Très marqué par le travail de critique d’art de
John Ruskin et par l’esthétique prônée dans ses ouvrages, Marcel Proust se lance dans la traduction de deux de ses livres :
La Bible d’Amiens (1884) en 1904 et
Sésame et les Lys (1865) en 1906, pour lesquels il rédige de longues préfaces :
Dans
La Bible d'Amiens, Ruskin revient sur l’histoire du christianisme en Europe et fustige la restauration de la cathédrale qui en a modifié l'aspect initial. Il étudie également l’iconographie de la façade de la cathédrale, qu’il nomme « la Bible d’Amiens ».
Robert de La Sizeranne sera le premier à décrire l’esthétique de Ruskin en France :
C’est lors d’un voyage à Venise que
John Ruskin avait noté que la ville se dégradait du fait du délabrement mais aussi de restaurations peu respectueuses des architectures initiales. Ce voyage est à l’origine du deuxième tome de ses
Modern Painters: their Superiority in the Art of Landscape Painting to the Ancient Masters. Son voyage en Italie, outre son intérêt pour les musées et le patrimoine, se double d’un attrait pour les monuments romans et gothiques. De retour en Grande-Bretagne, Ruskin participe à la mode du
Gothic Revival. Durant l'été 1848, il visite la cathédrale de Salisbury et des églises en Normandie. L’ouvrage
The Seven Lamps of Architecture (1849) s’oppose aux conceptions de l'architecte
Viollet-le-Duc, pour qui l’architecture doit former un tout homogène. Selon Ruskin, le monument architectural est un ensemble organique qu'il faut soutenir au risque de le laisser mourir, plutôt qu’en le restaurant sans le respecter. Quant à
Stones of Venice, l’ouvrage devient une référence incontournable pour les peintres préraphaélites
William Morris et
Edward Burne-Jones ainsi que pour
John Everett Millais et
William Holman Hunt. Dans ses ouvrages, Ruskin dénonce la société industrialisée de son époque qui s'accompagne d'une grande pauvreté et défigure les cités sous l’effet d’une l'industrialisation à outrance. Il vise à promouvoir l'éducation artistique, à défendre l'artisanat plutôt que la production de biens à grande échelle et s’inspire de la société médiévale et de ses valeurs.
Dans Sésame et les Lys, Ruskin évoque l'importance de la lecture, ainsi que l'éducation des jeunes filles. Il revient aussi sur la place des femmes dans l'œuvre de William Shakespeare et de Walter Scott. Dans la préface de sa traduction de Sésame et les Lys, intitulée Sur la lecture, Proust évoque ses lectures d'enfance :
Marcel Proust, « Sur la lecture », préface de John Ruskin, Sésame et les lys : des trésors des rois, des jardins des reines, traduction, notes et préface par Marcel Proust, Paris, 1906
Marcel Proust, « Sur la lecture », préface de John Ruskin, Sésame et les lys : des trésors des rois, des jardins des reines, traduction, notes et préface par Marcel Proust, Paris, 1906
Comme John Ruskin ou
Henry James, et de nombreux artistes et écrivains qui suivent la route du Grand Tour, Marcel Proust voyage à Venise en mai 1900 et séjourne à l’hôtel de l’Europe, situé dans le Palais Giustiniani, non loin de la place Saint-Marc. Il admire le patrimoine architectural de la ville et les méandres de ses «
calle » en lisant
Le repos de Saint-Marc : histoire de Venise pour les rares voyageurs qui se soucient encore de ses monuments de Ruskin. À Venise, Proust retrouve son cercle parisien, autour de
Reynaldo Hahn, qui composera «
Venezia », un cycle de sept chansons dont les paroles s’inspirent du dialecte des gondoliers. Il visite la
Basilique Saint Marc, l’Accademia, la
Scuola San Giorgio degli Schiavoni, où il admire les peintures de
Carpaccio, tout en s’imprégnant de l’esthétique ruskinienne :
Or la Venise décrite par Marcel Proust dans la Recherche résulte de la combinaison de ses souvenirs, de ses rêves et réminiscences d’une ville parcourue et surtout rêvée :
La Venise de Proust, si elle est vécue à travers le prisme de ses lectures, et notamment des Pierres de Venise de Ruskin, n’en est pas moins métamorphosée par son écriture, qui la mêle aux souvenirs et aux perceptions d’autres villes, comme Combray :
C’est donc imprégné des lectures de l’esthète britannique que Proust instaure une forme de pensée créatrice inédite dans son écriture :
À travers la traduction de Ruskin, l’écrivain s’initiait déjà à la forme future de son œuvre, qui offre une place importante aux principes sur l’art qui lui ont été transmis par le philosophe et sociologue anglais. Le 27 janvier 1900, quelques jours après la mort de John Ruskin, Marcel Proust publie dans
La Chronique des Arts un article nécrologique et visite la cathédrale de Rouen :
Le 13 février de la même année,
Le Figaro publiait « Pélerinages ruskiniens en France » de Marcel Proust, dans lequel était annoncée la traduction prochaine de
Pierres de Venise, comme un hommage à l’esthète britannique :
Pour aller plus loin :
Ajouter un commentaire