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Les rois guérisseurs

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20 juillet 2021

Depuis les Capétiens au début du XIe siècle, les rois de France étaient réputés investis du don de guérir les écrouelles  D’où tenaient-ils ce pouvoir ? Et y avait-il des résultats avérés ?

Représentation au naturel comme le Roy très-chrestien Henry IIII, Roy de France et de Navarre touche les escrouelles : estampe

D’après le moine Helgand, c’est à partir du  règne de Robert le Pieux, fils de Hugues Capet que cette pratique se transforma en un don héréditaire et on se transmit alors le secret de père en fils. Cette cérémonie du toucher royal attirant un nombre considérable de malades, il fut décidé de se limiter aux écrouelles. En Europe, on trouvait d’autres dynasties royales thaumaturges même si les maladies concernées différaient : En Angleterre le roi guérissait également la scrofule, mais aussi l’épilepsie, en Hongrie la jaunisse, et en Castille les possessions démoniaques.

The Royal gift of healing : gravure tirée de John Brown, adenochoiradelogia. London, 1864

Ce pouvoir de guérisseur était  l’apanage de la fonction royale.

C’était le fait d’avoir reçu l’onction au moyen d'une huile sacrée le jour de son sacre et donc de devenir l’oint du Seigneur qui permettait  au souverain d'être faiseur de miracles. D’ailleurs dès le lendemain du jour du  sacre à Reims, le souverain ainsi intronisé exerçait pour la première fois ce don.  Une fois sacré, le roi se rendait à  Corbeny près de Reims où se trouvait la tombe de Saint-Marcoul, patron des écrouelles. Il prenait la tête de ce dernier entre ses mains et à partir de ce moment il se trouvait investi du don de guérison.

La cérémonie des écrouelleux

Outre le jour du sacre, la cérémonie avait lieu 4 fois par an lors des jours saints à Pâques, Pentecôte, Toussaint et Noël. La population était avertie par les crieurs publics du jour et du lieu : d’abord dans l’antichambre au premier étage du palais royal, puis plus tard dans la grande galerie du Louvre en bordure de Seine. Les malades, pauvres et riches, accouraient  en masse de toutes les régions de France mais aussi d’autres pays, notamment de l’Espagne -  dont les ressortissants par tradition passaient en premier -  mais aussi d’Allemagne, d'Italie et d’Angleterre. Ensuite venait le tour des Français.

Henri II touchant les écrouelles. Extr. de Livres d'heures royaux

Les premiers médecins devaient examiner les treize pauvres convoqués le vendredi Saint afin que le roi leur lave les pieds. Même chose pour les scrofuleux qui  étaient d’abord  triés par un aéropage composé du premier médecin du roi ou archiâtre, du premier chirurgien du roi, des barbiers royaux. On ne retenait que les cas d’écrouelles et les malades étaient placés sur plusieurs lignes à genoux les mains jointes en prière. A ce propos, il est important de noter que le capitaine des gardes maintenait leurs mains dans cette position afin d’éviter tout geste attentatoire sur la personne royale tandis que l’archiâtre placé derrière le scrofuleux lui tenait la tête. Au préalable, le roi agissant en tant qu’intercesseur avait entendu la messe, s'était confessé et avait communié.
Il y avait un cérémonial codifié : avec sa main droite le roi touchait le visage du malade  et esquissait le signe de croix du front jusqu’au menton et d’une oreille à l’autre avec la formule consacrée : 

Le roi te touche, Dieu te guérit.

Comme le roi avait apposé ses mains nues sur les plaies de centaines de sujets, à la fin de la cérémonie, il était d’usage qu'il se lave les mains par trois fois avec une serviette imbibée de vinaigre, puis une deuxième serviette mouillée avec de l’eau salée et enfin, un troisième linge trempé dans de l’eau de fleur d’oranger.

