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Olivier Baude : passionné de la langue française et des langues parlées en France

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20 mars 2023

Professeur des universités en sciences du langage, Olivier Baude explore la langue française, collecte la parole ordinaire sur les territoires et valorise ce patrimoine oral. Depuis un an, Olivier Baude et son équipe sillonnent les territoires de France dans un laboratoire mobile afin de réaliser un portrait sonore des pratiques langagières, dans la lignée des Archives de la Parole créées par Ferdinand Brunot au tout début du XXe siècle. En cette semaine de la langue française et de la francophonie, nous vous invitons à découvrir le portrait d'Olivier Baude, le projet Ecouter-Parler, et ses sources d'inspiration dans Gallica.
 
Olivier Baude et l'équipe du laboratoire mobile des langues du projet ECOUTER-PARLER (de g à d : Thomas Chrétien - Olivier Baude - Gérard Paresys - Guykayser)

 

Bonjour, pouvez-vous nous parler un peu de vous ?
Bonjour, je suis professeur d’université en sciences du langage à l’université de Paris Nanterre et actuellement en détachement au CNRS comme directeur de recherche.
Aujourd’hui, je dirige l’infrastructure de recherche (IR*) Huma-Num qui a pour mission d’accompagner les sciences humaines et sociales dans leurs pratiques numériques, notamment dans leur gestion des données de la recherche. C’est une expérience passionnante qui permet d’assister à un véritable tournant scientifique avec un travail conjoint de chercheurs, informaticiens et spécialistes de la documentation ainsi que des projets où dialoguent archéologues, géographes, linguistes, historiens… Les objectifs de préservation, partage et diffusion du savoir sont premiers dans cette démarche.
En parallèle, je continue mes propres activités de recherche en sociolinguistique sur les formes orales du français. J’ai toujours été fasciné par la diversité linguistique que nous entendons tous, tous les jours dans notre vie quotidienne, au travail, dans les transports, sur les marchés, ou tout simplement dans les familles. Plusieurs centaines de langues vivent sur le territoire français et chacune d’entre elles est parlée avec une très grande variabilité selon la région, les époques mais aussi les différents usages. C’est une richesse vécue par chacun d’entre nous dont nous n’avons pas réellement conscience, et nous manquons de travaux de recherche en ce domaine.
J’ai ainsi été responsable du projet des Enquêtes Socio-Linguistiques à Orléans et de l’Observatoire des pratiques linguistiques de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France - Ministère de la Culture. 

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Olivier Baude, professeur d'université en sciences du langage et collecteur de la "parole ordinaire"
 

Comment avez-vous découvert Gallica ? 

J'ai découvert Gallica au cours de mes recherches. Que ce soit en tant que curieux ou en tant que chercheur (mais est-ce différent ?), avoir accès de chez soi à des millions de document est fantastique. Sur ce point le numérique bouleverse totalement l’accès aux savoirs. Pour ma part, je suis devant Gallica comme un gourmand dans une chocolaterie !
Et c’est en faisant des recherches sur les premières enquêtes sur le français que je suis tombé sur les enregistrements des Archives de la parole. Ce fut un moment extraordinaire : j’ai pu écouter immédiatement des voix enregistrées sur des cylindres de cires puis les premiers disques au début du XXe siècle. On peut entendre Apollinaire déclamer Sous le pont Mirabeau, des discours politiques, la voix d'Alfred Dreyfus, mais aussi des locuteurs plus « ordinaires », de la vie de tous les jours de cette époque. C’est un témoignage unique du français et des langues parlées en France.
 


