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L’Œil de la police : drames de l'amour, de la vie, de la mort

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De la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, grâce aux développements des moyens d’illustration, la presse de faits-divers s’appuie de plus en plus sur l’image.

L’Œil de la police, n°25, 1909

A côté de deux des plus importants titres de l’époque, Le Petit Journal et Le Petit Parisien, qui possèdent chacun un supplément illustré depuis 1884 et 1889, des journaux populaires se spécialisent dans le traitement du fait-divers sanglant. Parmi eux, Les Faits-divers illustrés (1905-1910) et L’Œil de la police qui paraît de 1908 à 1914.
 

Le pouvoir de l’image

Hebdomadaire bon marché de 12 pages avec une  couverture en couleur, L’Œil de la police associe le fait-divers, le roman-feuilleton policier et le jeu-concours « d’enquête ».

L’impact visuel du journal repose sur le travail de ses deux dessinateurs attitrés, Raoul Thomen et Henry Steimer. Ils excellent dans la dramatisation des situations, notamment pour les illustrations de Une. Ils proposent également des compositions proches de la bande dessinée, en juxtaposant des vignettes et en créant des découpages dynamiques.

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L’Œil de la police, n°4, 1909, p.12

Enfin l’autre signature graphique du journal est cet « œil » omniprésent, au-dessus du titre. Symbole de vigilance et de protection, il renvoie également le lecteur à son voyeurisme face à l’étalage de situations sordides et violentes.

 

Une vision réactionnaire et sécuritaire de la société

L’Œil de la police s’inscrit sans ambiguïté dans la mouvance de la presse réactionnaire qui dénonce les déséquilibres sociaux et la violence. La responsabilité en est imputée, pour une grande part, aux classes populaires.

Le voyou de l’époque, surnommé « l’Apache », est la cible privilégiée de ses attaques. De nombreuses Unes du journal les mettent en scène : de l’« ignoble trio d’Apaches » à la « chasse aux Apaches » en passant par sa version féminine « Apaches en jupons », les déclinaisons sont multiples.

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Course-poursuite sur les toits, n°222,1913, et Apaches en jupons, n°6, 1908, L'OEil de la police

Contre ces délinquants de droit commun, la solution est toute trouvée : le châtiment corporel. Et le journal de citer l’exemple de l’Angleterre où existe toujours la peine du fouet. A ceux qui crient à la barbarie, on répond que « les députés feraient mieux d’exiger des exemples capables de semer la terreur dans l’armée des malfaiteurs ».

Concernant les colonies, la brutalité et la cruauté avec lesquelles sont représentées les exactions des populations « indigènes » envers les colons permettent de justifier la répression des troupes militaires sur place, notamment en Afrique.

Les grèves et manifestations qui ponctuent l’année 1910 sont l’occasion pour L’Œil de la police de dénoncer la violence de « bandes organisées pour créer le désordre » et de considérer Paris en « état de siège ».

 

Défense et illustration de la peine de mort

Le journal n’a de cesse de défendre l’idée que la peine capitale reste la meilleure arme contre ceux qui, par leurs actes criminels, mettent en péril l’équilibre de la société. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la création du journal correspond à une période d’intenses débats politiques et médiatiques autour de la peine de mort.

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L’Œil de la police, n°49, 1909

Le Petit Parisien, très hostile à l’abolition, lance auprès de ses lecteurs un référendum dont le résultat est publié le 5 novembre 1907 : 74 % sont favorables à la peine capitale. L’année suivante, le projet de loi du gouvernement Clemenceau, prévoyant l’abolition de la peine de mort, est soumis au vote des députés de l’Assemblée nationale et rejeté le 8 décembre 1908 par 330 voix contre 201.

A l’heure où des représentants politiques s’interrogent sur la légitimité de la peine de mort, L’Œil de la police se montre d’une exhaustivité toute documentaire sur la question. Il propose un tour d’horizon des recours à la peine capitale qui permet au lecteur de se rendre compte en la matière des us et coutumes  de ses voisins plus ou moins proches : la Prusse, l’Espagne, la Suisse, la Perse et l’Empire ottoman.

 

La vie n’est pas un long fleuve tranquille

Un journal de faits-divers se doit également de faire une place aux passions amoureuses qui finissent inévitablement de manière dramatique. Il suffit pour s’en persuader de citer quelques titres de Unes de L’Œil de la police : « Malheureux en amour, il se livre aux fauves », « De l’amour et du sang ».

Le journal présente également l’environnement quotidien comme une source infinie de dangers et de drames potentiels. Les accidents domestiques ont ainsi droit de cité dans le journal. Les moments de réjouissance festive, comme le réveillon de Noël, peuvent  basculer dans la tragédie. De même le progrès ne va pas sans risque, comme le démontrent les nombreux accidents de train et d’automobile.

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Une fin tragique, n°289, 1914, et Dévoré par un serpent python, n°289, 1914, L'OEil de la police

L’environnement plus lointain, exotique mais également mystérieux et peuplé d’animaux féroces, est tout aussi anxiogène. Ainsi un chasseur imprudent peut-il se retrouver embroché par les défenses d’un éléphant en Afrique, ce marchand de sucre de Rangpur en Inde avalé par un serpent python ou ce nourrisson, extrêmement malchanceux, emporté dans les airs par un vautour affamé en Uruguay.

A partir de 1913, le journal commence à préparer l’opinion à un possible conflit avec le voisin allemand. Le sort des provinces annexées d’Alsace-Lorraine est désormais évoqué en termes peu amènes. Les deux armées se jaugent de chaque côté de la frontière, à l’affut du moindre incident. Tout est prêt pour l’embrasement final dont l’Œil de la police ne rendra pas compte. Le journal disparaît au moment de la mobilisation générale.

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