Un mal contagieux

Il s’agissait  d’un mal contagieux dû à un manque d'hygiène. A partir du XVIe siècle on peut parler d’endémie en France, Angleterre et Espagne. C’est pourquoi en 1645 on décida d’isoler les scrofuleux dans l’hospice Saint-Marcoul à Reims alors que précédemment seuls les lépreux étaient enfermés.Les symptômes des écrouelles consistaient en des plaies suppurantes peu ragoûtantes sur la face et dans le cou dont il émanait une odeur fétide. Cette maladie caractérisée par l’inflammation des ganglions d’origine tuberculeuse était également connue sous le nom de scrofule : étymologiquement du nom latin scrofa, i.e. la truie, symbole de la saleté. Cette cérémonie était donc quelque peu éprouvante pour le roi et l’assistance du fait de l’odeur émanant des lésions et de la vision de toutes ces plaies suppurantes. De santé fragile, Louis XIII fut pris de malaises à plusieurs reprises pendant ces séances.

Un afflux croissant des scrofuleux

  • En 1610 Louis XIIIl aurait vu plus de 800 malades à l’âge de 10 ans en une seule séance et 1070 le 7 mai 1615.
  • François 1er en aurait vu en une journée de 1527 plus de 1500. 
  • Henri IV 1250 en un seul vendredi saint de 1608.
  • Louis XIV 2000 en 1696, puis trois mois avant sa mort alors qu'il est déjà atteint par la gangrène : 1800.
  • Louis XV le lendemain de son sacre 2000
  • Louis XVI dans les mêmes circonstances en une seule séance 2400 avec cinq guérisons déclarées.

Mais le doute commençait à s’immiscer...

Au XVIIIe siècle, époque des Lumières et du rationalisme, la formule consacrée changea et s’apparenta désormais plus à un souhait qu’à des certitudes  : 

Dieu te guérisse, Le roi te touche.

Sans surprise, cette coutume disparut à la Révolution. Par la suite, Louis XVIII s’y refusa, alors que Charles X son frère s’y prêta à nouveau le lendemain de son sacre en 1825 avec un petit score de 120 sujets  parmi lesquels cinq dont le chirurgien Dupuytren avéra la guérison. Ce fut la dernière cérémonie des rois faiseurs de miracles car comme l'a écrit Châteaubriant alors en disgrâce à la cour de Charles X :

Il n'y a plus de main assez vertueuse pour guérir les écrouelles, plus de sainte ampoule assez salutaire pour rendre les rois inviolables.

Comment expliquer les 2 à 3% de patients se déclarant guéris ? Sans doute du fait de l’émotion d’avoir été touché par le représentant de Dieu sur la terre. Dans son ouvrage La Grande chirurgie de Guy de Chauliac… composée en l’an 1363, le médecin (1290 ?-1368) en atteste. De même dans l'ouvrage la Chirurgie de Maître Jean Tagaut, ce dernier déclare :

Toutefois j'ose asseurer que le très chrestien Roy de France guérit les scrofuleux et malades des escrouelles  par le seul toucher de la main.

Selon le médecin d’Henri IV, professeur de médecine à Montpellier, André Du Laurens (1558-1609), c’est une question de foi : « si creduli et fideles sunt... ». Il témoigne avoir assisté à des guérisons immédiates ou en quelques jours. Fagon, premier médecin de Louis XIV en bon courtisan se contente de relater les séances dans le Journal de santé du monarque mais n’émet aucun jugement. Pendant le règne de Louis XV,  le célèbre chirurgien Dionis conseille aux malades de tenter un moyen spirituel si doux avant de se tourner vers la chirurgie - sans que l’on puisse connaître ses réelles convictions. Le baron Alibert, médecin de Charles X en 1832 consacra tout un chapître à ce mal dans son ouvrage Monographie des dermatoses. Or dans les différentes thérapeutiques, il n’évoque jamais de guérison miraculeuse obtenue par le don d’intercession des rois.

Le toucher des écrouelles, l'hôpital Saint-Marcoul, le mal du Roi / professeur L. Landouzy, 1907.

Dans les cas où la maladie persistait, les médecins souvent impuissants devant cette pathologie prirent l’habitude d’envoyer leurs patients dans certaines stations thermales. Le premier à inaugurer ce traitement fut le bâtard légitimé de Louis XIV et Madame de Montespan, le petit duc du Maine.
La scrofule désormais connue sous le nom de adénopathie cervicale tuberculeuse  chronique est une maladie dont les pustules et suppurations peuvent disparaître et guérir spontanément, puis réapparaître plus tard tout au long de l'existence. On peut donc évoquer un effet de suggestion dans ces cas de guérisons. De nos jours, on parlerait de psychosomatique.

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