Alexandra Bay, gallicanaute tatouée
Le blog de Gallica interview aujourd’hui Alexandra Bay, gallicanaute passionnée par le tatouage, autant en théorie qu’en pratique. Elle nous explique son parcours et son utilisation de Gallica.
Bonjour, pouvez-vous nous parler un peu de vous (activité professionnelle et/ou recherches personnelles) ?
Bonjour, je m'appelle Alexandra Bay, je suis une passionnée de tatouage. Je me suis fait tatouer pour la première fois à l'âge de 17 ans, en 1995. Fascinée par la pratique, j’ai même entrepris deux apprentissages, mais être juste une passionnée de tatouage me convient bien. Depuis 2006, je m'intéresse beaucoup à l'aspect historique de cette culture. J’ai écrit sur plusieurs blogs, puis j’ai créé le mien, qui s’appelle Tattow Stories. Tatouage Magazine m’a proposé d’écrire des articles pour les dossiers culture et ethno. Cela me permet d’explorer à fond l’histoire du tatouage.
Comment votre blog, Tattow Stories, est-il né ?
J'ai écrit des articles pour plusieurs blogs sur le tatouage, mais ils ne me correspondaient pas. Alors, j'ai eu envie de créer mon propre blog axé sur l'histoire de la pratique. Puis, j'ai édité une version papier, le fanzine Tattow Stories. J’ai commencé avec un dossier sur le traditionnel Américain. Pour le deuxième numéro, j’ai interviewé Carmen Nyssen, arrière petite nièce de l’illustre Bert Grimm, tatoueur au 20e siècle. Par ailleurs, en 2013, j’ai aussi créé un fanzine consacré à l’art du tatouage et axé sur l’univers créatif des tatoueurs : Free Hands Fanzine. On va sortir le cinquième numéro.
Quand et comment avez-vous découvert Gallica ?
Lorsque j'ai interviewé Camille pour un "portrait de tatoué(e)", elle a évoqué le tatouage des prostituées. Elle m'a parlé de ce livre et m'a dit qu'on pouvait le trouver sur Internet. J'étais très étonnée, car je ne pensais pas que cela était possible. En faisant des recherches, je suis tombée par hasard sur le site de Gallica. J'ai pu prendre connaissance du mémoire des Professeurs Leblond et Lucas.
Comment utilisez-vous Gallica dans le cadre de vos recherches ?
Ce serait présomptueux de parler de recherches. Par contre, je récupère tous les documents traitant du tatouage sur mon disque dur. Je lis au fur et à mesure ces mémoires ou thèses, ainsi que les coupures de presse. Mon profond désir est de rédiger un mémoire sur l'histoire du tatouage en France. En attendant, je continue de stocker tous les écrits que je peux. Et Gallica est une vraie source d'inspiration.
On trouve dans Gallica des traités d’études anthropologiques et médico-légales du tatouage de la fin du XIXe siècle, qui, dans le but de surveiller une population marginale (criminels, prostituées), se penchent sur ses tatouages. Comment ces documents vous permettent-ils de retracer l’histoire du tatouage ?
J’ai beaucoup aimé votre article à ce sujet !
Hormis le milieu médico-légal ou pénitencier, en cette fin du 19e siècle, il semble que le tatouage en France n’intéresse pas les scientifiques au point d’écrire à ce sujet. Il suffit de lire cet article très ironique sur le professeur Berchon.
Loin de l'anthropologie criminelle, Berchon consacre un mémoire sur la pratique du tatouage en 1886 Discours sur le but et les origines du tatouage puis sur Le Tatouage aux îles marquises. Lacassagne rédige aussi un mémoire sur La signification des tatouages chez les peuples primitifs et dans les civilisations méditerranéennes en 1912. S'ils permettent de retracer une pratique du tatouage aussi ancienne que l’antiquité, pour autant, c'est compliqué de retracer une histoire du tatouage précise en France. Les écrits de médecine permettent surtout de connaître les motifs, les techniques et pigments utilisés. Grâce aux coupures de presse, on comprend également la façon dont la société française percevaient le tatouage et les tatoué(e)s.
Dans le même temps, à Londres par exemple, des aristocrates se font aussi tatouer : est-ce un cas isolé ? Quand et de quelle manière le tatouage se démocratise-t-il ?
