Zoonoses ou les liaisons dangereuses : des pathogènes dans nos assiettes ?
La listériose peut être à l'origine de troubles cliniques graves et est potentiellement mortelle. Elle touche principalement les nouveau-nés, les personnes âgées ou encore celles aux défenses immunitaires déficientes et se manifeste alors par des méningites, encéphalites, septicémies ou, chez la femme enceinte, par des infections intra-utérines pouvant alors entraîner une fausse couche.
Le germe qui occasionne la listériose est court et trapu (1 à 2 microns de long sur 0,5 de large), mobile, asporulé (sans spore). La bactérie n'est guère décelée qu'au niveau des foyers inflammatoires du bulbe cérébral laissant indemnes les autres régions de l'encéphale.
Cerveau avec bulbe cérébral Dr Galet, Le corps de l'homme. Paris, 1854
Listeria est une bactérie ubiquiste. Ses caractéristiques physico-chimiques favorisent sa colonisation. Ainsi, elle est présente dans l'air, l’eau, le sol et par voie de conséquence, dans les aliments tels que la viande et les produits laitiers. Si on la trouve le plus souvent au cœur des sites de fabrication des aliments, il existe d’autres sources de contamination notamment par voies hématogène (de la mère au fœtus), respiratoire ou par contact (un fermier pouvant être contaminé par ses animaux).
L’histoire scientifique de Listeria monocytogenes commence au XXe siècle. En 1911, elle est mise en évidence chez les lapins par le Suédois Hülphers. A partir des années 1920, le germe est isolé. En fonction des sujets infectés et de la nature des pathologies, il portera alors différents noms. En 1924, chez le porc, des auteurs russes le nomment X Bacillus. En 1926, au Canada, Murray, Webb et Swann identifient la bactérie chez le lapin et le cobaye qui présentent une mononucléose infectieuse. Ils la nomment Bacterium monocytogènes. En 1927, Pirie trouve chez une gerbille sud-africaine le même germe que Murray.
Le nom de Listerella Hepatolytica sera choisi en l’honneur de Sir John Lister, chirurgien anglais (1827-1912) contemporain de Louis Pasteur. Elle sera par la suite dénommée Listeria monocytogenes. Chez le bœuf, la maladie est localisée par Mathews, en 1928. Décrite comme une entité morbide bien connue du bétail, elle sévit dans plusieurs régions des Etats-Unis. En 1931 (1929 d’après certaines sources), en Nouvelle-Zélande, Gill la décrit pour la première fois, sous le nom de Circling disease ou Listerella ovis.
Bélier australien. Jospeh Marcq, Les ovins : zootechnie générale : hygiène, alimentation. Paris, 1940
Les observations humaines de listériose sont le plus souvent associées à des cas de méningites.
En 1921, J. Dumont et L.Cotoni rapportent le cas d'une méningite mortelle chez un soldat italien. Ils isoleront le bacille du liquide céphalorachidien. Dès 1929, grâce à Nyfeldt, la transmission de la listériose à l'homme est connue. La forme clinique la plus anciennement connue est la septicémie néo-natale décrite par Burn en 1933. En 1934, Jones et Little isolent, chez des vaches atteintes d'encéphalite, un germe que Buru trouve identique à la listerella de l'homme. Chez l'adulte, les signes rapportés par Schulz, Terry, Brice et Gebhardt sont des vomissements bilieux, de la fièvre, des maux de tête, une rigidité du cou, des contractures musculaires, un strabisme et un état léthargique. Une difficulté d'élocution et la perte de mémoire peuvent s’ajouter aux symptômes.
En Europe, la maladie est signalée en Suède, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Ukraine où elle touche principalement les animaux. La France semble indemne, mais J. Verge et P. Goret de l’école d’Alfort restent prudents :
« Bien qu'aucune relation n'en ait encore été donnée en France, la maladie ne saurait tarder, sans doute, à y être reconnue à la lumière des recherches que susciteront les descriptions émanant des auteurs étrangers ».
Très rapidement, des cas touchant des poules seront identifiés en France.
En 1951, les pathologistes allemands H. J. Reiss, J. Potel et A. Krebs décrivent la forme septicémique de la maladie d’une extrême gravité chez le nouveau-né. Les travaux de Seeliger montrent que "Lm" joue un rôle important.
Les deux premiers cas décrits chez le nouveau-né en France furent rapportés par G. Coulombier en 1956.
En pathologie humaine, le diagnostic de listéria se précise en 1960. A partir de cette date, le nombre de cas observé augmente significativement. Ce n’est que dans les années 80 que sa transmission par les aliments est clairement prouvée.
Débute alors un nouveau chapitre, celui de la méfiance croissante vis-à-vis des aliments et de l'attrait pour l'agriculture biologique.
Les "affaires" de contamination alimentaire et les remises en question concernant la qualité des productions ont conduit le grand public à prendre conscience des dangers d’une agriculture productiviste et industrielle.
La listériose résiste aux basses températures et "après avoir hanté les charcuteries, la bactérie a découvert les fromageries". Alors, réel danger ou crainte excessive ?
99% des cas de listériose sont d’origine alimentaire. L’alimentation semble pourtant de plus en plus sûre. En effet, les toxi-infections restent rares et la fréquence de la listériose a été divisée par trois en dix ans. C'est une heureuse nouvelle, car la maladie serait mortelle dans 30% des cas.
Cependant, dans le domaine de l’alimentation comme pour toutes les activités humaines, le risque zéro n’existe pas et la survenue de crises futures ne peut être complètement exclue.
D’après une étude du CREDEOC (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) publiée en 2001, 70 % des consommateurs pensent que les produits alimentaires présentent des risques pour la santé. Ils n'étaient que 55 % quatre ans plus tôt. Aujourd’hui pourtant, la plupart de ces crises peuvent être perçues uniquement comme des "accidents" dans un dispositif sécurisé.
Cependant, des risques alimentaires émergents existent bel et bien et sont souvent liés à l'évolution des modes de production ou des habitudes de conservation des aliments. Ainsi la pasteurisation systématique aux États-Unis, en partie partagée par certains pays européen, a diminué la résistance de la population aux germes.
« Le bio, cher et populaire »
En 2001, l'agriculture biologique représente 1 % du marché agroalimentaire, mais progresse de 26 % par an depuis 1994. Un Français sur trois déclare consommer régulièrement un produit bio dans une récente enquête de CSA. Les premières raisons invoquées sont la préservation de l'environnement et l'assurance d'avoir des aliments sains et contrôlés.
A l’heure actuelle, la maladie sévit de façon sporadique chez les animaux.
Pour éviter toute épidémie, producteurs et distributeurs sont soumis à de nombreux contrôles sur l’hygiène et le respect de la chaîne du froid. La qualité des produits sanitaires des produits agricoles sera prise en compte dans un dispositif législatif. En 1999, est créé en France l'Institut de veille sanitaire. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) et la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture) créent INFOSAN (Réseau international des autorités de sécurité sanitaire des aliments), afin d’aider les États dans la surveillance, la coordination et la riposte aux flambées épidémiologiques. Aujourd'hui, un traitement par antibiotiques est utilisé en cas de symptômes sévères comme la méningite.
Pour aller plus loin :
Les billets de blog sur les zoonoses
Débat au coeur de la science : Demain, cohabiter avec le vivant : les micro-organismes et nous [Avril 2021]
Pour en savoir plus :
Au sujet de Coulombier : Etude antigénique de Listeria monocytogenes. Thèse de 3ème cycle présentée par Farida Adly | 1982 | Université des Sciences et Techniques de Lille
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