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Les chemins de fer à la scène

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15 septembre 2021

Voyage ferroviaire, lyrique et théâtral à travers les collections du département Littérature et Art, proposé en écho aux Journées Européennes du Patrimoine 2021.

Affiche pour Les Chemins de fer, vaudeville d’Eugène Labiche

 
Avant les périples ferroviaires, les affres des voyages en diligence ont été maintes fois portées à la scène par les compositeurs. Les programmes des salles lyriques parisiennes suffiraient à eux seuls pour en témoigner. On citera bien sûr l’inénarrable Voyage à Reims, de Rossini, créé au Théâtre-Italien en 1825 à l’occasion du couronnement de Charles X, dont l’impertinence est telle qu’on a peine à croire que l’ouvrage ait pu recevoir l’imprimatur d’une censure pourtant pointilleuse. On pourrait ajouter, entre autres, Les Voitures versées (1808), de François-Adrien Boieldieu, ainsi que des pièces à la postérité plus éphémère, telles Quinze heures de fiacre, fruit d’une collaboration entre Clairville, le « pape » du vaudeville parisien au XIXe siècle et Charles Nuitter, avocat sans cause, qui allait accéder à la célébrité en tant que bibliothécaire de l’Opéra et auteur du livret de Coppélia, ballet chorégraphié par Arthur Saint-Léon sur une partition de Léo Delibes.

Programme de l'inauguration de la gare de Lille le 14 juin 1846 (BnF, PHS, 8-LK7-4033).

 
La Révolution industrielle et le développement du réseau ferroviaire – la première ligne française, reliant Saint-Étienne à Andrézieux, fut ouverte en 1827 – offrent aux artistes l’opportunité de renouveler leurs sources d’inspiration. Berlioz en personne est ainsi mandaté pour mettre en musique l’inauguration solennelle de la gare de Lille, le 14 juin 1846. L’autographe de son Chant des chemins de fer, cantate pour ténor, chœur et orchestre, est préservé au département de la Musique de la BnF.
 


Carte du Chemin de fer de Paris à Saint-Germain, publiée en 1837 à l’occasion de l’inauguration de la ligne (détail)
BnF, Cartes et plans, Ge DL 1837-52 (A).
 

En 1837, la mise en service de la liaison Paris-Saint-Germain-en-Laye, destinée exclusivement au transport des voyageurs, sert également de cadre à divers ouvrages célébrant avec plus ou moins de sérieux l’avènement de ce nouveau moyen de locomotion. On trouve par exemple un vaudeville explicitement intitulé Le Chemin de fer de Saint-Germain, créé au théâtre de la Porte Saint-Antoine le 23 septembre 1837, qui mélange glorification du progrès technique et références à l’actualité politique du moment.  Ainsi, le chemin de fer, personnifié par Elisa Boisgontier – elle-même auteure dramatique et actrice en vue à Paris –, s’exclame-t-il :

La vapeur ! Rien n’est comparable
A ce véhicule puissant
Par elle, toute chose interminable
Se termine en un instant

 

Locomotive « La Sylphide » en service à partir de 1840 sur la ligne Strasbourg-Bâle
Source : Wikimedia
 
Le choix d’une figure féminine pour incarner le chemin de fer peut surprendre, mais trouve sa justification dans l’actualité artistique du moment. L’évanescence, l’immatérialité de la vapeur se voient assimilées à la légèreté de la danseuse-reine de l’époque, Marie Taglioni, qui triomphait à l’Opéra dans le ballet La Sylphide. Le chœur commente ainsi l’apparition de l’héroïne ferroviaire : "Quelle est cette sylphide / Ange échappé des cieux / Qui d’une aile rapide / Vient s’abattre en ces lieux".
La politique est évoquée avec une certaine discrétion  – la censure ayant été rétablie en 1835 – au détour d’un couplet :

                Vainement un Bey se mutine,
                Nos soldats, prompts comme l’éclair
                Pour arriver à Constantine
                N’auront pas besoin de Ch’min d’fer.

Il s’agit d’une allusion à la colonisation de l’Algérie et à la tentative ratée de 1836 pour prendre Constantine, alors tenue par Ahmed Bey. Ironie de l’Histoire, la ville tombe effectivement aux mains des Français tout juste un mois après la création de la pièce, le 13 octobre 1837.
 
La Retraite de Constantine, après le siège raté de 1836 par les troupes françaises
BnF, Estampes,  FOL-DC-189 (8)
 
Dans un registre plus léger, Jacques Offenbach et ses librettistes attitrés, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, situent l’action de leur opérette célèbre, La Vie parisienne, dans une gare, Montparnasse dans la version originale (1863) et Saint-Lazare dans le remaniement de 1873. Dans les deux cas, le choix s’est délibérément porté sur des établissements desservant la côte normande, le port du Havre, où débarquaient les voyageurs venus d’Amérique, et les stations balnéaires nouvellement créées, telle que Deauville.
 
