Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Le Colosse de Goya, estampe rare et mystérieuse

0

Le département des Estampes et de la photographie conserve l’œuvre imprimé de Francisco de Goya dans sa quasi complétude (eaux-fortes et lithographies), souvent en plusieurs épreuves. 

"El coloso", estampe de Francisco de Goya, (Épr. d'état), 1818

Au sein de cet ensemble exceptionnel de quatre-cent-quarante pièces, la planche intitulée Le Colosse [El Coloso] retient l’attention par sa beauté et sa singularité. La technique utilisée par Goya pour cette gravure, la date de son exécution, le nombre d’épreuves tirées, mais surtout son sujet, tout concourt au caractère énigmatique du Colosse.

 
Cette estampe représentant un géant assis de dos a été imprimée à un nombre très limité d’exemplaires. Une mention figurant au verso de l’épreuve conservée à la BnF (« Por Goya, despues de tiradas 3 preubas se rompió la lamina ») précise qu’elle n’aurait été tirée qu’à trois exemplaires, le cuivre s’étant brisé après le troisième tirage. En fait, six épreuves sont actuellement conservées dans les collections publiques : à la Bibliothèque nationale d’Espagne à Madrid, à la Fondation Goya de Saragosse, au cabinet des Estampes de Berlin, au Metropolitan Museum de New-York, au Museum of fine arts de Boston et à la Bibliothèque nationale de France.
La documentation sur l’histoire de cette œuvre se réduit à une mention dans une lettre du petit-fils de Goya, Mariano Goya (conservée au British Museum), qui signale la présence dans une armoire de la « Quinta del Sordo » (« Domaine du sourd »), une maison située en périphérie de Madrid, où Goya a habité entre 1819 et 1832, parmi d’autres œuvres, d’« un géant dont la plaque a été brisée ».

Les catalographes de l’œuvre gravé de Goya ont hésité sur la technique utilisée tant est surprenant l’effet pictural restitué par le graveur. Considérée comme une manière noire par Tomás Harris en 1964, elle avait été qualifiée de « gravure à la fumée » lors de son exposition, en 1935, à la Bibliothèque nationale. Cet étrange sfumato résulte en réalité d’une aquatinte brunie. La technique de l’aquatinte était familière à Goya qui l’avait largement utilisée dans la suite des Caprices [Los Caprichos] publiée, en 1799, à Madrid. Cependant l’effet inédit de coups de pinceau a été obtenu par le passage d’un brunissoir sur la plaque, après l’étape de la morsure, afin de faire apparaître des blancs.
 
Modèle du peintre-graveur, Goya abolit les frontières entre son œuvre peint et son œuvre gravé tant sur le plan technique qu’iconographique. Ce géant nu, barbu, qui semble assis sur l’horizon, doit être rapproché d’un autre Colosse, peint celui-ci, conservé au musée du Prado, à Madrid, dont l’attribution à Goya ou à un collaborateur divise les spécialistes.

Cette toile, qui représente un géant hirsute derrière une montagne tandis qu’un peuple en déroute occupe le premier plan, donne la clef d’interprétation de l’iconographie de notre titan gravé. Il serait l’allégorie de la résistance espagnole au moment de l'invasion de la péninsule ibérique par les troupes napoléoniennes entre 1808 et 1814. Les deux géants sont contemporains des Désastres de la guerre, une suite d’eaux-fortes dans laquelle Goya dénonce les « conséquences fatales de la guerre sanglante en Espagne avec Bonaparte ». La planche 37 en particulier, Ceci est pire [Esto es peor], fait écho au Colosse gravé à l’aquatinte.
 

Dans cette scène de massacre, dont Goya a été le témoin, le dessin de l’homme, aux bras coupés, empalé sur un arbre et vu de dos, puise à la même source plastique. L’anatomie sculpturale et le visage barbu sont empruntés à la fois au Torse du Belvédère et au groupe sculpté du Laocoon, deux antiques confisqués au Pape par l’armée napoléonienne. Les interprétations gravées, qui circulaient avant leur restitution au Vatican en 1815, ont pu inspirer le graveur espagnol.
 

 Voir aussi 

La page des Sélections de Gallica consacrée à Francisco de Goya et le billet de blog consacré à son oeuvre à la BnF
Tous les billets de la série "Trésors de Richelieu"

Pour aller plus loin 

Roland Béhar, «Goya: le corps profané, ou la rupture du modèle classique », Atlante. Revue d’Études Romanes, 6, 2017, p. 119-143.
Tomás Harris, Goya: engravings and lithographs, San Francisco, A. Wofsy fine arts, 2001
Jesusa Vega, «La técnica artística como método de conocimiento, a propósito de El Coloso de Goya», dans  Goya : Revista de arte, nº 324, 2008, p. 229-244.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.