Ferdinand Brunot, directeur des Archives de la parole, préparant l'appareil d'enregistrement. Archives du département Son, vidéo, multimédia (DAV-4)
 

Il se trouve qu’à la même époque je travaillais sur un projet à l’université d’Orléans pour numériser l’Enquête Socio-Linguistique à Orléans réalisée dans les années soixante-dix. L’histoire de cette enquête est captivante.
A époque, une équipe franco-britannique qui voulait mettre au point une méthode innovante pour enseigner le français cherchait des enregistrements de français représentatif des pratiques de la vie quotidienne. Ils ont décidé de faire le portrait sonore d’une ville française moyenne. En 18 mois ils ont enregistré plusieurs centaines d’Orléanais, à la fois en les interviewant mais aussi en les enregistrant durant leurs conversations en famille, au marché, sur leur lieu de travail… Ce sont des documents uniques au monde.
Quarante ans plus tard, avec mes collègues du Laboratoire Ligérien de Linguistique de l'université d'Orléans, nous avons fait numériser ces enregistrements et nous les avons transcrits afin d’en assurer la conservation mais aussi le partage avec une communauté scientifique internationale. Nous avons ainsi construit un corpus numérique qui peut bénéficier des outils informatiques de traitements et d’exploration jusqu’à l’intelligence artificielle. Nous avons également refait une enquête comparable 40 ans après avec un nouveau portait sonore d’Orléans : cela nous permet d’étudier l’évolution de notre langue. 
La numérisation de documents qu’ils soient sonores ou textuels est de fait une révolution pour les pratiques scientifiques. L’informatique bouleverse les pratiques de recherche et les chercheurs peuvent contribuer également à conserver un patrimoine le partager et le rendre accessible au plus grand nombre. Ce défi me passionne et je me suis totalement investi dans des programmes où coopèrent le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur et le ministère de la Culture. A Orléans, une Unité mixte de recherche (UMR) qui associe les universités d’Orléans et de Tours, le CNRS et la BnF a été créée en 2012, et le CNRS et la BnF mènent depuis des projets d’envergure en ce domaine. Ainsi la BnF a pris en charge la conservation et l’accès à des archives de linguistes en partenariat avec une plateforme numérique du CNRS qui en permet l’accès pour des traitements scientifiques. 
Dans ce cadre, j’ai eu le plaisir de coordonner un ouvrage sur les corpus oraux, qui préfigurait le mouvement actuel pour une "science ouverte" qui s’appuie fortement sur la coopération entre les bibliothèques, la recherche et les outils informatiques.  
 
Pouvez-vous nous présenter le projet ÉCOUTER-PARLER et le Laboratoire mobile des langues ? 
ÉCOUTER-PARLER - le laboratoire mobile des langues est un projet très original qui s’appuie sur toutes les avancées dont nous venons de parler. C'est un projet du ministère de la Culture (Délégation générale à la langue française et aux langues de France) et du CNRS avec les partenaires du pacte linguistique Hauts-de-France et la Cité internationale de la langue française.

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Equipe du Laboratoire mobile des langues (de g à d : Thomas Chrétien, coordinateur du projet - Olivier Baude, responsable scientifique - Gérard Paresys, collaborateur du projet - Guykayser, artiste associé au projet)
 

Ce projet fait tout d’abord écho à celui des Archives de la parole débuté en 1911, et à son créateur, Ferdinand Brunot. Ferdinand Bunot est un linguiste qui, en découvrant la possibilité nouvelle apportée par les premiers phonographes d’enregistrer la parole, pensait que l’enregistrement non graphique du langage allait transformer notre savoir sur les langues. Il s’est donc lancé dans le projet d’une grande enquête afin d’aller partout sur le territoire pour enregistrer ses contemporains. 
 


Ferdinand Brunot et son équipe lors de ses enquêtes phonographiques de terrainArchives du département Son, vidéo, multimédia (DAV-5)
 

Pour se déplacer rapidement partout, il s’appuyait sur une autre invention, l’automobile et avait même imaginé une roulotte, composée de couchettes pour le linguiste et le mécanicien, et d’une chambre d’enregistrement. Ces enregistrements sont accessibles sur Gallica et toutes les archives -  y compris le dessin de la roulotte -  sont conservées et mises en ligne par la BnF, toujours sur Gallica.   