Le filon du chemin de fer au service des voyages d’agrément est aussi exploité par Clairville dans Une semaine à Londres ou Les trains de plaisir. L’action débute sur le parvis de la Gare du Nord, à Paris, et se poursuit dans un wagon de chemin de fer à destination de Londres via Boulogne-sur-Mer. La traversée de la Manche est pimentée d’un naufrage dont les protagonistes sortiront évidemment indemnes, mais qui justifie des effets de machinerie imposants dans cette production à grand spectacle, comportant un ballet et des parties chantées. L’allusion au grand opéra français, qui triomphe Salle Le Peletier, est transparente, d’autant que le chœur de l’acte I reprend textuellement l’air de la Tarentelle du troisième acte de La Muette de Portici d’Auber. L’ouvrage, créé en 1828, est considéré comme le prototype du genre qui fera la gloire de Meyerbeer et d’Halévy.

 


Serge Huet, Voyage de Paris à la mer, documentaire, Centre National de la Documentation Pédagogique, 1972. 16 min 30 s.
BnF, SVM, NUMAUD-1320255
 

Affichant une ambition – et des moyens – moindres, Le Train des maris, courte opérette d’Henri Cartier créée en 1867 au théâtre de l’Athénée, à Paris, traite de la mode des bains de mer sur un ton grivois. Les dames de la bourgeoisie parisienne profitent de l’été pour s’encanailler loin de leurs époux légitimes, occupés en semaine à faire de l’argent dans la banque ou l’assurance, secteurs économiques alors en plein essor. Ces messieurs ne viennent retrouver leur conjointe que le dimanche, par le « train des maris », ainsi que l’on surnomme l’express Paris-Trouville, qui dessert les lieux en vogue de la Côte fleurie.
 


Affiche, 1890, BnF, Département des Estampes et de la photographie.
 

La même année, un dramaturge d’une toute autre volée, Eugène Labiche, se confronte lui aussi à la thématique des trains, avec un vaudeville intitulé fort prosaïquement Les Chemins de fer.  L’angle d’attaque est cette fois celui de la satire sociale : la pièce, agrémentée comme il se doit d’ariettes et de danses, s’ouvre sur une scène représentant les actionnaires, petits et gros, venus toucher leurs dividendes dans les bureaux d’une compagnie ferroviaire fictive.  De fait, 1867 est, en raison de la tenue de l’Exposition universelle à Paris – événement qui a drainé plus de dix millions de visiteurs – une année particulièrement faste pour les chemins de fer français. Mais rendons à César..., la cupidité des spéculateurs avait déjà été brocardée par Jean-François Bayard et Philippe Dumanoir dans Le Lansquenet et les chemins de fer, créé en 1845 au Théâtre du Gymnase-dramatique.
 


Page de titre du vaudeville Les Chemins de fer d’Eugène Labiche
BnF LLA, 8-YTH-3222
 

Après la guerre de 1870, la popularité du vaudeville s’étiole. Gaston Marot, spécialiste du genre et directeur du Théâtre de Cluny, alors sis Boulevard Saint-Germain à Paris, tente, sous l’influence de l’esthétique naturaliste, une incursion dans le drame sentimental et social avec Le Train n°6, porté à la scène sans grand succès en 1895. Le second acte de l’ouvrage présente toutefois la particularité de se dérouler dans un décor représentant les abords d’une voie ferrée, avec « poteaux télégraphiques, disques [de signalisation], et […] machine à aiguiller [i.e. levier d’aiguillage] ».

 

Le chemin de fer n’en demeure pas moins un motif attrayant, ainsi qu’en témoigne le Train bleu, créé par la Compagnie des Ballets russes en 1924. L’ouvrage était le fruit d’une collaboration d’artistes de grande envergure : Bronislava Nijinska, Darius Milhaud, Coco Chanel, Henri Laurens, Pablo Picasso. Le « Calais-Méditerranée-Express » – tel était le nom officiel du fameux train de luxe – inspirera aussi quelques pastiches, comme La Petite dame du train bleu, opérette satirique qui vit le jour au Théâtre Comédia à l’automne 1927.

 

Pour en savoir plus

- Programme des Journées européennes du Patrimoine à la BnF.
- Le chemin de fer dans Gallica
- L'opéra en images dans Gallica
- Comité central du groupe public ferroviaire – Fonds cheminot, dans Gallica
 

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