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Victor Hugo et les Etats-Unis d'Europe - III

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La présence et l’influence de Victor Hugo aux congrès de la paix qui se succèdent à partir des années 1840 ne se limitent pas à l’édition de 1849, mais la confiance en la paix dont il fait preuve alors ne perdurera pas.

Nouvelle carte d'Europe dressée pour 1870 : carte drôlatique d'Europe.

Son discours d’ouverture du congrès de 1849, d’une portée immense, résonne encore en 1867, année de la fondation du journal pacifiste, Les États-Unis d’Europe. Néanmoins, l’optimisme qui caractérise Hugo, en 1849, quant à l’instauration de la paix en Europe, est peu à peu supplanté par le pessimisme qui le gagne à l’approche et au lendemain de la Guerre franco-allemande de 1870.
 

Parrain du titre de presse pacifiste fondé lors du Congrès de la Paix de Genève de 1867

En 1867, le conflit opposant la France et la Prusse qui convoitaient toutes deux le grand-duché du Luxembourg avait menacé le fragile équilibre européen. Les moyens envisagés alors pour mettre fin aux guerres, l’arbitrage, le désarmement, la propagande pacifiste, apparaissent insuffisants. Il convient de les renforcer. 1867 et les années qui la suivent sont marquées par la « Seconde vague du pacifisme » et un renouveau des congrès organisés pour penser ce renforcement.

Le 9 septembre 1867, s’ouvre donc le congrès de Genève, qui réunit, sous la présidence de Garibaldi, « six-mille citoyens de diverses nations ». Avant de se séparer, ils créent la Ligue internationale de la paix et de la liberté et le journal Les États-Unis d’Europe.

La ligue défend la nécessité pour obtenir une paix pérenne de constituer une ou plusieurs fédérations de peuples. Un des moyens d’action dont elle dispose est l’hebdomadaire (puis mensuel) qui promeut sa cause, Les États-Unis d’Europe. Elle édite parallèlement à l’édition en français, une édition allemande, Die Vereinigten Staaten von Europa, qui est abandonnée au moment de la guerre franco-allemande, en août 1870. La publication française se poursuit, elle, de 1868 jusqu’en juillet 1939.

Dans le numéro 2 du journal, un article explique l’origine du titre :

 

 

 « Dans son second numéro-spécimen, les États-Unis d’Europe ont attribué l’honneur d’avoir trouvé le beau titre qu’ils portent à l’auteur de l’Insurrezione di Milano. Cattaneo [Carlo Cattaneo (1801-1869), historien, philosophe et patriote italien, a été un des leaders de l’Insurrection des cinq journées de Milan] (…)
Mais, continue l’auteur de l’article, le mérite d’avoir, en quelque sorte, mis à l’ordre du jour de la démocratie universelle ce titre et la grande idée qu’il représente, appartient à Victor Hugo »…
 
Hugo n’est pas le premier à utiliser l’expression d’« États-Unis d’Europe », en 1849, mais son discours a une portée immense.
 

L’empreinte pessimiste de Victor Hugo sur les congrès de la paix réunis à Lausanne en 1869 et 1872

Vingt ans après le congrès de 1849, Victor Hugo assume de nouveau le rôle de président, au congrès de la paix réuni à Lausanne en 1869, et en 1872, alors qu’il ne peut se rendre au congrès qui se tient dans cette même ville, il apporte sa contribution écrite en faisant parvenir une lettre aux congressistes. A ces deux occasions, sa pensée est bien plus sombre qu’en 1849, et montre qu’il n’est pas d’un pacifisme à toute épreuve ! Toute guerre n’est pas à proscrire, dès lors qu’il s’agit de combattre les despotismes ou de défendre la France contre les États voisins qui en veulent à son intégrité territoriale, à son « leadership » au sein de l’Europe.
 

 

En 1869, en effet, il est en exil, en opposition au Second Empire. Il appelle à une guerre de conquête de la liberté, il appelle au renversement des despotismes.

« Dès à présent, vous signifiez à qui de droit que la guerre est mauvaise. » dit-il à ses « concitoyens des États-Unis d’Europe », dans le discours d’ouverture. Pourtant, il concède :

« Qu’une dernière guerre soit nécessaire, hélas ! Je ne suis certes pas de ceux qui le nient. Que sera cette guerre ? Une guerre de conquête. Quelle est la conquête à faire ? La liberté. Le premier besoin de l’homme, son premier droit, son premier devoir, c’est la liberté. »
Il rend par ailleurs les rois, les despotismes responsables d’entretenir des armées et d’alimenter la guerre. Pour obtenir la paix, il faut donc combattre les despotismes.

Dans le discours de clôture, il « demande l’embrassement de la République et du socialisme. »
Hugo est profondément patriote. L’Europe qu’il imagine est sous influence française. Après la guerre franco-allemande de 1870, et une paix qu’il juge déshonorante, un esprit revanchard l’anime.

 

Lettre aux congressistes réunis à Lugano, en 1872

 

Sa lettre adressée aux congressistes de 1872 fait référence aux deux événements récents qui ont marqué l’histoire européenne. L’un le réjouit : la fin du Second Empire et l’avènement de la troisième République, l’autre le révolte : la guerre franco-allemande dont la France est sortie vaincue et territorialement diminuée.
« On se sent fier d’être libre, et humilié d’être moindre. Telle est aujourd’hui la situation de la France qu’il faut qu’elle reste libre et redevienne grande. Le contrecoup de notre destinée atteindra la civilisation tout entière, car ce qui arrive à la France arrive au monde »
Il préconise un modèle de gouvernement républicain pour l’Europe, mais comment l’obtenir ? La réponse apportée par Victor Hugo a dû surprendre les membres du congrès de la paix… « Par une guerre ou par une révolution. Par une guerre, si l’Allemagne y force la France. Par une révolution, si les rois y forcent les peuples. »
 

Victor Hugo porte en lui les contradictions de son siècle. Les rêves de paix entre les nations européennes vont bientôt être contrariés par les nationalismes belliqueux, qui conduiront aux deux grands conflits du XXème siècle. La construction européenne en sera évidemment retardée.

 
En dépit de cette évolution, toute sa vie, Hugo continuera à croire dans ce projet d’États-Unis d’Europe. Il englobe même la Bibliothèque nationale dans son dessein européen, puisqu’en 1881, il décide … :
« Je donne tous mes manuscrits, et tout ce qui sera trouvé écrit et dessiné par moi, à la bibliothèque nationale de Paris, qui sera un jour la Bibliothèque des États-Unis d'Europe. » (Victor Hugo, Testament olographe, Codicille du 31 août 1881. Archives nationales, minutier central des notaires, étude XCXI. 44 x 29 cm.)
Et effectivement, sa volonté ayant été respectée, le département des manuscrits de la BnF conserve un riche fonds Victor Hugo.
 

Sélection bibliographique

- Danielle Cabanis, André Cabanis. L’Europe de Victor Hugo. Toulouse, Privat, collection « L’imaginaire de l’Europe », 2002
- Franck Laurent. Victor Hugo : espace et politique (jusqu’à l’exil : 1823-1852). Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008
- Evelyne Lejeune-Resnick. « L’idée d’Etats-Unis d’Europe au congrès de la paix de 1849 ». Dans Revue d’histoire du XIXe siècle, 1991, n°7, p. 66-72
 

 

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