Tatouages criminels
A l'occasion de l'exposition "Tatoueurs, tatoués" au musée du Quai Branly, Gallica vous propose un éclairage sur un sujet d'étude méconnu du XIXe siècle : l'analyse des tatouages criminels.
Coeur ailé et poignardé, tatoué sur la poitrine d'un récidiviste (BU Santé)
Gallica rassemble un grand nombre de sources concernant l'histoire de la criminalité, la criminologie ou encore l'anthropologie criminelle du XIXe siècle. De récentes recherches révèlent que l’illustration avait un poids important dans la rhétorique scientifique de cette période, en raison, notamment, de l’émergence des nouvelles technologies de vision scientifique (la photographie, la radiographie) et des progrès technologiques dans la production et la reproduction de l’image. Prenons comme exemple les nombreuses représentations de tatouages qu’on trouve dans les manuels criminologiques.
Le fameux L'Homme Criminel (1887) du criminologue Cesare Lombroso relaie l'idée d'une criminalité innée, ancrée dans la biologie des individus dits « criminels-nés ». Parmi tous les signes listés et décrits d’un tel individu (la taille du champ de vision, la forme des traits du visage...), le tatouage est décrit comme « le signe caractéristique du criminel ».
Cet ouvrage n’est pas le seul à faire un tel constat. Il s'inscrit dans un important engouement pour le tatouage au sein de la littérature criminologique qui se développa entre 1875 et 1910. Pendant cette période, on voit une augmentation significative du nombre d'ouvrages publiés chaque année sur ce sujet, la plupart proposant une lecture du tatouage censée repérer une identité « criminelle » considérée comme biologique, indélébile et innée.
En France, le soigneux recensement de tatouages des criminels fait par Alexandre Lacassagne est l’exemple le plus connu. Ayant relevé plus de 2 500 tatouages de détenus, Lacassagne les catégorise par thème (inscriptions, professionnels, amoureux ou érotiques…). Pour lui, « le tatouage est un précieux signe d’identité » ; il les appelle « des cicatrices parlantes ».
Grâce à Lombroso et Lacassagne, publier des analyses ou recensements de « tatouages criminels » est devenu une pratique commune dans le milieu médical. La majorité de ces textes ont été écrits par des médecins pénitentiaires qui avaient des contacts quotidiens avec les corps tatoués des détenus dont ils avaient la charge. Pour la plupart d'entre eux, ces études sur les tatouages furent les seuls écrits qu'ils publièrent ; comme beaucoup de « savants » du XIXe siècle, ils étaient des praticiens, pas des universitaires.
Les criminelles étaient également concernées. Du tatouage chez les prostituées (1899) des docteurs Albert le Blond et Arthur Lucas, par exemple, reproduit les tatouages des prostituées, chacun accompagné d’un court texte sur la porteuse, tel que :
« Nommée D., couturière (fille publique). Agée de 22 ans. Formée à 13 ans. Détournée de ses devoirs à 15 ans. Père et mère vivant ensemble. »
Souvent, ces auteurs attribuaient les tatouages des criminels à leur « nature primitive ». Lombroso, par exemple, constate que cet excès d'expression graphique qui pousse les criminels à se tatouer est le résultat de l'atavisme, la réapparition de caractères latents depuis plusieurs générations. Selon une telle théorie, cette « graphomanie » forcerait les criminels à communiquer de manière hiéroglyphique et symbolique comme des « primitifs ». Lacassagne, quant à lui, constate plutôt que le langage emblématique (dont le tatouage) est indispensable chez les natures primitives pour matérialiser la pensée. « C’est pour cela, » résume-t-il, « que le tatouage se rencontre surtout chez les simples qui sentent et éprouvent d’autant plus vivement qu’ils ont moins d’idées » (Alexandre Lacassagne, Etienne Martin, Précis de médecine légale).
Patricia Bass, chercheuse associée au département Sciences et techniques
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