Charles-Marie de La Condamine (1/2)
A l'occasion du 250ème anniversaire de son décès cette année, partons à la découverte de Charles-Marie de La Condamine (1701-1774), l’un des grands savants et voyageurs français du 18ème siècle, à propos duquel Victor Hugo disait qu’il « explorait l’océan comme Vasco de Gama ».
Charles-Marie de la Condamine naît le 27 janvier 1701 à Paris. Après des études classiques et mathématiques au collège Louis-le-Grand, il s’engage en 1719 dans la cavalerie et participe au siège de Rosas, en Espagne, durant la guerre contre Philippe V d'Espagne. Ayant contracté la variole durant cette période militaire et ne voyant pas d’avancement rapide à sa carrière, il quitte l’armée pour étudier les sciences dans de nombreux domaines : mathématiques, médecine, sciences naturelles, physique, etc. En 1726, il participe aux travaux de la Société des arts de Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, puis entre à l'Académie des sciences en 1730, en tant qu’adjoint-chimiste. Mais cette soif de connaissance s’accompagne d’un désir irrépressible de voyages et de découvertes par-delà les mers et océans.
Il y avait à l'Académie un curieux effrayant, La Condamine : il rimait des bouquets à Chloris comme Gentil-Bernard et explorait l'océan comme Vasco de Gama » Paris / par Victor Hugo, 1867
Voyage au Levant
En mai 1731, La Condamine rejoint l’expédition de Duguay-Trouin à destination du Levant. Ce voyage l’emmène à Alger, Tripoli, Tunis, Alexandrie, Jérusalem en Terre sainte, à Chypre, Rhodes et dans les îles du Dodécanèse. Puis il se rend sur le site de Troie, reste trois mois à Constantinople, avant de rentrer à Marseille en mai 1732. Il ramène pour l'Académie des sciences un ensemble considérable d'observations, allant des sciences naturelles à l'archéologie, en passant par l'astronomie, la navigation, ou encore les coutumes des populations rencontrées. Il raconte son périple dans un mémoire, Observations mathématiques et physiques faites dans un voyage du Levant en 1731 et 1732, publié par l'Académie le 12 novembre 1732 (Mémoires de l’Académie des sciences, 1732. Paris, 1735). Son récit se trouve également dans un journal manuscrit. Bien plus tard, le 11 juillet 1774, l’Abbé Delille fera mention de ce voyage, lors de son discours de succession à La Condamine à l’Académie des sciences.
Voyage à l'Equateur
La Condamine effectue son principal et plus important voyage entre 1735 et 1745, au Pérou. A cette époque, deux courants de pensée s’affrontent au sujet de la forme de la Terre ou « figure de la Terre ». D’un côté, un groupe en faveur de l’hypothèse d’Isaac Newton selon laquelle le globe terrestre est enflé près de l'équateur et aplati aux pôles (en forme de « mandarine »). De l’autre, le clan des Cartésiens, mené par Cassini, soutient que la Terre est aplatie à l'équateur et enflée aux pôles (en forme de « citron »). La Condamine se range du côté des Newtoniens, emmenés par Maupertuis. Voltaire résume ainsi la controverse en 1734 dans ses Lettres philosophiques :
À Paris vous vous figurez la terre faite comme un melon ; à Londres elle est aplatie des deux côtés. »
Pour trancher le débat, par ordre du roi, et sous l’égide du ministre Maurepas, deux expéditions sont organisées par l’Académie royale des sciences de Paris : l’une au Pérou, afin d’obtenir la mesure de la longueur du méridien équatorial, au niveau de Quito (aujourd’hui en Equateur), tandis qu’une deuxième expédition en Laponie, sous la direction de Maupertuis, ira mesurer la longueur du méridien polaire. Il faudra ensuite comparer ces mesures avec la valeur de la longueur du méridien mesurée auparavant entre Amiens et Paris. La Condamine est choisi pour ses qualités et son courage, dont Condorcet fait un éloge. Il s’embarque à La Rochelle le 16 mai 1735 pour le Pérou avec deux autres astronomes, Pierre Bouguer et Louis Godin, et plusieurs autres personnes.
Carte des routes de Mr. De la Condamine
Le Pérou est alors sous le contrôle de l’Espagne. Le roi Philippe V d’Espagne autorise l’expédition, voyant en elle un moyen de faire progresser la cartographie indispensable à la navigation et au commerce. Deux officiers espagnols, Jorge Juan de Santacilia et Antonio de Ulloa, sont désignés pour accompagner les Français et rejoignent l’expédition à Carthagène, après que cette dernière est passée par La Martinique. Les savants et leurs accompagnateurs embarquent à Panama le 22 février 1736 pour rejoindre Manta, dans la province de Quito, le 9 mars 1736. De là, les trois explorateurs et scientifiques français se séparent et rejoignent Quito par des chemins différents. Godin y arrive le premier le 29 mai, La Condamine le 6 juin et Bouguer le 10 juin. Pour leurs observations astronomiques, ils établissent une première station de mesure, près de l’Equateur, dans la plaine d’Yarouqui, à quelques lieues de Quito.
Pour mesurer le méridien, les savants utilisent la méthode de la triangulation décrite par Herschell. Les conditions pour réaliser leurs travaux sont souvent difficiles car il faut installer des tentes sur des terrains accidentés ou escarpés, et dans des conditions météorologiques loin d’être toujours favorables. Sur la gravure ci-dessous, deux membres de l’expédition montent sur les pentes d’un volcan pour installer un signal à un des sommets du triangle, tandis que deux autres membres réalisent une visée à l’aide du quart de cercle (instrument de mesure angulaire).
Deux autres instruments sont nécessaires aux relevés : un télescope et une horloge.
Pendant tout leur séjour, les astronomes vont, de triangle en triangle, établir une carte du méridien, ligne verticale fictive, passant par Quito, Vengotasin, Ivicatsu et Nabuso. On peut trouver cette carte dans « Illustrations de La figure de la terre... Voyage au Pérou. / Pierre Bouguer, 1749 ».
Revue de géographie / dirigée par M. Ludovic Drapeyron, 1908
A la rudesse du climat de la Cordillère des Andes et à la topographie très accidentée du terrain, s’ajoutent une mésentente entre Bouguer, La Condamine et Godin, mais aussi des problèmes financiers, une santé mise à rude épreuve et même un contexte juridique et politique difficile. La Condamine finance 100 000 livres sur sa fortune personnelle. La mésentente entre La Condamine et Bouguer se poursuivra en inimitié bien après leurs retours respectifs en France. Pour toutes ces raisons, les travaux géodésiques ne sont terminés qu’en 1743 par les trois Français, et même poursuivis en 1744 par les deux officiers espagnols lors de triangulations jusqu’à Mira, au Nord de Quito.
Comme pour l’expédition conduite par Maupertuis en Laponie, les résultats seront sans appel : la Terre est aplatie aux pôles. La Condamine mentionne la forme sphéroïdale de la Terre à son retour en France en 1745.
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