En 1918, Escoffier au Carlton, le rationnement
Nous disposons de trois carnets du Carlton d'avril à fin novembre 1918. La guerre dure et la situation devient plus tendue. Le "personnel" va devoir se serrer davantage la ceinture.
Ministry of food. Save the nation's bread. National ration 4lb each per week, affiche, 1914
Domestiques, employés du bureau, caissiers, maître-d'hôtel, staff et cuisine partagent le plus souvent le même menu : potage, poisson, pomme de terre, parfois des légumes, ou des œufs, entremets. Au fil des jours ils vont souffrir encore un peu plus. Ce n'est plus que poisson pommes de terre et souvent la page reste blanche, Escoffier ne sachant sûrement pas la veille au soir ce qu'il pourra servir au personnel le lendemain. Cela vaut sa cuisante remarque au maîtres-d’hôtel du 11 juillet.
A la demande du gouvernement qui affirme "le droit des combattants à des rations généreuses", Escoffier répond en proposant un menu noté "officiers" au prix au déjeuner de 3/6 (32€) et au dîner 5/6 (50€), avec une entrée d’œufs un plat de poissons ou de viande, un légumes, un entremet.
Ce document nous confirme que l'ensemble des menus comme la carte, calligraphiés dans les carnets le plus souvent par Escoffier lui-même, sont ensuite imprimés. Il nous permet également de découvrir que certains jours sont "Meatless day" , sans viande. Le rationnement obligé va se confirmer avec l'arrivée le 18 avril des tickets, les "coupons" nécessaires pour consommer viande farine et beurre qui s’appliqueront également à partir du 18 juin aux menus des officiers.
Escoffier va être obligé d'adapter sa cuisine. Moins de viande, alors il cuisine sans protéines : Mousseline de champignon à la Reine, Tomates à la portugaise, Risotto de petits pois, Quenelles napolitaines truffées, Pilaw de courgettes. A la place de l'Entrecôte à la tyrolien - recette page 354 du Guide Culinaire il sert un "Émince de bœuf tyrolien" pour lequel bien évidemment le volume de viande est moindre.
Les viandes sans coupon, donc essentiellement des abats, recensées le 13 mai, seront alors proposées régulièrement à des britanniques pourtant peu enclins à ce genre de cuisine: Pied de veau tyrolienne,Tête de veau au curry, Queue de bœuf fermière, Lard bouilli au choux. Il faut faire preuve d'adaptation et on voit là toute la maîtrise dont Escoffier fait preuve pour arriver à faire bien avec peu.
Les coupons, la cuisine des abats, l'arrivée du gibier en septembre, le rationnement consenti vont de façon surprenante améliorer le quotidien même si à partir du 1er octobre le menu à 6 pence du midi est supprimé. Les légumes ne sont pas restreint, quant au poissons l'approvisionnement reste identique comme nous le confirme une commande en anglais du 1er mai 1918.
100 haddocks, 36 maquereaux, 14 turbots, 12 cabillaud, 60 homards, 12 harengs, 60 merlan, environ, d'après nos calculs, 500 portions, ce qui laisse penser que la fréquentation du restaurant n'a pas faibli et que le poisson reste au centre des propositions. Bien que la page quotidienne dévolue aux repas du personnel soit au fil des jours de plus en plus "blanche", les jours où elle est remplie semble dénoter là aussi une amélioration, la viande faisant sa réapparition. Les propositions de la carte du restaurant sont plus nombreuses, la fin de la guerre se ferait-elle sentir ? On se dirige vers le 11 novembre date de l'armistice, le sujet de notre prochain billet.
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