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Marx et Engels, de la Ligue des Justes au Manifeste du Parti communiste

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De 1836, date de création de la Ligue des Justes à Paris, jusqu'à la publication du Manifeste du Parti communiste en 1847, dix années d'une profusion intellectuelle sans précèdent s'écoulent, au cours desquelles, croisant l’intimité et la formation intellectuelle de Karl Marx et Friedrich Engels, s'élabore, d'une capitale européenne à l'autre, une théorie qui marquera durablement l'histoire.

Manifeste du Parti communiste, Karl Marx et Friedrich Engels, Bibliothèque nationale de France, 1895

"La Fédération des communistes, au nom de laquelle Marx et Engels rédigèrent leur manifeste, a une préhistoire. Il faut la connaître", pose d’emblée Charles Andler, en ouverture de son introduction historique au manifeste communiste.

 

Le Manifeste communiste ; avec les articles de F. Engels dans la "Réforme", 1847-1848

Des bannis aux Justes

Et elle commence à l’orée des années 1830, durant la première période du mouvement ouvrier autonome allemand. En 1834, des réfugiés politiques allemands qui ont fui le royaume de Prusse, fondent à Paris la Ligue des bannis (aussi connue comme la Ligue des proscrits). L’objectif de cette fédération, d'après Georg Adler, aurait été "l’affranchissement et la régénération de l’Allemagne et la mise en pratique des principes contenus dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen".
 
Mais très vite, cette fédération se scinde, notamment sur la question de l’importance que revêt la question sociale, donnant naissance à la Ligue des Justes :
 

"Les Bannis, républicains et démocrates, s’en tenaient aux formules de la Révolution politique ; les Justes – pour la plupart des prolétaires – entendaient pousser jusqu’à la Révolution sociale et opposaient déjà le prolétariat à la bourgeoisie"

Ainsi que le resitue Amédée Dunois, près d’un siècle plus tard, dans Le Populaire du 17 août 1934, organise socialiste fondé par Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx.
 

 

En 1836, donc, s’en détachent les éléments les plus radicaux, pour la plupart prolétariens, qui fondent la Ligue des Justes à Paris. Elle s’inspire du babouvisme, du nom de Gracchus Babeuf.

 
Bien des années plus tard, en 1885, Friedrich Engels reviendra sur les prodromes de la Ligue des communistes, qu'il dénomme également "première période du mouvement ouvrier autonome allemand". "La communauté des biens était réclamée comme une conséquence nécessaire de l’égalité", écrit-il à propos des principes qui commandent à la Ligue des Justes, cette formation "partie association de propagande, partie association de conjuration"

 

"Les principes des Justes, étaient justement ceux babouvistes des Saisons : une révolution politique ne suffit pas, il faut détruire tous les privilèges, quels qu’ils soient", écrit Jean-Jacques Chevallier dans la Revue des études coopératives pour le centenaire du Manifeste du parti communiste. Par ailleurs, la République était le seul gouvernement légitime "parce que seule elle est fondée sur l’égalité ; que seule elle impose à tous des devoirs égaux et donne à tous les mêmes droits".
 

Revue des études coopératives : problèmes d'économie nationale et internationale, Paris, 1948

 

Eu égard au droit d’association en France à ce moment-là, la Ligue demeure une société secrète. Paris étant alors l’épicentre des actions révolutionnaires du mouvement ouvrier, la Ligue est en fait affiliée aux sociétés secrètes françaises et à la plus fameuse d’entre elle, la Société des Saisons fondée par Auguste Blanqui et Armand Barbès.
 

L'installation à Londres

Le 12 mai 1839, une insurrection contre Louis Philippe est lancée sous l’impulsion de la Société des Saisons. L’échec est cuisant et relègue les ligues, décimées, aux marges.

 

Les conspirateurs (12e éd.) / par A. Chenu, 1850

 

"Il y avait, en effet, un communisme allemand, qui traqué et impuissant en Allemagne, préparait l’avenir à Paris", poursuit Jean-Jacques Chevallier. Mais sans plus de succès.
 
