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Ouvrons les « canards sanglants » !

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17 septembre 2021

Suite à un premier billet sur les « canards criminels », découvrons quelques exemples de faits divers relayés par ces publications, en écho aux collections exposées par le département Droit, économie, politique, presse, dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine 2021.

Le crime de Monaco, la malle sanglante, Paris, L. Baudot, 1907 (numérisé grâce à un don anonyme)

 

Le crime de Monaco, la malle sanglante : la femme assassinée et coupée en morceaux (1907)

Les faits sont les suivants… En Août 1907, une découverte macabre est faite en gare de Marseille. Le corps d’Emma Levin, riche veuve suédoise, est trouvé dans une malle. Les époux Goold, vivant à Monaco, sont soupçonnés. Leur procès aboutit, en décembre, à la condamnation à mort de l’épouse, instigatrice du meurtre. Elle est ensuite graciée et sa peine commuée en réclusion à perpétuité. Le mari est, lui, condamné aux travaux forcés à perpétuité, et envoyé au bagne de Guyane, où il meurt en 1909.

Le crime de Monaco, la malle sanglante, Paris, L. Baudot, 1907 (numérisé grâce à un don anonyme)

 Il est aisé de se documenter sur cette affaire crapuleuse, dont la presse de l’époque relate les avancées au quotidien, de la découverte du crime au verdict, et de s’assurer de la véracité du récit fait par ce canard. L’exemple suivant est plus mystérieux…

Le crime de Sombre-Morte (1909-1911)

Le lieutenant Paullardi et son ordonnance Smith sont frères de lait et inséparables. Lorsque Smith découvre l’infidélité de l’épouse de Paullardi, il tue l’amant, pour défendre l’honneur de son ami. Traduit en conseil de guerre, il ne veut avouer les motifs de son geste et, sans cette circonstance atténuante à l’époque, est condamné à mort. Paullardi empêche l’exécution in extremis, après avoir découvert le pot-aux-roses… Une amitié indéfectible, des sentiments nobles - qui conduisent, certes, à la mort d’un homme -, une histoire qui se termine bien, pour Smith tout au moins !… Mais aucune trace de l’affaire dans la presse contemporaine ! Faits, lieux et personnages semblent imaginés de toutes pièces. Ce canard se conformerait-il à d’autres définitions données au terme, déjà au XIXe siècle : « Fausse nouvelle. - Récit mensonger inséré dans un journal » (Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique de l'argot parisien…, 1872) ? Le fait est confirmé par un spécialiste. Ce canard est bel et bien mensonger. Pour autant, on ne doit pas en déduire que ces canards véhiculent habituellement des récits fictifs, car le cas est isolé.

Le crime de Sombre-Morte, Paris, L. Baudot, 1909-1911

 Sur la forme, les deux canards sont assez semblables. De format in-folio, composés donc de quatre pages, ils comportent une illustration en couleurs en une, d’autres en noir et blanc ensuite. Ils ne manquent pas de proposer, en dernière page, une complainte à chanter sur l’air  de la Paimpolaise, pour l’affaire de la malle sanglante, sur celui de Béranger ou La Valse des Adieux pour le crime de Sombre-Morte. Le parolier de la première est Léon Bonnenfant, tandis que la seconde est anonyme. Un même éditeur pour ces deux documents : Léon Baudot, ce qui explique en partie la similitude de forme.

Le Courrier de Lyon (1870)

C’est d’avril 1796 que datent les faits criminels. La malle-poste de Paris à Lyon est attaquée. Les malfaiteurs assassinent le postillon et le courrier, et emportent un butin substantiel. Aux termes de l’enquête, trois hommes sont guillotinés le 30 octobre suivant. La culpabilité de l’un d’eux, Joseph Lesurques, interroge encore aujourd’hui. Un autre homme lui ressemblant a effectivement été condamné ensuite : Dubosq. Les recours exercés par la famille  Lesurques jusqu’en 1868, pour obtenir sa réhabilitation, n’aboutiront pas. En effet, une révision n’était possible, que si deux arrêts étaient inconciliables et contradictoires, la culpabilité dun accusé entraînant linnocence de lautre (selon l’article 443 du code dinstruction criminelle). Or les arrêts condamnant Lesurques comme assassin, et Dubosq comme complice, n’étaient pas inconciliables. Lesurques ne sera pas réhabilité par la justice, mais cette affaire a marqué durablement l’opinion publique.

Le Courrier de Lyon, Paris, Le Bailly, DL 1870

Ce troisième document est de format tout différent. Volume in octavo - un peu plus grand qu’un format de poche donc -, de 108 pages, il ne comporte pas de complainte, mais des illustrations émouvantes en frontispice et sur la page de titre, et un cachet indique qu’il était diffusé par colportage. Il a un autre éditeur, tout aussi parisien, Le Bailly, et est plus ancien, le cachet du dépôt légal apposé sur la page de titre indiquant la date du 1870, largement postérieure au début de l’affaire du Courrier de Lyon, dont il traite… Cette même année 1870, Le Bailly éditait un autre canard comportant des illustrations assez comparables, mais de format plus petit encore et plus court, comprenant une complainte, sur le crime de Pantin ou affaire Troppmann, dont l’horreur a scandalisé les contemporains, et qui a connu son dénouement en janvier 1870, avec l’exécution du coupable.

Un intérêt intemporel pour le crime

Quelle que soit l’époque, force est de constater que le crime fait recette. Les « canards sanglants » ont été remplacés  par les chroniques judiciaires et rubriques « faits divers » des grands quotidiens, ou encore les revues spécialisées comme l’Œil de la Police, mais
si la forme des supports évolue, l’intérêt pour les affaires criminelles est constant. Il y a 300 ans, le 28 novembre 1721, était exécuté le bandit Louis-Dominique Cartouche, interprété à l’écran par Jean-Paul Belmondo en 1962. Sa vie et son procès ont été retracés dans des écrits, dans l’imagerie d’Epinal, et ont fait l’objet d’une complainte. Et plus près de nous, Colette a rédigé des chroniques judiciaires, en suivant les procès de Violette Nozière (1934) ou d’Eugène Weidmann (1939), dernier guillotiné en place publique.

Le véritable portrait de Cartouche, en buste, de 3/4 dirigé à gauche, estampe, XVIIIe siècle / Le Journal, 19 décembre 1937

Pour en savoir plus :

- Stéphanie Tonnerre-Seychelles, « Canards criminels (XIXe-début XXe siècles) », blog Gallica, 1er juin 2022
- Clélia Guillemot et Claude Liberman, « Le fait divers dans Gallica », blog Gallica, 27 mai 2022
- Laurent Arzel, « L’Œil de la police : drames de l'amour, de la vie, de la mort », blog Gallica, 2 juin 2022
- Les travaux de Jean-Pierre Seguin, de Maurice Lever sur les canards, ceux de Jean-François “Maxou” Heintzen sur les complaintes criminelles.
- Jean-François “Maxou” Heintzen et Sophie Victorien, « Les complaintes criminelles en France après 1870 : inventaire, problématisation, valorisation d’un corpus méconnu », Criminocorpus, actes du colloque (2/3 avril 2019, Archives Nationales, BnF) mis en ligne le 01 mars 2021.
- Geoffrey Fleuriaud, « Le factum et la recherche historique contemporaine. La fin d'un malentendu ? », Revue de la BnF, 2011/1 (n° 37), p. 49-53.

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