Cet article traite aussi de la mode londonienne et du tatouage français avec une certaine ironie. C’est très amusant de voir que le tatouage est toujours à la mode dans les articles de presse, même en 2018 ! C’est un titre d’article qui revient régulièrement, le tatouage est à la mode ou est un nouveau phénomène de mode, etc… Aussi, le terme de démocratisation revêt toute son importance. Est-ce que c’est proportionnel au nombre de tatoué(e)s d’une population ? Est-ce que ça touche tous les secteurs professionnels ? Est-ce que cela concerne le regard de la société sur ses tatoué(e)s ? C’est une vraie question et je pense que je ne suis pas suffisamment spécialiste pour affirmer que le tatouage s’est démocratisé précisément à telle ou telle période. On parle des années quatre-vignt-dix, mais on parle aussi des années 2000. Plus le temps passe et plus il s’intègre dans notre société. L’aspect anti-social ou marginal de cet acte a disparu, devenant un objet de consommation. Par contre, lire l’article de presse de Touche à tout magazine en 1912 m’a permis de comprendre une chose. Le journaliste dit ceci "Mais alors qu’en France la pratique du tatouage semble tombée dans le vulgaire, le tatoueur, en Angleterre, en Amérique, en Océanie, aux Indes et au japon, est, plus que jamais, un véritable artiste." J’imagine que cette perception du tatouage "vulgaire" en France a peut-être joué dans sa non-démocratisation au sein de la société, au début du 20e siècle.
Vous effectuez des recherches sur le tatouage, mais vous êtes également tatouées. La bibliothèque numérique Gallica est-elle aussi une source d’inspiration pour des tatouages ? Les fonds dans lesquels vous puisez l’inspiration diffèrent-ils alors beaucoup de ceux utilisés dans le cadre de vos recherches, ou y a-t-il des recoupements ?
Je suis plutôt une collectionneuse. Je me fais tatouer par des artistes dont j’admire le trait, cela implique de leur laisser une entière liberté lorsqu’ils me tatouent. Par contre, ce que je trouve intéressant, c’est d’utiliser les fonds patrimoniaux comme source d’inspiration. La bibliothèque de Bordeaux a fait ce projet en accord avec des tatoueurs locaux. Dans les archives, ils ont choisi ensemble un certain nombre de dessins libres de droits pour les tatouer à prix raisonnable. Et la bibliothèque Alexis de Tocqueville a proposé la même démarche en septembre dernier. Peut-être qu’un dessin issu du livre sur les prostituées pourrait m’intéresser. Une façon de rendre hommage à ces femmes qui ont subi une grande pression patriarcale.
A l’occasion du Mondial du tatouage, le blog Gallica a proposé à ses lecteurs en quête d’inspiration quelques motifs, anatomiques, géométriques, ou floraux. Et vous, y a-t-il d’autres documents Gallica que vous auriez envie de suggérer ?
Un tatouage est une démarche très subjective d’un point de vue esthétique. J’aime les planches anatomiques ou botaniques. J’aime beaucoup les vanités, cela peut être un projet intéressant de tatouage. Et j’adore les gravures de Gustave Doré pour illustrer L'Enfer de Dante Alighieri. Je trouve que ça irait très bien sur mon dos. Il y a une finesse dans le travail des ombres et lumières, c’est exceptionnel. Il y a beaucoup de tatoué(e)s qui se faisaient encrer des tableaux comme Emma De Burgh qui avait La Cène de Léonard de Vinci dans son dos.
Quelles nouveautés seraient susceptibles de vous aider dans vos recherches ?
J’aimerais recevoir une newsletter sur le tatouage avec les mises à jour régulières. J’imagine que cela est peut-être compliqué à mettre en place. Je consulte régulièrement Gallica et je suis ravie de voir que vous proposez désormais des suggestions de consultation. Vous avez aussi ajouté des sources d’archives comme l’ENAP, etc.. Et j’ai également adopté deux livres sur le tatouage. Je trouve ce concept très intéressant !
Une anecdote au sujet d'un document découvert dans Gallica ?
Lorsque j'ai commencé à effectuer des recherches sur le tatouage dans les articles de presse du début du 20e siècle, j'étais particulièrement étonnée de voir des titres sur la nouvelle mode du tatouage.
Quels sont vos projets prochainement ?
Je suis en train d’écrire un article sur le tatouage en Espagne et j’ai justement trouvé des informations sur Rafael Salillas. Il a rédigé également des écrits dans le domaine de l’anthropologie criminelle. Son livre El Tatuaje est introuvable et j’aurais adoré le retrouver sur Gallica :-).
Et côté tatouages ?
Je pars au Japon en décembre et je vais me faire tatouer à Kyoto pour mon anniversaire. ! Je pensais à un yokai car la "mythologie" de ces esprits m’intéresse. Je vais me faire tatouer Tsuchigumo, issu du livre de Shigeru Mizuki, le jour même de mes 40 ans.
Le mot de la fin ?
J’espère que Gallica continuera de s’étendre encore et encore, me surprenant toujours avec de nouveaux documents inédits sur le tatouage.
Vous aussi vous utilisez Gallica pour un projet qui vous tient à cœur et vous souhaiteriez en parler sur le blog Gallica ? N’hésitez pas à nous contacter à gallica@bnf.fr en mentionnant "Billet Gallicanautes" dans l’objet de votre message.
Ajouter un commentaire