A partir de son installation à Londres, sous l'impulsion d'intellectuels et d'ouvriers allemands mais bientôt rejoints par des émigrés scandinaves, hollandais, polonais, tchèques, la Ligue prend une forte connotation internationale, préfigurant le communisme international futur. Ses membres prennent alors pour devise "Tous les hommes sont frères", laquelle se trouvait reproduite en pas moins de vingt langues ainsi que le rapporta Engels :

"En pratique parce que les membres appartenaient à des nationalités différentes, en théorie, parce qu’on avait compris, que pour être victorieuse, toute révolution devait être européenne"

 

La voie du matérialisme historique

A partir de 1845, intervient au sein de la Ligue, la contribution décisive de deux jeunes théoriciens allemands Friedrich Engels et Karl Marx. Par correspondance d’abord avec les membres de la société de Londres, puis lorsque Marx et Engel se retrouvent à Bruxelles et constatent "l'admirable et fortuite coïncidence de leurs idées" selon Charles Andler. Commence alors une collaboration profondément féconde entre les deux penseurs qui conduit à la conception du matérialisme historique. A l'écart des "confusions théoriques" de la Fédération des Justes, "Il fallait démontrer que ce qui était en question, ce n’était pas l’application d’un système utopique quelconque mais la participation consciente à la réalité historique", écrira Marx dans une brochure en 1860.
 

En somme, ce n’est pas l’Etat qui conditionne et règle la société bourgeoise mais la société bourgeoise qui règle et conditionne l’Etat. Il faut expliquer la politique et l’histoire par les conditions économiques et leur évolution, et non inversement, résume Engels. Grâce à des circulaires lithograhiées, visant à diffuser leur nouvelle théorie auprès des membres des diverses Sociétés, un groupe d'intellectuels et de prolétaires révolutionnaires se forma à Bruxelles autour des idées de Marx et d'Engels, le groupe des travailleurs allemands.
 
Petit à petit, Karl Marx et Friedrich Engels conquièrent la Fédération des Justes sur des bases théoriques. Lors d'une entrevue de Karl Marx avec Willhem Weitling, l'initateur de la Ligue, le 30 mars 1846, la rupture est définitivement consommée. Fini le "communisme philosophique", les "utopies fraternelles" et la "sentimentalité", la doctrine nouvelle n'allait plus faire appel qu'à "l'antagonisme qui existe entre bourgeoisie et prolétariat", premisses du futur Manifeste.
 

Prolétaires de tous les pays !

Marx et Engels adhèrent à la Fédération des Justes, et dans leur sillage le groupe des travailleurs allemands. Un congrès a lieu à l'été 1847 au cours duquel la Fédération des Justes devient Fédération communiste et prend Londres comme siège de son comité central. Elle s'organise désormais autour de communes, cercles, comité central et congrès et prend le nom de Ligue des communistes. Son premier article laisse présager le dessein poursuivi et l'influence des deux théoriciens allemands :
 

"Le but de la Ligue, c'est le renversement de la bourgeoisie, le règne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d'une nouvelle société sans classes et sans propriété privée."

Le congrès charge également Marx et Engels de rédiger un projet de manifeste qui définira la doctrine de la nouvelle Fédération.

 

Synthèse de quelques principes antérieurs de la Fédération des Bannis et de la Fédération des Justes mais surtout des résultats de leurs recherches récentes, les deux penseurs rédigent une courte brochure. En novembre de la même année, un nouveau congrès débat, dix jours durant de ce texte, pour arriver au Manifeste communiste. À la vieille devise de la Fédération des Justes, "Tous les hommes sont frères", se substitue un nouveau cri de ralliement : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!"

 


Manifest der Kommunistischen Partei : Veröffentlicht im Februar 1848

 

 

 

Commentaires

Soumis par Joséphine le 21/02/2020

Article fort intéressant, cependant attention aux fautes : j'ai notamment relevé "Marx et Engels adhère" ... Ainsi que l'absence d'accent sur le "a" de "à la vieille devise de la Fédération des justes....".

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