Redécouvrir Octave Mirbeau
2017 marque le centenaire de la mort d’Octave Mirbeau, le 16 février 1917, jour de son 69e anniversaire. Écrivain reconnu et important à son époque, il est aujourd'hui un peu oublié, peut-être parce qu'il continue de déranger. Cet anniversaire est l'occasion de le (re)découvrir à travers ses œuvres et ses nombreux articles disponibles dans Gallica.
Nos contemporains chez eux / Dornac
Journaliste influent, critique d’art, pamphlétaire redouté, Octave Mirbeau fut aussi un dramaturge à succès et un romancier novateur. Il connut une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques. Mais depuis sa mort, il est moins mis en avant que d'autres écrivains, sans doute trop inclassable et dérangeant, tant sur le plan littéraire que sur le plan politique.
Octave Mirbeau est né le 16 février 1848 dans une famille de notables du Calvados. Après une enfance morne et une adolescence difficile chez les jésuites, puis l'expérience de la guerre de 1870, il « monte » à Paris en 1872 et y fait ses débuts journalistiques. En 1883, il devient le rédacteur en chef de Grimaces, hebdomadaire attrape-tout, anti-opportuniste et antisémite, point sur lequel il fera très vite son auto-critique.
Après avoir longtemps publié comme nègre pour d'autres auteurs, il publie sous son nom ses deux premiers romans : Le Calvaire (1886) et L'abbé Jules (1888), qui rencontrent un succès de scandale. C'est plus encore le cas de Sébastien Roch : roman de moeurs (1890) qui, en partie autobiographique, porte sur le sujet tabou du viol d’adolescents par des prêtres.
Mirbeau remporte ensuite de grands succès de ventes avec Le Jardin des supplices (1899) (ici illustré par Rodin en 1902) et Le Journal d'une femme de chambre (juillet 1900), charge contre la bourgeoisie souvent adaptée depuis au cinéma et au théâtre, avec l'affirmation restée célèbre : « Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens ». Ces romans mettent à mal les codes du genre romanesque, en pratiquant la technique du collage, et en transgressant les codes de la vraisemblance et de la bienséance.
Les vingt et un jours d'un neurasthénique (1901) systématise le recours au collage et délivre une vision grinçante d'une société bourgeoise prise de folie où tout marche à rebours de la justice et du bon sens. Mirbeau triomphe alors aussi au théâtre avec des comédies de mœurs au vitriol, notamment Les affaires sont les affaires (1903) et Le Foyer (1908).
Promu dès lors « homme du jour » par la critique, Mirbeau achève de mettre à mort le roman prétendument réaliste dans ses deux dernières œuvres narratives : La 628-E8 (1907) et Dingo (1913), achevé par Léon Werth, parce que Mirbeau, malade, n’était plus capable d’écrire. Les héros de ces deux récits ne sont autres que son automobile (la fameuse Charron immatriculée 628-E8) et son chien. L'écrivain renonce à toute trame romanesque et à toute composition, pour obéir à sa seule fantaisie.
Il s'éloigne définitivement du roman réaliste ou naturaliste codifié et renoue avec la totale liberté des romanciers du passé, de Rabelais à Sterne, de Cervantès à Diderot, tout en annonçant ceux du vingtième siècle. En témoignent aussi par exemple son ironique « Manuel du savoir écrire » (Le Figaro, 11 mai 1889) ou son entretien avec Jules Huret pour son « Enquête sur l'évolution littéraire » (L'Écho de Paris, 22 avril 1891)
Illustration d'Auguste Rodin pour Le Jardin des supplices (1902)
Octave Mirbeau n'est pas un écrivain coupé du monde, mais incarne une figure d'intellectuel critique et subversif. Citoyen à part entière, indigné et révolté, il essaie de contribuer par ses livres et ses articles, à l’émancipation des esprits et au progrès social, d'obliger « les aveugles volontaires » à « regarder Méduse en face » (L'Ordre de Paris, 25 mars 1877).
Il est mêlé à toutes les grandes débats de son temps et se bat avec constance contre toutes les forces d’oppression et d’aliénation, à commencer par la religion, qu'il combat par l'humour : « Si Dieu existait, comme le croit vraiment cet étrange animal d’Edison qui s’imagine l’avoir découvert dans le pôle négatif, pourquoi les hommes auraient-ils d’inutiles et inallaitables mamelles ? » (« ? », L'Écho de Paris, 25 août 1890) ou l'indignation : « Je n’ai qu’une haine au cœur, mais elle est profonde et vivace : la haine de l’éducation religieuse. (…) Est-ce que, sous prétexte de liberté, on permet aux gens de jeter du poison dans les sources ? » (« Réponse à une enquête sur l'éducation », La Revue blanche, 1er juin 1902)
Il est aussi farouchement individualiste et libertaire. Dans un texte qui est encore très souvent cité aujourd'hui, il appelle ainsi les électeurs moutonniers, « plus bêtes que les bêtes » à faire la « Grève des électeurs » (Le Figaro, 28 novembre 1888). Il se rallie officiellement à l'anarchisme, et rédige par exemple la préface de La Société mourante et l'anarchie de Jean Grave (1893).
Ardent dreyfusard, Mirbeau s’engage avec passion, rédige le texte de la pétition des intellectuels, qui paraît le 16 janvier 1898, et tente de mobiliser les deux groupes sociaux dont l’union est la condition du succès : les intellectuels (« Trop tard ! », L’Aurore, 2 août 1898) et les prolétaires (« À un prolétaire », L’Aurore, 8 août 1898).
Membre de l'Académie Goncourt à partir de 1907, il soutient de jeunes écrivains originaux : Jules Renard, Alfred Jarry, Paul Léautaud, Léon Werth ou Valéry Larbaud ; il lance Maurice Maeterlinck en août 1890, par un article retentissant dans Le Figaro (« Maurice Maeterlinck », 24 août 1890) ou Marguerite Audoux en signant en 1910 la préface de Marie-Claire ; il fait partie de ceux qui prennent la défense d'Oscar Wilde, par exemple dans Le Journal du 16 juin et du 7 juillet 1895.
Parallèlement, en tant que critique d’art influent, il pourfend l’art académique, tourne en ridicule le système des Salons (ici dans l’éphémère Canard sauvage créé en 1903 par Edouard Chatenay, l'un des ancêtres du Canard enchaîné) et bataille pour faire connaître des artistes novateurs, dont beaucoup sont ses amis. Il se fait le chantre attitré d’Auguste Rodin, de Claude Monet et de Camille Pissarro, le défenseur de Paul Gauguin, qui, grâce à ses articles élogieux, en février 1891, peut payer son voyage à Tahiti, de Félix Vallotton, d’Édouard Vuillard et de Pierre Bonnard, le découvreur de Maxime Maufra, de Constantin Meunier, de Vincent Van Gogh, de Camille Claudel, dont il proclame à trois reprises le « génie », d’Aristide Maillol ou de Maurice Utrillo.
Les Hommes du jour. Dessins de A. Delannoy ; texte de Flax, 3 octobre 1908
En cette année de centenaire, la Société Mirbeau organise plusieurs colloques et de nombreux autres événements.
Deux soirées consacrées à Octave Mirbeau auront également lieu à la BnF à l'automne prochain.
Pour en savoir plus
- Tous les documents de et sur Octave Mirbeau à la BnF,
- le site officiel de la société Octave Mirbeau,
- Octave Mirbeau, le grand démystificateur,
- le Dictionnaire Octave Mirbeau,
- et un entretien avec Pierre Michel à propos du Centenaire Octave Mirbeau dans Diacritik.
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