaux formats de communication imposent de "formuler brièvement la pensée". On écrit davantage, plus souvent mais plus rapidement, d’un premier jet.

Pour aller plus loin

Georges Rykner et Pierre Gobillot, La Poste pneumatique de Paris. Paris : "Le Monde des philatélistes", 1975

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