Les établissements Godillot : de la malle aux chaussures
Son nom est devenu un nom commun désignant des chaussures militaires et plus familièrement de grosses chaussures. Gallica vous emmène suivre les traces d’Alexis Godillot, spécialiste du travail du cuir mais aussi fabricant de tentes ou encore entrepreneur de spectacles.
Malles et tentes du « Bazar du voyage »
La saga de la famille Godillot commence avec Pierre-François Godillot (1788-1839), sellier et malletier franc-comtois monté à Paris. En 1826, il fonde « le Bazar du voyage » rue Montorgueil et y associe son fils Alexis Godillot (1816-1893) dès ses 18 ans. La boutique propose de nombreux articles: des sacs de voyage, des tentes et des malles que le père et le fils se plaisent à modifier et améliorer.
Rédigeant un ouvrage sur le voyage en 1901, Georges Vuitton revient ainsi sur les transformations des systèmes de fermoirs du sac de nuit, opérées par Pierre et Alexis Godillot.
Godillot aidé d’un de ses compatriotes ouvrier chez lui, nommé Core, imagina le premier fermoir en fer dit « feuillard » (…) en forme de mâchoire avec pitons et cadenas ou avec une petite serrure (…) complété par des poignées en cuir.
Pour un fond plus solide, Pierre Godillot propose de fixer une mallette de cuir sur un dessus de sac plus souple.
Georges Vuitton, Voyage depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. 1901
Dans les années 1830-1840, l’entreprise prospère. Elle est présente aux expositions des produits de l’industrie française, notamment en 1838, 1840, 1842, 1843 ou 1844. Ses innovations techniques sont particulièrement appréciées. Ainsi en 1844, dans son Rapport sur l'Exposition publique des produits de l'industrie française, Gustave Halphen décrit les tentes portatives « avec ventilateurs, très commodes et d’une jolie forme, à l’épreuve du temps et de la pluie pouvant se dresser en deux minutes par une seule personne. »
L’Album d'articles de voyages d'après les Modèles de Messieurs Godillot Père et Fils, catalogue d’articles proposés par la maison, permet d’appréhender la diversité des modèles : ce sont des articles de luxe ou des créations originales tel « ce hamac aérien ». « Le Bazar du voyage » qui s’adresse avant tout à une clientèle aristocratique ou issue de la haute bourgeoisie, est fragilisé par la Révolution de 1848.
Entrepreneur de spectacles
Alexis Godillot s’installe alors comme entrepreneur de fêtes publiques, prenant en charge les décorations lors d’évènements d’ampleur. Il installe par exemple les illuminations d’une partie de la place de la Concorde pour les fêtes du 15 août 1853 comme le rapportent la « Gazette des beaux Arts » ou le « Messager du midi ». Il est alors nommé « entrepreneur officiel des fêtes » et fournit décors ou lampions pendant tout le Second Empire.
Fournisseur des armées
Le Second Empire s’est lancé dans plusieurs campagnes militaires - la guerre de Crimée en 1854 ou la Campagne d’Italie en 1859 - et les équipements des soldats restent rudimentaires. Saisissant l’occasion, Alexis Godillot, qui évolue dans les sphères proches de l’Empereur, devient fournisseur des armées à la fois pour le matériel de campagne, comme les sacs et tentes, pour les uniformes (particulièrement bonnets et kepis) et pour les chaussures (100 000 paires en 1859).
A. Laveran,Traité d'hygiène militaire, 1896
Les ateliers installés rue Rochechouart s’agrandissent régulièrement. La hausse des commandes assure le succès : ainsi le Journal d'agriculture pratique, de jardinage et d'économie domestique évoque la pénurie de cuir en raison des marchés pour la chaussure militaire concernant 2 millions de paires, en partie pour l’entreprise Godillot. Une corroierie est également installée rue Pétrelle pour le traitement du cuir.
Alexis Turgan, Les grandes usines, tome 13. CNAM, 1881
Visite dans les usines de fabrication
En 1881, Turgan consacre un chapitre de son ouvrage "Les grandes usines" aux installations de la maison Godillot. L’entreprise prend en charge toutes les étapes de la transformation. A Saint-Ouen, dont il a été nommé maire par décret impérial en 1857, Alexis Godilllot a installé une tannerie pour maîtriser l’approvisionnement en matières premières. Il dispose aussi d’ateliers à Nantes et Bordeaux employant environ 3000 ouvriers et ouvrières. L'établissement se veut un modèle dans l'utilisation de machines à coudre perfectionnées mais aussi dans une certaine division du travail.
Alexis Turgan, Les grandes usines, tome 13. CNAM, 1881
En 1880, la société se transforme en société anonyme sous le nom « Société générale des fournitures militaires ». Cette modification juridique entraîne des débats à l’Assemblée nationale, qui remettent aussi en question le monopole de l’entreprise Godillot sur les fournitures militaires.
La loi du 4 juillet 1881 substitue « le brodequin napolitain » au soulier comme chaussures d’opérations, mais il faut attendre 1893 pour épuiser les stocks déjà livrés. Les godillots restent utilisés comme « chaussures de repos » jusqu’en 1912, date à laquelle la loi met fin à leur utilisation en pointant les défauts de la chaussure : le godillot ne tient pas au pied et provoque des blessures aux pieds et aux chevilles.
Si le mot godillot désigne toujours des chaussures militaires, il se pare d'un nouveau sens péjoratif à la fin du 19e siècle comme synonyme de grosses chaussures.
Alexis Godillot se retire des affaires. Ses enfants n’ayant pas souhaité reprendre ses activités, l’entreprise Godillot recentre son activité de production de fournitures militaires à Saint-Ouen sous le nom des Etablissements Defossés jusqu'aux années 1950.
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