 


Projet de la roulotte d'enregistrement ("Les archives de la parole et les parlers de France", Paris Disques, 5 février 1912). Archives du département Son, vidéo, multimédia (DAV-3)
 

ÉCOUTER-PARLER - le laboratoire mobile des langues reprend cette idée en y associant les technologies actuelles et l’évolution des enjeux sociétaux et de recherche. C’est un petit camion qui sillonne les routes de France et qui transporte un laboratoire qui a trois fonctions : d’une part un dispositif sonore et des écrans permettent de faire découvrir les savoirs sur les langues notamment en naviguant dans Gallica, il se transforme ensuite en studio d’enregistrement pour permettre à tous les participants de contribuer au portait sonore de la France en confiant l’enregistrement de leurs voix et paroles, et enfin il est relié aux plateformes technologiques du CNRS pour permettre le traitements des documents collectés et leur versement à la BnF qui en assurera la conservation et un accès pérenne. Et pourquoi pas, intégrer ensuite ces enregistrements dans les collections de Gallica : la boucle serait bouclée !

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Olivier Baude et le camion du Laboratoire mobile des langues - projet ECOUTER-PARLER
 

L’originalité du projet ÉCOUTER-PARLER - le laboratoire mobile des langues est également d’avoir été conçu dans un dialogue entre arts et sciences. Un artiste, Guykayser, participe au projet depuis le début et une équipe de designer (autour de Ruedi Baur) intervient également afin que le laboratoire mobile soit un dispositif disponible pour de nombreux projets associant les chercheurs, des acteurs d’initiatives pédagogiques, culturelles et artistiques et le grand public. Ce projet est un élément du pacte linguistique entre l’État et la région Hauts de France et il associe les partenaires du pacte linguistique dont la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. 

Y-a-t-il un ou des documents dans Gallica qui vous marquent particulièrement ? 
Vous l’aurez compris, les Archives de la parole me marquent particulièrement. Gallicanautes, n’hésitez pas à aller voir et écouter l'enregistrement de 1912 du tapissier parisien Louis Ligabue qui découvre le son de sa voix et commente cet enregistrement.

 

Le discours inaugural des Archives de la parole par Ferdinand Brunot est également très intéressant à écouter ! Je conseille au sujet du tapissier parisien la lecture du billet de blog Gallica de Pascal Cordereix, spécialiste passionné et passionnant qui connaît tout de l’histoire des Archives de la parole, et aussi à titre plus personnel, car j’aime beaucoup Blaise Cendrars et Fernand Léger, ce billet blog de Gallica Les amitiés de Fernand Léger.

Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?
En 2023, nous faisons différents projets expérimentaux, notamment le projet Ondes avec l’artiste Guykayser avec des enregistrements sur le thème des conversations sur les cours d’eau. Nous allons à la rencontre des gens qui vivent le long de l’Ourcq en reliant Villers-Cotterêts à Paris. Nous commençons aussi des enregistrements sur les langues parlées dans la Région des hauts de France et un projet de lectures de livres à des enfants avec un réseau de bibliothèques. Enfin, partout, nous enregistrons des « cafés-conversations » pour conserver un témoignage des conversations de la vie quotidienne en France dans les années 2020. Nous invitons les gens à rentrer dans le camion, s’installer confortablement autour d’un café ou d’un jus de pomme et de confier leur conversation à notre laboratoire mobile.

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Le laboratoire mobile des langues : un lieu de science, de découverte et de convivialité, et ouvert à tous
 

Ces différents projets nous permettent de mettre au point et tester une chaine technologique de traitement des enregistrements : transcription automatique à l’aide d’une intelligence artificielle, annotation collaborative, catalogage, avec comme objectif de rendre ces documents accessibles à la BnF et aussi dans Gallica.
Le portrait sonore de la France, ainsi réalisé, sera également présenté dans le portail internet de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) afin d’illustrer la diversité linguistique en France et de mieux partager le savoir sur les pratiques linguistiques de nos contemporains. 

Merci à vous M. Baude pour cet entretien !

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Première ouverture au public du Laboratoire mobile des langues - 2022

 

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Vous aussi vous utilisez Gallica pour un projet qui vous tient à cœur et vous souhaiteriez en parler sur le blog Gallica ? N’hésitez pas à nous contacter à gallica@bnf.fr en mentionnant "Billet Gallicanautes" dans l’objet de votre message.
 

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