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Zola censuré : l’épreuve du feuilleton

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Au XIXe siècle, il est commun de publier les romans en feuilleton dans un journal, avant de les faire paraitre en volume. Émile Zola ne fait pas exception, et livre les Rougon-Macquart à la presse, c’est-à-dire en premier lieu, à la précensure des directeurs.

Affiche pour la publication de Pot-Bouille.

Les directeurs de journaux ont l’habitude de modifier le texte des romans avant de les publier sous forme de feuilleton. Les raisons de cette précensure (autrement dit, censure avant publication) sont à la fois économiques (il faut conserver et accroitre le public des abonnés), politiques (le journal se ménage les faveurs des institutions) et juridiques car il s’efforce de ne pas enfreindre la loi de 1819 (loi de presse plutôt libérale), qui vise à prévenir « tout outrage à la morale publique et religieuse ou aux bonnes mœurs » (article 8 du 17 mai 1819).

André Gill, L’Éclipse, 1874.

Une image de la censure est représentée ci-dessus par André Gill : Madame Anastasie, munie de ciseaux et accompagnée d’une chouette, symbole d’obscurantisme 

Lorsque le journal reçoit le manuscrit d’un écrivain, le directeur le relit et traque l’immoralité. Les manuscrits de Zola affichent parfois des ratures de couleur bleue, désignant les passages à soustraire aux yeux des abonnés. Ces modifications, dont l’enjeu n’est pas littéraire, altèrent le texte original.

Manuscrit préparatoire du Ventre de Paris.

Zola écrit ainsi à son confrère Ludovic Halévy, le 24 mai 1876 :

Si j’osais, avant de publier un feuilleton, je mettrais une annonce ainsi conçue : « Mes amis littéraires sont priés d’attendre le volume pour lire cette œuvre. »

Si l’auteur doit céder quant au feuilleton, il reprend ensuite le contrôle de son texte pour la publication du volume. À cet égard, la méthode de Zola est sensiblement la même pour les neuf premiers romans des Rougon-Macquart. Il envoie d’abord son manuscrit à la presse qui, après des coupes potentielles, le publie en feuilleton. Il se livre ensuite à une manipulation précise, décrite par son ami Paul Alexis dans Le Figaro du 15 février 1880 :
 

À mesure que les feuilletons paraissaient, Zola les découpait, séparait les unes des autres les six colonnes du feuilleton, et collait chaque colonne à l’angle d’une feuille de papier à copie ordinaire, de manière à conserver une large marge blanche pour les corrections.

Sur le feuilleton ainsi transformé en épreuve typographique (on désigne ainsi la feuille d’impression sur laquelle l’auteur effectue les dernières modifications avant la publication), Zola rétablit à la main les passages censurés.

Manuscrit censuré du Ventre de Paris

 

Texte rétabli par Zola sur l’épreuve du Ventre de Paris

Outre ces rétablissements, Zola se livre à d’autres modifications, permises par le recul critique que donne l’imprimé : le texte confié à Charpentier pour l’édition en volume sera donc différent de celui du manuscrit et de celui du feuilleton.

Le feuilleton est un espace de contraintes : en plus de la précensure, il est aussi susceptible d’être interrompu de façon provisoire ou définitive ; Zola en a fait l’expérience en 1872, au moment de La Curée, puis en 1876, pour L’Assommoir. Si l’auteur des Rougon-Macquart reste fidèle au feuilleton, c’est parce qu'il est, malgré tout, indispensable à la vie littéraire. Il écrit ainsi, dans « L’argent dans la littérature », chapitre du Roman expérimental (1880) :

Les débutants ont tort de crier contre les feuilletonistes, car ceux-ci ne bouchent en réalité aucune voie littéraire ; ils se sont créé un public spécial qui lit uniquement les feuilletons, ils s’adressent à ces lecteurs nouveaux, illettrés, incapables de sentir une belle œuvre. Dès lors, il faudrait plutôt les remercier, car ils défrichent les terrains incultes, comme les journaux à un sou qui pénètrent jusqu’au fond des campagnes

Moins cher et plus répandu que le livre, le feuilleton a pour vocation d’apprivoiser le public et ainsi d’étendre le lectorat naturaliste. Zola, feuilletoniste censuré, affirme tout de même fermement les pouvoirs d’une littérature républicaine.

Par Hortense Delair
Doctorante à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle

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